Loi sur l’immigration : Le grand écart

Une cinquantaine de manifestants s’étaient retrouvés devant la Chambre des députés. (Photo : Tessie Jakobs)

En même temps qu’elle a créé un « permis de séjour pour investisseur », la Chambre des députés a prolongé la durée de rétention légale pour les enfants.

Une cinquantaine de manifestants s’étaient retrouvés devant la Chambre des députés pour dire leur désaccord avec la réforme de la loi sur l’immigration votée hier. « Non à la rétention d’enfants au Luxembourg », c’était le mot d’ordre du piquet de protestation organisé par le Lëtzebuerger Flüchtlingsrot (LFR). « Eemol bleiwen däerfen = 500.000 Euro », pouvait-on lire sur une banderole déployée par des membres des Jonk Lénk. C’est que derrière les murs du parlement, on débattait d’un paquet législatif fortement controversé.

En soi, le projet de loi 6992 était destiné à transposer deux directives européennes en droit luxembourgeois : l’une sur les droits des travailleurs saisonniers originaires de pays tiers, destinée à leur faciliter l’obtention d’un permis de séjour, l’autre sur les transferts entre pays des employés et stagiaires d’entreprises transnationales. Pas de quoi échauffer les esprits. En soi.

Un projet de loi symbolique

Car tant qu’à modifier la loi sur l’immigration, le gouvernement en a profité pour introduire deux autres changements, eux bien plus sujets à controverse. D’une part, le projet de loi introduisait un « permis de séjour pour investisseur », destiné à attirer des capitaux étrangers : tout ressortissant d’un pays tiers qui investira au moins 500.000 euros dans une entreprise à créer au Luxembourg, trois millions d’euros dans une « structure d’investissement » ou 20 millions d’euros sous forme de dépôt auprès d’une banque pourra, sous réserve d’un contrôle de son « honorabilité », bénéficier de ce titre de séjour.

De l’autre côté, et c’était la raison de la venue des manifestants, le projet de loi augmentait la durée légale de rétention de 72 heures à sept jours, au centre de rétention, des familles ou personnes accompagnées d’enfants. Une « nécessité » selon le ministre chargé du dossier, Jean Asselborn, afin de garantir le bon déroulement des expulsions.

Une disposition qui n’était pas seulement critiquée par le Lëtzebuerger Flüchtlingsrot, mais aussi par Nils Muižnieks, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. « La détention d’un enfant migrant, quand bien même interviendrait-elle en dernier recours, n’est jamais dans son intérêt supérieur » : ainsi exprimait-il ses doutes dans une mise au point publiée par le LFR. « La privation de liberté, même pour une période courte, qui est souvent vécue par les enfants comme une expérience choquante, voire traumatisante, a des effets néfastes sur leur santé mentale. » Faisant référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière, Muižnieks exhortait les députés à « respecter les obligations juridiques incombant au Luxembourg au titre de la Convention européenne des droits de l’homme ».

Rien à faire : « Il s’agit de personnes qui ont traversé toutes les juridictions et qui ont été déboutées à chaque instance », expliquait le ministre de l’Immigration à la Chambre. « Nous ne voulons pas que des enfants soient là plus longtemps que nécessaire », a-t-il argumenté, expliquant qu’en moyenne, les familles ne passeraient « que » 50 heures au centre de rétention, qui, d’ailleurs, serait équipé d’une plaine de jeux, et où des services psychosociaux seraient à la disposition des familles. « La responsabilité incombe aussi aux parents, pas uniquement à l’État », s’est-il défendu face aux accusations de David Wagner (Déi Lénk), le seul à s’être exprimé contre l’augmentation du temps de rétention.

Car, tandis que des Verts à l’ADR tout le monde était d’accord avec la disposition, Wagner s’est fendu d’un discours aussi virulent que poignant, s’attaquant surtout à la symbolique d’un projet de loi créant un « permis de séjour pour investisseur » tandis qu’il prolonge la durée d’enfermement des enfants : « Dans cent ans, des historiens utiliseront un projet de loi comme celui-ci comme symbole des errements de notre époque », a-t-il soutenu. « Nous déroulons le tapis rouge pour ceux qui ont des millions, tandis que nous mettons dans des charters des personnes en détresse. » Quand il s’agirait des intérêts de « réfugiés fiscaux », le gouvernement serait au « garde-à-vous » pour les accueillir.

Un « processus d’apprentissage »

S’il a jugé somme toute qu’il s’agissait d’un « mauvais projet de loi », parce qu’il mélangerait immigration légale et immigration illégitime, voire illégale, Kartheiser s’est tout de même félicité de la disposition la plus controversée du paquet législatif, celle de la prolongation du délai d’enfermement. « Un processus d’apprentissage a eu lieu au sein de certains partis », a-t-il expliqué. Encore en 2009, lors des discussions sur le centre de rétention, des politiciens comme Félix Braz et Nicolas Schmit auraient soutenu que des mineurs n’y seraient pas détenus. « Il y a eu une évolution vers plus de réalisme, ce qu’on ne peut que saluer. Ce que nous avons dit dès le début commence petit à petit à devenir monnaie courante. »

Et en effet, à observer le grand écart que tentait, par exemple, d’effectuer un Claude Adam au nom de Déi Gréng, cette évolution devenait manifeste : « Le droit d’asile ne peut fonctionner que quand ceux qui ne peuvent pas en bénéficier sont renvoyés dans leur pays », a-t-il expliqué. Tout en saluant la volonté des manifestants de « s’engager pour les plus vulnérables », il disait ne pas être d’accord avec eux : « On ne peut comparer le centre de rétention à une prison. » Et, tout en prenant note des critiques du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, il disait se demander parfois « ce que ce même commissaire dit par rapport à d’autres pays européens ».

Le grand écart pas très convaincant tenté par Déi Gréng était par ailleurs facilité par une motion déposée par le rapporteur du projet de loi, Marc Angel (LSAP). Dans celle-ci, les députés exhortent le gouvernement, entre autres, à « veiller [à ce] que les mineurs non accompagnés et les familles comportant des mineurs ne soient placés en rétention qu’en dernier ressort et pour la période la plus brève possible ». Autant le projet de loi que la motion ont été adoptés avec 58 voix, seuls les députés Déi Lénk les rejetant.


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