Martin Scorsese: La toute dernière tentation du Christ

Avec « Silence », Scorsese choisit l’adaptation d’un roman japonais de Shusaku Endõ pour se plonger dans le Japon féodal du 17e siècle. Au cœur de ce film fleuve, l’interrogation de la foi catholique et de la spiritualité, thèmes qui traversent l’œuvre du cinéaste depuis plus de quarante ans.

En 1633, deux jeunes prêtres jésuites portugais embarquent pour le Japon à la recherche de leur maître spirituel, le père Ferreira, porté disparu depuis quelques années et dont des rumeurs racontent qu’il aurait renoncé à la religion catholique pour vivre comme un Japonais. À leur débarquement sur une des îles de l’archipel, le père Rodrigues (Andrew Garfield) et le père Garupe (Adam Driver) découvrent une population de paysans convertis mais apeurés, qui pratiquent leur religion dans la clandestinité, sous peine d’être soumis aux pires tortures par les seigneurs de guerre locaux. Réduits à se cacher pour ne pas terminer à leur tour en martyrs sur une croix, les deux prêtres, les deux derniers au milieu de cet enfer, entament une quête spirituelle douloureuse dans un Japon féodal aux méthodes de persécution particulièrement raffinées.

Voilà près de vingt ans que Scorsese, fervent catholique, souhaitait adapter le roman éponyme de Shusaku Endõ, qui s’inspire d’événements historiques peu connus de nos sociétés occidentales. À la fin du 16e siècle, en même temps que naît le commerce entre l’Europe et le Japon, les royaumes espagnols et portugais envoient des missionnaires, franciscains et jésuites, afin d’évangéliser l’archipel nippon. En l’espace de quelques dizaines d’années, des milliers de Japonais – dont des familles princières – se convertissent, au grand dam de certains seigneurs locaux qui craignent de voir leur influence diminuer. Dès 1612, la religion catholique est interdite et les fidèles systématiquement martyrisés s’ils refusent de faire acte d’apostasie. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’intrigue du film où les deux protagonistes, forts de leur croyance et de leur jeunesse, voient leurs convictions progressivement vaciller dans une société féodale où de pauvres paysans aux conditions de vie rudimentaires sont dominés et martyrisés par des seigneurs riches, instruits et fortement cyniques.

Le film se concentre sur le cheminement spirituel des deux jeunes prêtres, confrontés au dilemme moral entre la fidélité à leur croyance et le pragmatisme : en renonçant, ils ont la possibilité de stopper le massacre des indigènes. Dans une deuxième partie un peu plus dense que la première, le film s’attache en particulier aux conflits intérieurs de l’un des deux prêtres, justement interprété par Andrew Garfield, tiraillé par l’orgueil d’apparaître comme un Christ en cage, objet de la dévotion des chrétiens japonais, et sa peur de disparaître pour rien, dans le silence de la parole divine. En filigrane, c’est l’impérialisme catholique et occidental – voire hollywoodien, avec ce choix irritant de l’anglais dans la bouche de prêtres portugais – qui est remis en cause par l’élite japonaise. Mais cette piste de lecture n’est que suggérée et finalement écartée au profit d’une résolution mystique au cours de plusieurs scènes – un peu ridicules – de manifestation divine.

Malgré une très belle photographie qui installe la troisième force en présence – une nature chaotique, accidentée et avilissante -, la lenteur et la longueur du film (près de trois heures) laissent le spectateur hermétique aux mystères de la foi, extérieur aux conflits et lassé de la répétition des scènes de torture. En fin de compte, on garde la sensation, déjà présente dans « The Last Temptation of Christ » ou « Kundun », que Scorsese excelle moins à l’écran dans l’exploration de la spiritualité que dans celle de la part sombre de la nature humaine, à l’image de son virtuose film précédent, « The Wolf of Wall Street ».

À l’Utopia.

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