Michael Grandage : Appliqué et sans génie


Le calme de l’été peut parfois donner l’occasion de faire des découvertes cinématographiques, puisque le choix de nouveautés se restreint dans les salles. Mais « Genius » est surtout une découverte littéraire. Car pour le reste, le film reste un biopic convenu.

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Celles et ceux qui s’intéressent de près au roman américain connaissent probablement Thomas Wolfe. Doté d’une personnalité exubérante, fougueux, alcoolique et coléreux, l’écrivain est passé comme une étoile filante dans le paysage littéraire d’outre-Atlantique, car il est mort à seulement 38 ans. Ses longs récits majoritairement autobiographiques respirent l’âme des États-Unis, capturée à l’aide d’un style foisonnant et poétique. Mais, il faut bien le dire, sa renommée n’est pas aussi établie en Europe que dans son pays, et il sera vraisemblablement une découverte pour la plupart des spectateurs. Plutôt un bon point pour le film.

D’abord refusés par la plupart des éditeurs, les romans-fleuves de Wolfe trouvent en la personne de Maxwell Perkins, chargé d’édition de la maison Scribner, un farouche défenseur. Habile artisan du livre, celui-ci a tout de même découvert et publié Ernest Hemingway et F. Scott Fitzgerald, avec lesquels il a entretenu également des relations amicales. C’est dire son expérience, qui le conduit à pratiquer des coupes franches dans la prose luxuriante de Wolfe, trop éparpillée à son goût. L’auteur, flatté d’être le poulain d’un éditeur renommé, n’oppose d’abord pas trop de résistance. Après le succès de son premier livre, il s’enhardit cependant et revient en permanence avec de nouveaux paragraphes qui annihilent les efforts de Perkins.

Le film pourrait donc se résumer à une confrontation incessante entre deux conceptions de la littérature : l’une, que représente l’éditeur (sobre Colin Firth), tournée vers l’efficacité économique, puisqu’il faut bien vendre ; l’autre, qu’incarne l’auteur (Jude Law en roue libre et passablement énervant), envisagée comme un art où chaque mot est essentiel à la complétude de l’œuvre. Certes, s’y ajoutent quelques intrigues secondaires : le déchirement de Perkins entre son devoir supposé envers la littérature et sa famille (Laura Linney joue sa femme avec justesse), l’étrange amour – qui alterne entre reconnaissance du ventre et indifférence – de Wolfe pour sa maîtresse (Nicole Kidman dans une belle composition). Mais dans l’essentiel des scènes, on a droit au duo Perkins-Wolfe dans une relation père-fils aux relents psychanalytiques plutôt marqués. Les rares mais intéressantes apparitions de F. Scott Fitzgerald (excellent Guy Pearce) sont bien trop courtes pour nous en distraire.

Michael Grandage, dont c’est le premier long métrage, est un metteur en scène de théâtre très expérimenté, d’où une direction d’acteurs maîtrisée dans l’ensemble. On voit que l’histoire lui tient à cœur, puisqu’il pose son duo de comédiens dans un décor au réalisme parfait qui fait revivre le New York des années 1930. Sûrement inspiré par le visionnage de force autres biopics, il ne nous épargne aucun des maniérismes et aucune des scènes obligées de ce genre cinématographique, qui privilégie souvent l’efficacité et la fabrique de l’émotion au détriment de l’originalité. On l’a d’ailleurs vu pas plus tard que la semaine dernière avec « Florence Foster Jenkins »…

Dommage, car cette amitié extraordinaire entre un auteur que beaucoup découvriront et un des rares éditeurs dont le nom est passé à la postérité avait tout de même un certain potentiel. Tout ça reste sage, bien trop sage. À l’inverse de la personnalité hors normes du génie dont il est question dans le titre.

À l’Utopia. Tous les horaires sur le site.

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