Mouvement ultra
 : La bête noire 
du football


Une image peu flatteuse leur colle à la peau. Pourtant, les ultras sont bien plus que cela. Un livre les met au centre de l’attention.

Sébastien Louis: Ultras. Les autres protagonistes du football. Éditions Mare & Martin, Paris 2017

Quand ils font parler d’eux, c’est rarement pour les bonnes raisons. Les ultras sont un peu la bête noire du football. Souvent jeunes, ils se distinguent par un soutien inconditionnel à leur équipe, sont parfois violents et toujours bruyants. Et quand les médias s’emparent du sujet, c’est parce qu’ils ont, une fois de plus, défrayé la chronique.

Comme ces ultras de la Lazio de Rome qui se sont fait remarquer pour une action particulièrement abjecte : avant le derby contre l’AS Roma, ils ont placardé des autocollants à l’effigie d’une Anne Frank portant le maillot de leur plus grand rival. Une action condamnée à l’unisson par l’ensemble des instances dirigeantes du club, par beaucoup de responsables politiques - et par d’autres ultras.

Sébastien Louis est historien et spécialiste des mouvements de supporters de football radicaux, des ultras en particulier. Enseignant à l’école européenne du Luxembourg, il vient de sortir un livre : « Ultras. Les autres protagonistes du football ». Sur 439 pages, il déchiffre les origines historiques du mouvement ultra, son expansion à travers l’Europe, puis à travers le monde, sa constitution actuelle ainsi que son rapport aux clubs, aux autorités et aux médias.

Pour lui, l’action des supporters de la Lazio a « évidemment des raisons politiques »  - le club est connu pour les affinités de ses supporters avec les mouvances néofasciste. Mais ces agissements sont aussi dû à « un manque de culture politique, de culture tout court ». Plutôt que de sauter sur l’occasion pour diaboliser une fois de plus les ultras, Louis aurait préféré que l’on prenne du recul pour se poser les bonnes questions : « Il faudrait engager une réflexion sur le racisme et l’antisémitisme dans les stades, mais aussi sur la façon dont on aborde ces questions auprès des jeunes. »

« Les tribunes des stades sont l’un des rares espaces libres pour jeunes. »

Le rapport des ultras à la politique est… compliqué. Né en Italie dans les années 1960, dans le giron des mouvements de révolte de jeunesse et dans un contexte de bouleversements sociétaux importants, le mouvement a dès le départ emprunté au langage et à la symbolique des groupes politiques d’extrême gauche comme d’extrême droite. Mais alors que le mouvement politique échoue  - la révolution prônée par beaucoup n’aura pas lieu  -, les tribunes persistent en tant que « zones franches ». Ici, « les jeunes réussissent à avoir leurs propres espaces, leurs propres organisations, à établir leurs propres règles », explique Sébastien Louis dans un entretien avec le woxx. Aujourd’hui, des groupes ultras existent partout en Europe et à travers le monde  - et jusqu’au Luxembourg, où la mouvance a été introduite par des enfants d’immigrés italiens.

Il est peut-être dû à cela entre autres, le succès que continue d’avoir le mouvement ultra auprès des jeunes générations : « À notre époque, les tribunes des stades sont l’un des rares espaces libres pour jeunes. »

Il y a, dès le départ, des groupes ultras qui se définissent comme étant d’obédience communiste ou antiraciste, tandis que d’autres revendiquent leurs affinités pour l’extrême droite, et que d’autres encore se disent apolitiques. Ces divergences persistent jusqu’à aujourd’hui : « Dans beaucoup de villes, les ultras d’un même club sont divisés sur base de différences politiques. »

Pourtant, tous puisent dans les mêmes valeurs, qui sont, pour Sébastien Louis, autant des valeurs de gauche que de droite : « Les ultras défendent des valeurs telles que la solidarité, l’égalité ou la défense des plus faibles, qui sont des valeurs traditionnellement de gauche. Mais il y a aussi une culture de la force, de la virilité, une certaine dimension identitaire, qui sont plutôt des valeurs de droite. »

Contrairement aux hooligans venus d’Angleterre, le but premier des ultras n’est pas la violence. Ils se voient comme de « vrais » supporters, prêts à tout pour soutenir leur équipe. Chorégraphies englobant l’ensemble de la tribune, chants continus pendant 90 minutes, animations diverses, mais aussi déplacements pour les matchs à l’extérieur, actions caritatives et confection de matériel de soutien (drapeaux, banderoles, etc.), voilà les modes d’action.

La violence, bien que parfois présente, ne joue qu’un rôle subordonné : « Les affrontements permettent aux ultras de prolonger le match de football sous une autre forme et de participer activement à la défense de leurs couleurs selon les normes de leur sous-culture. L’attention médiatique souligne une forme de reconnaissance implicite (…) », écrit le chercheur dans son livre. Et met en garde : « La violence ne représente qu’une infime partie de tout ce qu’ils pratiquent. »

Cependant, le traitement qui leur est réservé de la part des autorités, mais aussi des fédérations ou encore des grands médias est souvent peu favorable : « Le football se trouve dans une période transitoire et les ultras jouent un peu le rôle de syndicats qui défendent une vision d’un football populaire, social ; ils refusent que le club soit un instrument au service d’intérêts commerciaux. Cela fait d’eux un ‘diable’ parfait pour les instances dirigeantes qui veulent faire avancer la commercialisation du football. »

Et pourtant, 50 ans après sa naissance, le mouvement ultra se porte bien et continue à s’exporter dans le monde entier. « Quel autre mouvement de jeunesse peut en effet se targuer d’un tel succès populaire ? », demande Sébastien Louis.

Un long entretien avec Sébastien Louis sera publié sur notre site internet ce samedi.

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