Panama Papers : La gentille roue dentée


Les Panama Papers suscitent la controverse au niveau mondial – et le Luxembourg officiel montre ses vieux réflexes entre déni et ni-ni.

En noir : les pays impliqués dans les Panama Papers - le Luxembourg peut sembler petit, son rôle n’en est pas moins important. (PHOTO : ©wikicommons)

En rouge : les pays impliqués dans les Panama Papers – le Luxembourg peut sembler petit, son rôle n’en est pas moins important. (PHOTO : ©wikicommons)

La plus grosse fuite d’informations de l’histoire met les puissants dans la bredouille. Appelés « une conspiration satanique sans fondement » par le parlement régional de Lahore au Pakistan, érigés en conspiration anti-russe par l’entourage de Putine, les 2,6 téraoctets dérobés au cabinet d’avocats panaméen Mossack-Fonseca sont de la dynamite et sèment la pagaille, du Panama à l’Islande.

Certes, on peut discuter de la mise en scène des révélations, qui, sur le site de la « Sueddeutsche » fait penser à la bande d’annonce d’un blockbuster américain. Il en va de même du fait que le consortium derrière les révélations – l’ICIJ (International Consortium of Investigative Journalists – se réserve le droit de choisir ses collaborateurs selon des critères aussi peu transparents que les sociétés-écrans qu’il dénonce, ce dont d’autres journaux comme la « taz » allemande se sont plaints. Le woxx a fait la demande auprès de l’ICIJ pour en savoir plus sur l’implication du Luxembourg, mais notre demande est, à ce jour, restée sans réponse. Toujours est-il que cette fois, ce n’est pas uniquement la pointe de l’iceberg qui est apparue : une bonne partie des informations révélées auraient dû rester cachées à tout jamais.

L’ICIJ ne répond pas

Comme d’habitude, le Luxembourg fait l’autruche, ou du moins essaie. Si les Panama Papers ne visent pas explicitement le grand-duché, le rôle de la place financière locale et de ses avocats dans le montage massif de sociétés-écrans au Panama n’en est pas moindre. Que ce soit par le biais d’une banque ou par les services d’un avocat d’affaires, le montage de sociétés-écrans dans des paradis fiscaux amis comme le Panama était pendant longtemps, jusqu’à ce que la législation se durcisse à partir de la fin des années 2000, monnaie courante et ne constituait nullement un tabou.

Si l’on ignore encore concrètement qui a aidé à cacher quoi, les chiffres dont on dispose déjà soulignent l’envergure de l’implication luxembourgeoise dans cette supercherie globale. Ainsi, pas moins de 405 intermédiaires situés au Luxembourg ont aidé à mettre sur pied les fameuses boîtes aux lettres panaméennes – le grand-duché arrivant en septième position de ce palmarès peu glorieux. Ces 405 intermédiaires placent le Luxembourg à la quatrième place des pays avec les agents les plus actifs, avec quelques 15.479 clients, juste derrière Hong-Kong, la Suisse et la Grande-Bretagne.

Mieux encore, parmi les dix banques et instituts financiers les plus actifs en termes de montages off-shore, quatre sont établis au grand-duché : Experta Corporate & Trust Services – appartenant à la BIL, dont l’actionnariat comprend minoritairement l’État luxembourgeois, et majoritairement Precision Capital, société détenue par le Qatar -, la banque privée suisse J. Safra-Sarasin, la Société Générale Bank and Trust Luxembourg (à laquelle l’ex-trader Jérôme Kerviel a souhaité « une excellente semaine » avec un rire jaune) et, enfin, Landsbanki Luxembourg. Landsbanki Luxembourg a d’ailleurs été placée en liquidation fin 2008 par le tribunal de commerce luxembourgeois, ce qui a donné lieu à d’âpres batailles judiciaires entre les petits actionnaires et la liquidatrice qui ne sont pas encore tout à fait terminées.

Au tour de la société civile

1366stoosLes activités de Mossack Fonseca au grand-duché sont loin d’êtres aussi anodines que ses représentants ont bien voulu le faire croire aux médias nationaux se relayant devant leur porte cette semaine. Mais le cabinet panaméen n’est pas le cœur du problème : ce sont plutôt ses intermédiaires luxembourgeois, les banques et les avocats d’affaires. Si les premiers ont fait savoir qu’ils analyseraient par voie de communiqués et répondraient aux accusations (de concert avec l’autorité de surveillance CSSF), les deuxièmes n’ont pas pipé un mot.

S’il est bien possible d’en trouver des traces digitales encore dans le registre de commerce du Panama (qui est partiellement inaccessible depuis le début de la semaine, mais ses documents peuvent toujours être consultés sur le site opencorporates.com, qui donne un accès libre à tous les registres du commerce du monde), celles-ci mènent vers des pistes éteintes. Ainsi, comme le « Jeudi » l’avait révélé en 2015, l’avocat d’affaires et actuel secrétaire d’État à la Culture, Guy Arendt, peut être retrouvé dans deux – sur les huit en tout qu’avaient dénichées les confrères du Jeudi – sociétés listées : Law Consulting (de 1989 à 1992) et Media Consulting (de 1988 à 1993). Ces société étaient, en partie, constituées à l’époque de la dictature militaire de Manuel Noriega – mais le caractère peu démocratique de certains partenaires en affaires n’a jamais retenu la place financière.

On le pressent : sans réponse de la société civile en écho aux Panama Papers, les dirigeants luxembourgeois vont faire profil bas, tout en espérant que la tempête passe au-dessus de leurs têtes. C’est sans compter avec la société civile luxembourgeoise, qui semble en pleine ébullition sur les questions de justice fiscale, comme en témoignent les créations récentes du Collectif Tax Justice Lëtzebuerg et du comité de soutien à Antoine Deltour et Edouard Perrin. Membre cofondateur des deux structures, l’ex-député Déi Lénk Justin Turpel estime que les Panama Papers pourraient bien avoir un impact sur le procès contre Deltour et Perrin, qui débutera dans deux semaines : « Peut-être qu’il sera plus facile pour le juge de voir le déséquilibre qu’il y a entre l’infraction contre la confidentialité commise par les lanceurs d’alerte et l’intérêt public qui domine au vu de ce qu’ils ont révélé au public », estime-t-il.

Quant à la réaction luxembourgeoise, Turpel estime que les contre-arguments ne sont pas valables : « Dire que ce sont des pratiques qui appartiennent au passé n’est pas concevable, car les sociétés-écran existent toujours. Il faut une enquête de la CSSF et du Parquet pour le déterminer. La même chose vaut pour l’argument que le pays ne serait pas dans la ligne de mire – les chiffres des Panama Papers démontrent très bien le rôle actif de plateforme tenu par la place luxembourgeoise dans ces machinations. C’est tout à fait contraire à ce que le ‘Nation Branding’ prétend. On prend la population luxembourgeoise en otage pour protéger une place financière, qui, si tout n’y est pas illégal ou amoral, a aussi des pratiques indicibles. »

On le voit, le dernier mot dans le volet luxembourgeois des Panama Papers est loin d’être dit et le prochain rendez-vous donné par le Collectif Tax Justice Lëtzebuerg, la conférence de Richard Murphy la semaine prochaine, risque d’être animé.

« Tax Competition : Windfall for some, harmful for everybody else ? » avec Richard Murphy, le 13 avril au Tramschapp.


Sociétés offshore : Mais de quoi parle-t-on, en fait ?

(da) – Une société offshore est une société dont le siège social se trouve dans un autre pays que celui où réside son bénéficiaire réel. Dans la grande majorité des cas, on parle de sociétés offshore lorsque le siège social se situe dans un « paradis fiscal ». Un pays donc, où existe un cadre légal – secret bancaire, fiscalité faible, discrétion – qui favorise l’afflux de capitaux venant de l’étranger. Outre le Panama, les Îles Vierges britanniques, les Îles Caïmans, l’État américain du Delaware et de nombreux autres pays ou États font, à différents degrés, partie de ces paradis fiscaux. La caractéristique principale des sociétés offshore, appelées « international business corporations » dans le jargon, est qu’elles sont des « coquilles vides », qui n’exercent donc aucune activité économique réelle dans le pays où elles sont enregistrées. C’est pourquoi elles sont aussi appelées « sociétés-écran ». En revanche, elles servent de compte bancaire secret au bénéficiaire. Beaucoup de ces bénéficiaires s’en servent afin de dissimuler leurs avoirs au fisc ou de blanchir de l’argent obtenu de façon non légale. En général et sauf fuite de données, il est quasiment impossible de faire un lien entre le bénéficiaire réel et la société en question, le nombre d’intermédiaires étant assez important et les sociétés, enregistrées sous des noms d’emprunt.


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