Paul Thomas Anderson
 : Passion intime


Avec sa réputation d’enfant terrible du cinéma américain, on n’attendait pas forcément Paul Thomas Anderson dans un film presque intimiste centré sur une histoire d’amour. La surprise est de taille, même si elle a ses défauts.

Une relation pour le moins complexe.

Quel grand écart entre « Phantom Thread » et les films fleuves « Magnolia » ou par exemple « There Will Be Blood » ! Alors que ces derniers étaient des fresques aux nombreuses ramifications avec un souffle quasi épique, le nouvel opus de Paul Thomas Anderson se confine dans des intérieurs anglais feutrés pour décrire une passion dévorante et hors normes. Quoique hors normes, évidemment, ça ne pouvait qu’intéresser le cinéaste américain ; mais se faire le chantre de l’intime au point d’assurer lui-même la photographie, voilà qui représente une étape de plus dans sa filmographie éclectique.

Le scénario, écrit aussi par Anderson, dépeint l’idylle entre Reynolds Woodcock, couturier de l’upper class et des familles royales, et Alma Elson, serveuse dans la retraite campagnarde de celui-ci. Un coup de foudre immédiat qui conduit la jeune femme à s’installer dans la grande demeure londonienne de Reynolds et de sa sœur, Cyril, qui veille jalousement sur les affaires de la maison de couture. Bien évidemment, l’attitude castratrice de cette dernière est un obstacle pour Alma, qui de surcroît est étrangère et originaire d’une classe sociale moins élevée. C’est ce triangle de personnages qui va monopoliser le film et l’attention.

En grande partie tourné dans des décors « so British » qui installent une atmosphère de fin d’époque – celle entre autres des robes alambiquées que Reynolds dessine -, « Phantom Thread » fait la part belle aux plans serrés et aux regards. Cette passion faite de phases d’attirance et de répulsion repose donc sur la qualité de l’incarnation des personnages. Au point parfois de trop marteler le propos : Daniel Day-Lewis, en couturier psychorigide dont les habitudes dérangées conduisent à des crises égotiques, est certes parfaitement convaincant, mais la répétition des épisodes qui provoquent ses atermoiements peut sembler longuette. Si le personnage de la sœur, joué par Lesley Manville, souffre moins de cette répétition à cause de sa présence moins fréquente, celui d’Alma n’est pas épargné. La Luxembourgeoise Vicky Krieps, experte ici en regards ambigus et en petites phrases interrogatrices, ne peut vraiment montrer de diversité dans son jeu que lors de la très bonne scène d’engueulade – laquelle ne se réitérera pas, tant les personnages se coulent dans l’atmosphère feutrée qu’installe le cinéaste. Sans compter que la musique de Jonny Greenwood (le guitariste du groupe Radiohead, avec lequel Anderson avait déjà collaboré dans le passé) est un peu envahissante.

Au fond, Anderson, dans sa volonté de mettre en place une ambiance, a peut-être choisi d’être trop démonstratif. Car lorsqu’il se lâche dans des scènes où les deux amants ne répètent pas leur énième jeu de regards troubles et de sourires équivoques, il atteint une perfection cinématographique quasiment d’anthologie : la confrontation, on l’a vu, mais aussi cet épisode hitchcockien de préparation d’une omelette, où le suspense s’invite et où le paroxysme de l’ambiguïté et du doute vient titiller les cinéphiles.

Car c’est bien ici d’ambiguïté qu’il s’agit. On sent Reynolds tiraillé entre l’amour vrai, qu’il n’a jamais éprouvé, et la force de ses habitudes que ce sentiment nouveau chamboule. Quant à Alma, pour s’assurer de la continuité de l’affection de son amant, elle n’hésite pas à emprunter des chemins plus que périlleux. Nul doute que la fascination opère, même s’il faut en passer pour cela par un martelage peut-être excessif au début du caractère des personnages principaux. Le talent de la distribution, Daniel Day-Lewis et Vicky Krieps formant à l’écran un couple fusionnel qui fera sûrement date, et une deuxième moitié de film plus resserrée raflent heureusement la mise.

Aux Kinepolis Kirchberg, Kursaal, Scala, Utopia et Waasserhaus. Tous les horaires sur le site.

L’évaluation du woxx : XX


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