Poésie
 : Des mots primitifs mais profonds


C’est au grand-duché qu’elle a accompli sa vocation artistique, et notamment publié trois recueils de poésie. Rencontre avec la poétesse et dessinatrice péruvienne Miriam R. Krüger.

 Miriam R. Krüger, après trois recueils de poésie, veut se consacrer désormais à l’écriture et au dessin combinés sous la forme du livre d’artiste. (Photo : woxx)


Miriam R. Krüger, après trois recueils de poésie, veut se consacrer désormais à l’écriture et au dessin combinés sous la forme du livre d’artiste. (Photo : woxx)

Voilà bientôt 20 ans qu’elle est établie au Luxembourg. Pourtant, rien ne prédestinait la jeune femme à s’installer ici : « C’est en fait un pur hasard. J’étais déjà partie du Pérou et j’avais voyagé un peu partout, puisque je travaillais sur un bateau de croisière. Mon idée de départ était de rester à Toulon, mais ça ne s’est pas réalisé. Lors d’un voyage à Francfort, des amis m’ont proposé une virée au Luxembourg. Le pays m’a plu, et j’y ai fait des séjours successifs de plus en plus longs pour finalement ne plus en partir. »

À l’époque, Miriam R. Krüger a renoncé à ses ambitions artistiques. Elle a pourtant été bercée par les poèmes lus par sa mère : « Une mère dont le travail lui vole du temps / Mais [qui] invente des heures pour rire et rêver » (« Une mère et ses trois filles », extrait de « Potpurri », 2011). L’apprentie poétesse commence à écrire vers 15 ans, sous l’influence de la traduction en espagnol d’« Une saison en enfer » d’Arthur Rimbaud, mais ne réussit pas à publier au Pérou. « On refusait mes textes, qui étaient considérés comme trop rebelles ou qui abordaient des sujets tabous. Ça m’a découragée à un tel point que j’ai abandonné et que je me suis tournée vers le tourisme. » Au Luxembourg, elle enchaîne les emplois : « Mon premier boulot a été dans un restaurant sur la place d’Armes. On m’avait choisie pour accueillir les clients en espagnol, ma langue maternelle. Ensuite, j’ai fait un peu de tout : j’ai travaillé dans une société de marketing, j’ai été aide-éducatrice et même caissière dans un supermarché ! »

Mais le virus de la poésie la reprend rapidement : « À mon arrivée au grand-duché, tout s’est accéléré : un premier poème, que j’avais écrit à 16 ans, a été publié dans la revue ’Apertura’ (ex-magazine culturel de la Banque européenne d’investissement où de nombreux auteurs résidents ont publié, ndlr) en 1987. Plusieurs ont suivi. J’étais même heureuse qu’on me refuse des poèmes de temps en temps : ça montrait qu’il y avait vraiment une sélection sérieuse ! » Viennent ensuite trois recueils, tous constitués de textes traduits en plusieurs langues : « Sentir » en 2010, « Ego » (qu’elle illustre elle-même) puis « Potpurri » en 2011. En 2010, Miriam R. Krüger décide de se consacrer exclusivement à ses activités artistiques.

Sa poésie est ancrée dans la simplicité de la langue et des sentiments, afin d’atteindre dans son intimité le plus grand nombre. N’écrit-elle pas d’ailleurs, dans « Je ne suis pas née pour être poète », tiré du recueil « Ego », que « son langage est aussi simple / Qu’une marguerite au printemps / Pas de mots compliqués / Seulement des mots de base / Mots primitifs / Mots qui sont ici dans [son] âme » ? Avec elle, pas besoin de dictionnaire ; il faut se laisser porter. Est-ce un choix délibéré ? – « C’est comme ça que les mots me viennent… Pour moi, la poésie doit être ressentie sans nécessiter un effort de compréhension. Elle n’est pas réservée à un public averti, elle est pour tout le monde. C’est pourquoi je ne retravaille pas mes textes pour en changer les mots et les rendre plus savants. Mon but, c’est que le lecteur puisse plonger immédiatement dans le poème. »

Simplement engagée

Plonger avec Miriam R. Krüger, c’est faire aussi l’expérience de l’engagement contre les violences faites aux femmes, explicite dans sa dédicace d’« Ego ». Pourtant, sa poésie semble apaisée, expurgée de cette violence qu’elle entend combattre mais qu’elle n’évoque que par petites touches. Ce qui l’intéresse, ce sont les conséquences, qui permettent de reconstituer un parcours de vie et d’en contester les aspects négatifs. En témoignent ces quelques vers extraits de « 8 » : « Parfois je ne sais pas / Si je dois rire / Ou si je dois pleurer / Je suis comme une pièce / Qui ne s’emboîte pas à sa place. » Au lecteur de comprendre la violence à laquelle a succédé cet état. La poésie de Miriam R. Krüger ressemble à son auteure : un sourire infatigable, une gentillesse ininterrompue qui recouvrent des doutes et des angoisses que seule l’écriture révèle.

Autre caractéristique des recueils de la Péruvienne, le multilinguisme. « J’écris en espagnol, français, italien ou anglais. Je tenais cependant à avoir des traductions en luxembourgeois pour remercier le grand-duché pour les opportunités artistiques qu’il m’a offertes. Mais seuls mes poèmes en espagnol font l’objet de traductions. Si j’écris en français ou en italien, ce qui m’est venu assez naturellement, sans que je puisse expliquer vraiment pourquoi, je ne traduis pas. » Le poème « Assassin » est typique de la démarche de Krüger. On y passe pour le titre du féminin en espagnol au masculin en français, avec aussi le neutre en anglais. « Cela permet au lecteur de voir ce qu’il y a derrière la traduction d’un poème. Les dimensions sont tout à fait différentes, puisqu’on a l’impression que je parle d’une femme en espagnol et d’un homme en français. Comme le poème évoque le fait d’être poursuivie (dans ce cas, par… l’orthographe qui « se met entre [ses] lignes », ndlr), on s’imagine bien que l’effet n’est pas le même selon le sexe du ou de la poursuivante ! »

Sous des dehors qu’on pourrait penser simplistes, la poésie de Miriam R. Krüger va donc bien au-delà de ce que l’auteure aime appeler, on l’a vu, son aspect primitif. Le Printemps des poètes de la ville française de Vittel ne s’y est pas trompé, qui l’a invitée à son édition 2016 pour des ateliers avec des classes d’enfants âgés de sept à douze ans, ainsi qu’avec des malades dans un hôpital. Et l’aspect visuel s’immisce bien souvent dans sa poésie, puisqu’elle a déjà proposé des lectures affublée d’ailes ou d’une robe en papier journal sur laquelle étaient imprimés les poèmes à déclamer.

C’est d’ailleurs vers l’art visuel qu’elle se tourne maintenant pour ses projets, car elle dessine depuis longtemps en autodidacte et a perfectionné sa technique par des stages en école d’art : « On m’a demandé si je pensais publier un autre recueil. Pour l’instant non : un simple livre de poésie ne me suffirait plus. Je fais maintenant beaucoup plus de dessins et j’essaye de combiner mes deux passions dans des livres d’artiste. Ainsi, je me sens plus complète. » Autre projet multidisciplinaire et dédié également aux femmes victimes de violences, « Tous unis dans un même cri » est une incursion récente dans la vidéo.

Poésie, dessin, lectures, vidéo… Miriam R. Krüger a trouvé ici le terreau qui convient à sa passion. Et avec succès, si l’on en croit sa conclusion, avec son éternel air émerveillé par les coups de pouce successifs du destin : « J’ai la chance de souvent rencontrer des auditeurs à la fin d’une lecture qui viennent me dire que la poésie n’était pas leur truc jusqu’ici, mais que maintenant ils vont s’y intéresser. C’est le plus beau des cadeaux qu’on puisse me faire. »

Le site de Miriam R. Krüger : 
http://mrklu7.wix.com/m-r-kruger.

J’AI PENSÉ


J’ai pensé ouvrir les portes de ta poitrine

À deux battants,

Entrer sans annoncer.

J’ai pensé déchirer

Les murs de ton âme

Jusqu’à les rendre

Fragiles comme le cristal

Entrer dans ton cœur

Le frapper,

Le griffer

Jusqu’à le voir saigner,

Mais après avoir ouvert

Les portes de ta poitrine

Et cherché péniblement

Je me suis rendu compte

Que tu n’avais

Ni âme ni cœur.

Dans « Ego », paru en 2011.

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