Politique culturelle (2/3)
 : Le sujet 
qui fâche

C’est le nerf de la guerre : le financement de la culture est au centre des préoccupations du secteur  – même si, du côté gouvernemental, on préfère ne pas l’évoquer.

L’argent : un sujet trop vulgaire pour qu’on en parle ? <(Photo : ©static.pexels)

L’argent : un sujet trop vulgaire pour qu’on en parle ? (Photo : ©static.pexels)

Est-ce indécent de parler fric et culture ? On a l’impression que c’est justement le sujet dont le ministère ne veut pas parler. Ainsi, cette semaine, lors de la conférence de presse destinée à présenter le suivi des assises culturelles ayant eu lieu début juillet, le secrétaire d’État Guy Arendt et Jo Kox – qui est désormais responsable de l’élaboration du plan de développement culturel – ont présenté un agenda plein d’ateliers thématiques, appelés dès lors les « ateliers du jeudi ». Mais aucun ne traite du thème du financement de la culture.

Dans un accès de snobisme qu’on lui connaît, et qui peut certes osciller entre le charmant et l’agaçant, Kox a précisé qu’on ne voulait pas se gâcher tous les beaux ateliers en parlant d’un thème aussi terre à terre que l’argent. Il est vrai que les discussions, tables rondes, conférences et autres sur les thèmes culturels ont une fâcheuse tendance à vite dériver sur la question du financement et sur les revendications des uns et des autres – quelle que soit l’idée initialement proposée à la discussion. Pourtant, vouloir développer un plan culturel en éludant ce sujet n’est pas une bonne idée. Simplement parce que, quoiqu’on fasse, il sera de toute façon omniprésent en creux.

Comment peut-on vouloir parler de la place de la culture, de la politique culturelle ou encore du rôle de la culture dans l’éducation sans parler du financement juste et équitable de ses activités ? Car oui, il y aura toujours des mécontents. Si vous donnez à l’un sans donner à l’autre, vous ne vous faites pas des amis. Ce qu’il faut, c’est du courage politique, une gestion adéquate du budget culturel ainsi que le fair-play de motiver ses décisions – en association avec une vision à long terme. Bref, un peu tout ce qui manque à la politique culturelle actuelle. Et ce ne sera pas l’anonymat des acteurs culturels qui seront choisis pour les « ateliers du jeudi » qui va aider à rétablir la confiance mutuelle. Même si, selon les intéressés, cet état de fait pourrait encore changer à l’avenir : les organisateurs se plieront aux vœux des participants qui pourront choisir l’anonymat ou non.

Car, même si les temps de disette budgétaire dans le domaine culturel se sont un peu apaisés après le départ de la ministre Maggy Nagel – dont certains insiders disent aussi qu’elle a été utilisée pour satisfaire les préjugés des électeurs du parti libéral en appliquant une cure d’austérité radicale au domaine de la culture -, cela ne veut pas dire que la navigation à vue a été remplacée par une vision à long terme. Il ne suffit pas de panser quelques blessures, comme ce fut le cas avec l’Alac, pour se réconcilier avec un secteur profondément déstabilisé.

Et pour cause. Un regard hors des frontières, par exemple vers l’Hexagone, démontre qu’une autre politique culturelle est bien possible. La semaine dernière, le ministère de la Culture français a ainsi annoncé que le budget culturel va passer à 1,1 pour cent du budget total de l’État. Bien au-dessus du pourcentage luxembourgeois, qui prévoit quelque 0,46 pour cent pour le budget 2016.

Certes, les prévisions pluriannuelles font apparaître de légères hausses sur presque tous les postes de budget dans les années à venir – même si le plan dépasse la période législative de ce gouvernement. Mais en épluchant les postes et les chiffres, on se rend compte que la politique budgétaire correspond plutôt à celle d’un gestionnaire qu’à celle d’un visionnaire. En d’autres mots : la planification budgétaire en matière culturelle est strictement conservatrice et ne prévoit en aucun cas une évolution ou des grands pas. Il s’agit simplement de satisfaire la « clientèle », les créateurs et les institutions, sans faire trop de vagues. Pour le reste, on se débrouillera.

Ce n’est pas pour rien que, lors de la conférence de presse mentionnée ci-dessus, Jo Kox a insisté plusieurs fois sur le fait que le plan de développement culturel n’est qu’une « feuille de route », facultative en somme, et que ce sera « aux politiques de décider de l’appliquer ou non, ou seulement en partie ». Une façon de renvoyer la balle avant que le match n’ait vraiment commencé. Car à quoi sert le plus beau des plans, quand les personnes devant le mettre en œuvre manquent de courage, de volonté ou simplement de moyens pour le faire ?

Une gestion bien conservatrice

S’y ajoute que pour les créatifs sur le terrain, il devient de plus en plus difficile d’éluder le thème du financement. Lorsqu’on monte un projet, le budget est évidemment le premier des soucis. Et avec un ministère qui presque jamais ne finance la totalité d’un projet, il est évident que la chasse aux sous remplit de plus en plus l’emploi du temps des associations et des établissements culturels. L’obsession de l’argent que les responsables gouvernementaux aiment bien reprocher au secteur culturel ne vient pas de rien. Car, après avoir obtenu un subside du ministère, il faut démarcher les fondations – qui se sont multipliées ces dernières décennies – et les éventuels mécènes et sponsors. Et si tout cela ne suffit pas, il faut recourir au « crowdfunding ». Ce qui est une bonne idée, mais implique aussi tant et tant d’heures de travail, évidemment non payées. On voit donc que le financement d’un projet culturel est un véritable casse-tête que le manque d’empathie du ministère – qui vit souvent dans la mentalité que les artistes « abuseraient » de sa bienveillance – n’aide vraiment pas à résoudre.

Alors, que faire ? Investir dans la culture, est-ce une bonne idée ? Une question à laquelle on trouvera difficilement une réponse sans avoir au moins essayé. Pourtant, l’idée de considérer la culture comme une industrie est probablement moins irréaliste que celle d’investir 200 millions d’euros dans le « space mining », et pourrait rapporter en plus d’un retour sur investissement – par le biais d’un tourisme culturel accru ou simplement par la vente à l’étranger d’œuvres luxembourgeoises – une chose essentielle qui manque tant au secteur qu’au ministère de la Culture. À savoir : la confiance dans le secteur culturel. Qui ne serait dès lors plus considéré comme un objet de prestige pour une certaine élite, mais comme une partie intégrante de l’identité nationale du pays et comme un facteur économique. Mais d’ici là, il y a encore du chemin à faire, et on peut douter que le plan de développement culturel tel qu’il est encore envisagé en ce moment soit la bonne feuille de route.


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