Politique culturelle
 : Tous assis 
sur la culture

Les fameuses assises culturelles en sont à leur première mi-temps – et le bilan, volontairement flou, témoigne surtout de la méfiance persistante entre artistes et ministère.

Guy Arendt et Jo Kox lors de la présentation à la presse du bilan intermédiaire. (Photo : © Ministère de la Culture)

Curieux quand même, ce contraste : quand, il y a plus ou moins exactement un an, les assises culturelles furent enfin annoncées et concrètement organisées, rares étaient celles et ceux qui donnaient cher de leur peau. On parlait alors volontairement d’un événement « alibi », censé faire diversion pour ne pas évoquer les vrais problèmes. Ce qui à l’époque était aussi une attitude raisonnable, tant le malaise provoqué par le passage en force de l’ex-ministre Maggy Nagel était encore palpable. Le mépris néolibéral avec lequel elle essaya de réformer la politique culturelle du grand-duché avait laissé des marques indélébiles. Et nous ne le répéterons jamais assez : aucun autre secteur n’a été (mal)traité par le « Spuerpak » comme la culture. Est-ce qu’on imagine, ne serait-ce que l’espace d’une seconde, annuler toutes les conventions sans discussion préalable dans, par exemple, la santé ou d’autres secteurs ? Certainement pas. Et une des raisons pour lesquelles une telle politique a été possible a été la désorganisation du secteur culturel. Car qui est désorganisé ne peut résister – du moins pas de façon efficace. Mais, de l’autre côté, un secteur désorganisé se laisse aussi mal gouverner.

D’où peut-être aussi les velléités gouvernementales de mettre un peu d’ordre dans tout cela et de promettre des assises culturelles. Une promesse finalement tenue donc, avec un constat auquel tout le monde s’attendait peu ou prou : « Le secteur culturel est un patient qui va généralement bien, mais qui a besoin d’une petite cure de désintoxication », constatait le rapporteur Jo Kox lors de la conférence de presse de présentation du bilan des assises (et des ateliers du jeudi qui ont suivi les assises). Cette anamnèse peut aussi laisser pantois : désintoxiquer, mais de quoi ? Des subventions et des conventions ? Des rapports parfois toxiques avec les administrations – ministère de la Culture en tête ? Difficile à dire.

Un secteur désorganisé se laisse aussi mal gouverner

Que Jo Kox n’ait pas voulu se laisser aller à un jugement de valeur par rapport au secteur est compréhensible, au vu de la délicatesse de sa situation. En effet, mettre en scène un dialogue entre les institutions et le secteur culturel sans prendre parti ni pour l’un ni pour l’autre est un exercice d’équilibriste. Un exercice plutôt réussi d’ailleurs, car comme il est apparu pendant la présentation officielle à Mersch samedi dernier, Kox n’a pas pris la défense du ministère de la Culture non plus – il est plutôt resté fidèle à son autodéfinition d’« agitateur culturel ».

Nonobstant, sa métaphore de docteur au chevet de la « patiente » culture ne fonctionne pas vraiment. Si l’on veut vraiment faire dans l’image, alors son job serait plutôt celui d’un horticulteur ayant eu la tâche de remettre en ordre un jardin devenu sauvage avec les années et de le transformer – du moins c’est ce que veut le ministère si on le comprend bien – en un magnifique parc à la française (ceux où la nature est soumise aux plans des humains, par opposition aux jardins anglais). C’est beau et c’est propre, et surtout apte au nation branding.

C’est aussi pourquoi Jo Kox n’est pas le représentant de la scène artistique par rapport au ministère. Une position qui est apparue assez clairement lors de la conférence de presse. À la question d’une journaliste qui voulait savoir si la libéralisation rampante du secteur a été un sujet des discussions menées dans le cadre des fameux ateliers, la réponse a été cinglante : primo non, et puis deuxio – entre les lignes – les artistes n’ont qu’à s’adapter aux temps qui courent. Sinon comment interpréter autrement l’idée que, pour Kox, il est totalement imaginable qu’un jour aussi des artistes puissent siéger dans un ou plusieurs conseils d’administration de grandes boîtes – vu que l’inverse, des représentants des Big Four et autres ayant pris beaucoup (trop) de poids dans les institutions culturelles est déjà vrai ? Pourtant, même avec beaucoup de fantaisie, on a du mal à imaginer un Serge Tonnar dans le CA de PWC…

Usine à gaz. (Image : Wikipédia)

Les artistes dans les conseils d’administration des Big Four

Autre indicateur que l’âge du néolibéralisme est désormais inextricablement lié au monde de la culture : le document numéro 5 distribué aux journalistes. Anticipant sur une nouvelle structure de gestion de la vie culturelle, celui-ci s’interroge sur le modèle à suivre pour un hypothétique « Luxembourg Arts Council ». Sous le premier chapitre intitulé « Best Practices » on trouve notamment « Luxembourg for Finance », « Luxembourg for Business » et « Luxembourg for Tourism ». Donc bientôt un « Luxembourg for Culture » sur le même moule ? La messe n’est pas dite. D’autant plus que le document prend aussi appui sur des structures qui existent dans d’autres pays, comme la fondation Pro Helvetia, le Conseil des arts et lettres du Québec, l’Institut français ou encore l’Arts Council maltais. Et puis se pose encore la question de la répartition des tâches entre le ministère de la Culture et cette nouvelle structure – car pour le moment les deux sont plus ou moins identiques. Bref, le risque d’une énorme usine à gaz est réel. Surtout que Jo Kox a anticipé une autre structure, à savoir, un « observatoire des pratiques culturelles » qui suivrait les développements de la scène artistique sous un angle plus scientifique. À ce rythme, la scène culturelle risque aussi d’avoir un jour plus d’observateurs et de fonctionnaires que d’artistes.

Sinon, le produit des assises et des « ateliers du jeudi » doit aussi être un plan de développement culturel – comme promis dans le programme gouvernemental. Ce plan, dont des préliminaires existaient déjà en 1991 – quand les acteurs culturels se sont mis ensemble une première fois au Théâtre des Capucins sur invitation de l’association « spektrum 87 » -, serait donc la feuille de route pour la scène culturelle qui la sauverait de la navigation à vue pratiquée jusqu’ici. Pour l’établir, pas moins de 12 réunions avec des représentants de différents secteurs – du livre à la danse en passant par le droit d’auteur et les statistiques culturelles ou les questions de genre – ont été menées. Y ont été discutées les revendications pratiques – « On ne parle pas argent ! », dixit Jo Kox – et les possibilités de mieux s’organiser à l’avenir. En fait, pour les personnes qui connaissent les différents secteurs, rien de nouveau. Certes, ce n’est pas à un changement de paradigme que s’attendait le secteur, mais à tous ces constats il manque une chose essentielle : une conclusion. Qu’évidemment personne ne veut ni ne peut tirer.

Alors que faire ? Selon Jo Kox, les discussions dans les ateliers devront continuer et un nouveau point et de nouvelles assises seraient programmés pour 2018 – avec la naissance du plan de développement culturel prévu à l’horizon 2019. Seul problème : dans ses conclusions à Mersch, le secrétaire d’État à la Culture Guy Arendt a précisé que le plan devrait être prêt pour l’été 2018, juste avant les élections… quel heureux hasard ! Peut-être que quelqu’un devrait expliquer à Guy Arendt que la culture, ce n’est pas une entreprise. Tout au contraire.


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