Populisme de gauche (2/2)
 : Les « gens » et 
l’« oligarchie »

Partout en Europe, des courants de la gauche radicale se revendiquent du « populisme de gauche » – pour certains avec succès. Un tel populisme est-il possible au Luxembourg ?

Déi Lénk, parti populiste de gauche ? 
Pas vraiment… ou pas encore. (Photo  : Déi Lénk)

Un spectre hante l’Europe : c’est le spectre du populisme. Employé à tort et à travers, le mot « populisme » désigne vaguement une approche politique faisant appel au « peuple » et se caractérisant, selon de nombreuses définitions, par le fait de livrer des « réponses simples » à des « questions complexes ». Mais, comme le souligne le dramaturge allemand Bernd Stegemann dans « Das Gespenst des Populismus » (« Le spectre du populisme » ; voir à gauche), le concept est surtout utilisé pour qualifier tout ce qui s’éloigne du consensus néolibéral établi au cours des années 1990. On appellerait, selon Stegemann, « populisme » tout ce qui différerait de l’opinion dominante tout en employant un discours divergeant, lui aussi, des usages politiques dominants.

La gauche « alternative » ou « radicale » peut-elle dès lors prétendre ne pas être populiste, sa motivation centrale étant de briser le consensus néolibéral ? C’est l’une des raisons pour lesquelles certains, à gauche, se revendiquent désormais ouvertement d’un « populisme de gauche », la formation politique espagnole « Podemos » la première – avec un certain succès. Même si le dernier congrès du parti a renforcé une ligne de gauche plus traditionnelle défendue par le leader Pablo Iglesias face à celle purement populiste défendue par Iñigo Errejon (woxx 1411).

En France aussi, la stratégie populiste pourrait payer : Jean-Luc Mélenchon mise désormais sur la « France insoumise » plutôt que le « Front de gauche ». Fini les drapeaux rouges, fini l’Internationale à la fin des meetings : désormais, c’est drapeaux bleu-blanc-rouge et Marseillaise. Et plutôt que de se présenter en champion de la « vraie » gauche, Mélenchon se veut candidat du peuple – avec succès, pourrait-on croire (voir aussi news p. 4). « Avec la force du peuple », c’est le slogan que l’on peut lire sur les affiches du candidat à l’élection présidentielle.

« D’Leit staark maachen »

Un slogan qui se rapproche de celui – tout nouveau – du parti de gauche luxembourgeois déi Lénk : « D’Leit staark maachen », « Renforcer les gens » (même si la traduction littérale en serait : « Rendre forts les gens »), présenté lors du dernier congrès du parti. Tournant populiste de déi Lénk ? Pas tout à fait, ou pas encore. Ainsi apprend-on de l’intérieur du parti que, bien que le débat y soit mené, les partisans d’une ligne « populiste de gauche » restent minoritaires.

Ce qui n’empêche pas certaines personnes de faire usage d’une rhétorique qui va dans le sens d’un populisme tel que proposé par Ernesto Laclau et Chantal Mouffe (voir woxx 1418). Ainsi, le conseiller communal de Differdange Gary Diderich a rendu hommage, dans son discours lors du congrès du 20 mars, à tous ces différents combats, souvent sectoriels, qui sont menés à l’échelle locale et nationale : du mouvement de la « transition », à la solidarité avec les réfugiés en passant par le collectif d’artistes Richtung22 (woxx 1306), de l’économie solidaire aux syndicats et de la « Friddensbewegung » (« mouvement pour la paix ») aux luttes féministes.

Un hommage qui fait penser au concept du « peuple » défendu par Laclau et Mouffe : la tentative d’unir les antagonismes présents dans une société, les différentes luttes qui y sont menées sous la bannière d’un concept créé par le discours et d’élargir ainsi la base sociale de la gauche. Les « gens » de déi Lénk seraient-ils l’équivalent de ce « peuple » : un « signifiant vide » récupéré et revendiqué afin de dépasser le concept beaucoup plus restrictif du « prolétariat », ou du « salariat » comme base sociale de la gauche ?

Un autre élément présent dans certains discours relève de la rhétorique populiste : la construction d’un antagonisme eux/nous qui va au-delà de l’antagonisme classique entre travail et capital. Ainsi, le député David Wagner a dessiné l’image d’une sensibilité politique déi Lénk qui, à la Chambre des députés, endosserait le rôle d’une « troupe de guérilla » face au cartel des partis de l’« oligarchie financière ». Déi Lénk, parti des « gens » contre l’« oligarchie financière », voilà le genre d’antagonisme à construire selon Chantal Mouffe. Voilà aussi une dichotomie qui fait penser à celle entre le « peuple » et la « caste » de Podemos.

Surmonter les spécificités luxembourgeoises

On le voit bien : bien que rechignant à se revendiquer ouvertement d’une ligne « populiste de gauche », le parti flirte avec la rhétorique qui va avec. Mais pourquoi ne pas assumer dès lors ? Plusieurs facteurs pourraient y jouer un rôle : premièrement, déi Lénk, bien qu’étant le parti le plus récent représenté au parlement, porte en lui l’héritage de différentes traditions de gauche. Ainsi, on y trouve tout autant d’anciens membres du KPL (Parti communiste luxembourgeois) que d’anciens trotskystes de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), sans oublier les déçus de la social-démocratie.

Difficile, dès lors, de trouver des consensus entre les différents courants, encore plus quand il s’agit de changer, en quelque sorte, d’orientation politique. Difficile aussi de se libérer du poids de ces héritages. Autre facteur : le poids des « anciens » face aux « jeunes ». S’il existe bel et bien, au sein de déi Lénk, des forces visant à renouveler autant le fond que la forme, ils y sont, pour l’instant, minoritaires et ne parviennent pas – encore – à imposer leurs vues.

Mais il y a aussi des facteurs externes au parti qui pèsent : ainsi, l’opposition à la place financière est traditionnellement difficile dans un pays comme le Luxembourg, où une grande partie de l’État-providence se finance à travers les retombées de la finance. « Sans la place financière, votre standard de vie serait beaucoup moins élevé », martèle-t-on, de la gauche à la droite, depuis des décennies. Difficile dès lors de s’attaquer à cette même place financière tout en défendant l’État-providence traditionnel.

Pour être cohérent dans sa critique de la place financière, il serait nécessaire, pour la gauche radicale, d’élaborer un concept permettant de surmonter la dépendance du Luxembourg de la finance – tout en garantissant un certain niveau de vie à toute la population. Cette gauche pourrait, par ailleurs, s’approprier le « signifiant vide » de « souveraineté », très prisé dans le cadre des débats sur le droit de vote des étrangers, pour pointer du doigt la confiscation des institutions démocratiques luxembourgeoises par la place financière.

Faire la jonction entre étrangers et luxembourgeois

Finalement, un dernier facteur structurel complique les choses : l’exclusion, du corps électoral, d’une importante partie de la population. Une partie qui constitue, en larges parties, la base sociale potentielle d’un parti comme déi Lénk et dont les intérêts sont – faut-il croire après le référendum 2015 et les débats sur la langue luxembourgeoise – du moins en partie opposés à ceux de la population luxembourgeoise. Si déi Lénk tente déjà de faire le grand écart entre base électorale et base sociale potentielle, notamment dans la question des langues, les contradictions demeurent. Dans ce cadre, le concept des « gens », autre « signifiant vide », peut, surtout en vue des élections communales auxquelles les non-luxembourgeois peuvent participer, permettre de faire la jonction entre étrangers et luxembourgeois.

Au vu de ces éléments, un populisme de gauche luxembourgeois est-il possible ? Oui, à condition de ne pas se concentrer uniquement sur le terrain parlementaire, réservé à une partie de la population seulement. Comme ce fut un temps la prétention de déi Lénk, une structure alliant un « mouvement » extraparlementaire réellement existant à une aile parlementaire, destinée à faire entendre les luttes sociales à la Chambre des députés, permettrait de surmonter, du moins en partie, les spécificités luxembourgeoises. Malheureusement, il semblerait que l’« aile parlementaire » ait largement pris le dessus au sein de déi Lénk.

La première partie de cet article est parue dans le woxx de la semaine passée 
(woxx 1418) et sur 
http://www.woxx.lu/tag/populisme/

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