Résultats de la COP21 : Pile ou face ?

Entre les accents triomphateurs des déclarations officielles et la volée de bois vert lancée par les mouvements alternatifs, qui faut-il écouter pour apprécier l’accord climatique obtenu à Paris ?

(Photos : Raymond Klein)

(Photo : Raymond Klein)

« Un accord ambitieux et crédible, un manifeste pour un monde meilleur », c’est ce que clame le communiqué officiel du gouvernement luxembourgeois, évoquant les résultats des négociations de Paris. Le même ton triomphant est adopté par la plupart des instances officielles, et même une partie des ONG semblent assez satisfaites du résultat. Et effectivement, quand on considère un certain nombre de points disputés pendant la COP21, on constate que l’arbitrage final a souvent penché en faveur de formulations relativement ambitieuses.

À cause du véto étasunien, il était clair qu’une partie de l’accord ne pourrait pas être légalement contraignante. C’est notamment le cas des engagements volontaires chiffrés des États en matière de réduction d’émissions de CO2. Néanmoins, il y aura une obligation de s’efforcer de réaliser ces engagements. Plus important, et c’était l’un des chevaux de bataille de la ministre luxembourgeoise Carole Dieschbourg, représentant la présidence de l’Union européenne, les États devront revoir leurs engagements tous les cinq ans, et toujours vers le haut. Une première concertation aura lieu en 2018, sans qu’il soit clair si on verra des améliorations substantielles dès cette révision-là ou s’il faudra attendre celle de 2023. Rappelons que les engagements INDC actuellement proposés conduiront à terme à un accroissement de la température atmosphérique d’environ trois degrés.

Tout est relatif

Paradoxalement, une des grandes percées des négociations a été l’inscription d’un objectif à long terme d’un réchauffement bien inférieur à deux degrés, et même celui de s’efforcer de rester en dessous d’un degré et demi. La formulation a été qualifiée de vague par Steffen Kallbekken du centre de recherche Cicero. Surtout, il a rappelé que, avec les INDC actuels, on risque d’avoir épuisé le budget carbone compatible avec l’objectif de 1,5 degré dès 2020. Pour rendre cohérents les engagements INDC avec l’objectif à long terme, il faudrait donc les revoir à la hausse au plus vite.

C’est là qu’on se rend compte de la relativité des appréciations émises sur l’accord de Paris. En effet, pour ceux qui ont suivi au plus près les négociations au Bourget, y compris les militants des ONG et les journalistes critiques, le résultat final est meilleur que ce à quoi ils s’attendaient avant la COP21 ou au bout de la première semaine. En ce sens, Laurent Fabius et la diplomatie française renouent avec la tradition d’un grand négociateur comme Talleyrand au 19e siècle. Mais si on replace l’accord obtenu dans le contexte de la discussion générale, avoir des INDC insuffisants et non contraignants, être passé à côté d’un objectif strict de 1,5 degré peuvent être considérés comme des revers importants, alors que ce traité encadrera les politiques climatiques des décennies à venir.

Les critiques plus fondamentales s’inscrivent logiquement dans une réflexion sur ce qui serait nécessaire pour sauver le climat, par opposition à ce qui était estimé comme politiquement faisable avant la COP21. Ainsi, le traité n’évoque pas l’objectif de laisser sous terre la plus grosse partie des réserves d’énergies fossiles, couplé à l’obligation de couper les subventions directes et indirectes à leur exploitation. Il faudra voir dans quelle mesure la campagne citoyenne de désinvestissement permettra d’atteindre ce même objectif – qui aurait clairement dû faire partie d’un « accord ambitieux et crédible ».

« Ils nous ont lâchés »

IMG_476440pcSamedi, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont exprimé leur déception dans les rues de Paris lors de deux rassemblements citoyens, reliés par une marche improvisée depuis la porte Maillot jusqu’à la tour Eiffel. L’esprit festif et le caractère international de l’événement – malgré l’état d’urgence – ont permis aux organisateurs d’affirmer que leur mobilisation était « historique ». Et d’en marquer le contraste avec « un accord très en dessous du changement de cap requis », comme l’a qualifié Geneviève Azam d’Attac. Pour elle, il s’agit d’un « bricolage constitué à partir de la somme des égoïsmes nationaux, aussi bien en matière de financement que d’objectifs de réduction des émissions ».

Notons que, du côté financier, le principe de la différenciation, obligeant les anciens pays industrialisés à financer des mesures préventives dans les pays en voie de développement, a été maintenu. L’enveloppe de ce Green Climate Fund (GCF), 100 milliards de dollars à partir de 2020 – selon un mode de calcul encore controversé -, est désormais considérée comme insuffisante. Mais la décision de revoir à la hausse cette somme est malheureusement remise à 2025, et elle n’est pas juridiquement contraignante. Les négociations ont également fait l’impasse sur l’idée d’introduire des taxes internationales destinées à assurer un approvisionnement régulier du GCF. Ce sont ces aspects qui donnent raison aux critiques qui ne voient dans le traité qu’un « arrangement miteux », un compromis entre « des gouvernements incapables et les lobbys qui les gouvernent ». Pour Azam, ce qui a fait défaut aux négociateurs, c’est un souffle éthique et politique, celui-là même présent du côté « des mouvements de base, des résistances, des alternatives, dont l’énergie et la vision relient les expériences locales à des enjeux qui les dépassent ».

Parmi ceux qui estiment que le nouveau traité n’empêchera pas une montée des émissions de CO2, on trouve, ô surprise, Hans-Werner Sinn, président de l’institut allemand Ifo. L’économiste libéral déplore l’absence d’instruments permettant de faire pression sur les pays « de mauvaise volonté ». Ainsi, « les pays de bonne volonté réduiront dans la douleur la consommation d’énergies fossiles, tandis que les autres profiteront de la baisse des prix et consommeront les quantités libérées de cette façon ». Pour Sinn, la solution consisterait en un marché mondial des droits d’émissions. Mais on peut aussi en déduire que la logique capitaliste de profit et de concurrence obstrue tout simplement la voie vers des politiques climatiques efficaces.

C’est ce type de réflexion qui s’exprime à travers le slogan, de plus en plus populaire lors des manifs, « Changeons le système, pas le climat ». À part du côté des anticapitalistes purs et durs, l’idée n’est pas de remplacer le système capitaliste par un autre système préalablement défini. Il s’agit simplement d’affirmer que les solutions au changement climatique devront être imposées là où ce sera nécessaire, aux dépens d’un système capitaliste et libéral, et aux dépens de ceux qui en profitent. Et, par-delà des aspirations écologiques et sociales, certains – tel le penseur américain Charles Eisenstein – invitent aussi à une révolution dans notre manière de concevoir la société humaine et son rapport à la nature.

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