Rifkin et le développement durable : Et si on était ambitieux ?

Un coup de main plutôt qu’un coup de griffe. Le CSDD vient de présenter son avis sur la stratégie luxembourgeoise pour la troisième révolution industrielle.

Mots fugaces, message durable. Jean Stoll en train de présenter l’avis du CSDD. (Photo : RK)

Favoriser un développement durable ou assurer une croissance renouvelée, à quoi sert l’étude Rifkin ? Cette question, le Mouvement écologique y avait répondu en juin par la seconde proposition – tout en invitant le gouvernement à redresser la barre. Le Conseil supérieur pour un développement durable (CSDD) met également en garde contre la recherche effrénée de croissance. Celle-ci n’empêche pas que le Luxembourg s’endette de plus en plus, a fait remarquer Jean Stoll le 23 octobre en présentant l’avis du conseil.

Excès de croissance

Quelles sont les limites de la croissance ? Tout comme le Mouvement écologique, le CSDD cultive un rejet général de la croissance en dénonçant le « toujours plus de pression financière, écologique et sociétale ». Sans qu’ils l’explicitent, on sent qu’aux yeux des deux structures, les 1,1 million d’habitant-e-s projeté-e-s pour 2050 ne sont pas les bienvenu-e-s. Typique d’un discours malthusien, le motif de la rareté revient plusieurs fois dans l’avis du CSDD : trop peu de terres rares pour construire assez de voitures électriques, trop peu de terres arables pour nourrir une population mondiale… croissante.

Mais le conseil cherche aussi à donner une réponse objective à la question des limites : il estime que le Luxembourg devrait « prendre en compte la biocapacité de 1,3 hectare par tête d’habitant de la planète Terre ». L’’approche de l’’empreinte écologique, intégrant les différents types de consommation de ressources et donnant des chiffres en « hectares globaux » de biocapacité moyenne, fournit effectivement un indicateur d’excès de croissance. Les calculs montrent que l’humanité entière consomme actuellement une surface équivalente à 1,6 planète, tandis que le Luxembourg en est à l’équivalent de 6 planètes.

Surprise : le conseil ne critique pas pour autant les objectifs flous en matière de réduction de CO2 contenus dans le rapport Rifkin. Alors que le CSDD semble considérer qu’il y a consensus pour viser les 100 pour cent d’énergies renouvelables en 2050, le rapport prévoit seulement entre 50 et 100 pour cent. Et si l’avis affirme que « le gouvernement a récemment fait des efforts substantiels pour prendre ses responsabilités », il n’est pas évident du tout que la trajectoire actuellement poursuivie en matière d’émissions permette au Luxembourg d’atteindre le zéro carbone d’ici 33 ans.

Concernant la consommation d’énergie et d’autres ressources, le CSDD fait preuve de conséquence en se référant à l’analyse de cycle de vie. Il donne comme exemple les matériaux de construction, dont certains, utilisés dans les maisons passives, présentent des nuisances qui contrebalancent leurs effets bénéfiques. Et recommande qu’« une taxation conséquente et équivalente des matériaux et énergies doit internaliser les surcoûts (…) dans le prix de vente des produits énergétiques ». Mais en tant qu’organisation paragouvernementale, le CSDD s’abstient de noter que, pour le moment, en matière de taxation des carburants, le gouvernement n’opère qu’à coups de demi-pourcents.

« Si la stratégie Rifkin doit conduire au développement durable, elle ne peut pas se limiter au Luxembourg, mais doit inclure l’impact que nous avons sur le reste du monde », a insisté Jean Stoll. Concrètement, l’avis du CSDD a été placé sous le signe de l’Agenda 2030 des Nations unies. On y lit : « [L’Agenda] est une sorte de masterplan pour un monde plus juste, sûr, prospère et respectueux de l’environnement. La stratégie TIR [Third Industrial Revolution] devrait en être la déclinaison au niveau national. » Le CSDD se garde de reprendre le soupçon, énoncé par le Mouvement écologique, que le rapport Rifkin ne serait qu’un alibi pour poursuivre la croissance comme avant. Mais en suggérant qu’en tant que premier pays à avoir une stratégie TIR, « le Luxembourg pourrait devenir le laboratoire d’un modèle de société durable », il met la barre très haut. Cela risque de ne pas plaire aux lobbyistes du patronat et à leurs amis politiques, qui ont été à l’origine de l’initiative Rifkin.

Sauver la planète… ou le Luxembourg ?

À côté des aspects environnementaux, l’avis du CSDD se préoccupe également des risques et des opportunités en matière de cohésion sociale. Il évoque la fracture sociale qui risque de s’élargir avec la poursuite de la digitalisation de l’économie. Pourtant, lors de la présentation du rapport Rifkin, aussi bien le politicien Étienne Schneider que le patron Michel Wurth avaient expliqué qu’il n’y aurait pas de rééquilibrage social à court terme. Ils seront contents de voir que le CSDD n’est pas très revendicatif en termes de redistribution et de justice sociale, mais préfère introduire le modèle des « communautés résilientes ».

Qu’en est-il des opportunités ? Hélas, l’avis, dans la lignée du rapport, évoque surtout les risques liés aux changements et passe à côté d’une idée bien présente dans les livres de Rifkin : les nouvelles technologies, en tant que catalyseurs de l’économie collaborative (« sharing economy »), mettront fin au système tel que nous l’avons connu. Pour l’auteur américain, des pans entiers de l’activité économique tourneront le dos à la logique du profit, et l’idée de coopération entre individus et groupes fera son chemin. Ce n’est pas par hasard que le livre le plus récent de Rifkin est intitulé « La nouvelle société du coût marginal zéro : l’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme ». Pour lui, révolution technologique et révolution sociale vont de pair.

« Ce sont les interactions humaines qui doivent fondamentalement changer et cela dépend de la manière dont nous interprétons, regardons et apprécions l’environnement. » L’avis du CSDD appelle aussi à un changement de société, mais semble l’opposer à l’approche technologique. « Il ne suffit pas de promouvoir les solutions techniques, il faut aussi tenir compte de la dimension humaine », a souligné Stoll. Paradoxalement, alors que la partie générale de l’avis peut paraître un peu brumeuse, des chapitres comme ceux consacrés à la mobilité ou à la construction sont bien plus convaincants – mais aussi plus axés sur une approche technique.

(Photo : Wikimedia / LivornoDP / CC BY-SA 3.0)

Quelle révolution ?

Dans l’idée de gagner l’adhésion des gens aux changements nécessaires, le CSDD souligne aussi l’importance de l’éducation. C’est elle qui « conditionne la faculté de s’adapter au changement, de transformer son comportement en pratiques saines et durables, d’avoir une vision d’ensemble basée sur des connaissances et des valeurs ».

Pour finir, le conseil propose au gouvernement de créer un groupe de travail supplémentaire consacré justement à la dimension humaine du changement. Impliquer tout le monde, cette idée semble aussi avoir guidé la Chambre des députés en train de préparer un grand débat sur la stratégie Rifkin. Pour le 26 octobre, elle a invité une quarantaine d’organisations à participer à un hearing public. Cela durera de 9 heures à 17 heures au moins, avec des intervenants allant de l’ABBL jusqu’au Verkéiersverbond, en passant par la Caritas et l’Association des grossistes en appareils sanitaires et de chauffage. Est-ce que cela contribuera à une approche holistique du sujet ou plutôt à une atomisation des approches, parmi lesquelles les décideurs choisiront celles qui leur conviendront ? Réponse dans le woxx de la semaine prochaine.

Avis du CSDD, détails (en anglais) et résumé : csdd.public.lu
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