Salam Show 
: Les nouveaux arrivants

Le « Salam Show » est la première émission radio en langues arabe et anglaise du Luxembourg. Visite chez Lama et Ehab, dans les studios de Radio Ara.

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Lama, 29 ans, est originaire de Homs, la ville d’où la révolution syrienne est partie. Elle est au Luxembourg depuis quatre ans et fait des études d’économie et de finance. (Photo : David Angel)

L’ambiance est à la rigolade dans les studios de Radio Ara, en ce vendredi après-midi. « Je suis déjà tombée sur des gens qui m’ont demandé si on avait la télé en Syrie » raconte Lama. Elle présente, depuis peu, l’émission « Salam Show » sur les fréquences 105,3 et 102,9. Ehab, son co-présentateur, éclate de rire. Il renchérit : « À part la guerre et Daech, les gens ne connaissent que très peu notre pays. »

Nous sommes le 25 octobre et Lama et Ehab sont en train d’enregistrer une partie de leur émission pour la semaine prochaine. Le premier « Salam Show » a été diffusé le 5 septembre et depuis, ils en sont au dixième épisode. « Salam », c’est la première émission radio du Luxembourg en langues arabe et anglaise. « Salam », c’est aussi le mot arabe pour « paix ».

Lama Alogli, 29 ans, et Ehab Ghandour, 25 ans, sont tous deux originaires de Syrie. Elle, de Homs, « la plus belle ville du monde », même si la guerre a rendu 92 pour cent de la ville inhabitables. Lui, d’un village situé à quelques kilomètres de Damas, capitale du pays. Lama est arrivée au Luxembourg il y a quatre ans. Elle est en Master 2 « Economics and Finance » à l’université du Luxembourg. Ehab est arrivé il y a tout juste un an. Diplômé en littérature arabe, il a obtenu l’asile il y a trois mois et cherche du travail depuis.

« À part la guerre et Daech, les gens ne connaissent que très peu notre pays. »

L’idée de lancer une émission radio en arabe et anglais, c’est Lama qui l’a eue. « Quand moi je suis arrivée au Luxembourg, il n’y avait pas toutes les offres pour réfugiés qu’il y a aujourd’hui. Personne ne pouvait répondre à mes questions et je me suis sentie assez seule », se souvient-elle. « Avec la crise des réfugiés, l’idée m’est venue de lancer une émission radio pour, d’un côté, informer les nouveaux arrivants sur le Luxembourg et, d’un autre côté, expliquer la culture arabe aux Luxembourgeois. »

Après s’être informée sur les différentes stations de radio au Luxembourg, elle tombe rapidement sur radio Ara – la seule radio multilingue du pays. Chez Ara, son idée est bien reçue : on offre même à Lama la possibilité d’y faire un stage – et elle accepte. Ehab la rejoint bientôt en tant que co-animateur, et ensemble avec tout un groupe d’exilés syriens, les deux vont même au-delà de l’émission en soi : tous les matins, ils présentent, pendant cinq minutes, l’actualité luxembourgeoise en langue arabe. Le projet obtient un financement de la part de l’ « Œuvre grande-duchesse Charlotte », dans le cadre du projet « mateneen », qui vise à soutenir des initiatives favorisant le vivre-ensemble entre réfugiés et population locale.

Si Lama et Ehab n’ont pas rencontré de difficultés à décrocher ce financement, c’est que leur émission poursuit justement ce but. « Je pense que c’est important qu’on apprenne les uns des autres », dit Ehab. Le « Salam Show » est composé de quatre parties : une, en langue arabe, qui aborde des questions pratiques de la vie au Luxembourg. Ainsi, la première partie d’une des dernières émissions était consacrée à la question : comment trouver un médecin au Luxembourg ?

La deuxième partie de l’émission, en langue anglaise, est dédiée à un aspect de la culture ou de l’histoire arabe et s’adresse aux auditeurs luxembourgeois. Elle est suivie d’actualités du Luxembourg, en langue arabe. La dernière partie du « Salam Show » est une interview en anglais destinée, elle aussi, à apprendre à connaître le Luxembourg. Ainsi, une représentante de l’Adem a pu y expliquer les démarches à entamer pour trouver du travail. Pour cette partie, les auditeurs sont invités à poser leurs questions à travers les médias sociaux. De la musique arabe – « du traditionnel au contemporain » – vient compléter le tout.

Pour en être seulement à son dixième épisode, le « Salam Show » connaît déjà un franc succès. Plusieurs centaines de personnes suivent l’émission sur les réseaux sociaux et elles sont nombreuses à commenter, à poser des questions, à échanger avec Lama et Ehab. « Beaucoup de gens nous félicitent, on a un feed-
back très positif », explique Lama. « C’est très positif et important qu’un tel projet soit porté par les concernés eux-mêmes », trouve aussi Sandra Laborier, responsable en charge de « Graffiti », programme d’émissions faites par et pour des jeunes sur Radio Ara. « Malheureusement, beaucoup de personnes se permettent de parler au nom des réfugiés, alors qu’ils sont loin de leur réalité de vie. »

La réalité de vie des nouveaux arrivants, Lama et Ehab la connaissent sous tous les angles. Lama est arrivée au Luxembourg il y a quatre ans, bien avant le grand « afflux » de réfugiés syriens. Originaire de Homs, la « capitale de la révolution » syrienne, elle a été contrainte de partir dès le début du conflit. « We started from Homs », dit Lama en parlant de l’insurrection de 2011. Elle s’est d’abord réfugiée en Turquie – seule -, où elle a soumis une demande pour faire des études au Luxembourg. L’ambassade luxembourgeoise à Ankara lui ayant accordé un visa, elle a rejoint le grand-duché – et y a déposé sa demande de protection internationale aussitôt arrivée. Avec succès : « Mon cas était très clair », détaille-t-elle. «  Je ne peux pas retourner en Syrie. »

Au Luxembourg, elle a retrouvé des amis syriens qui avaient quitté Homs en même temps qu’elle. « Aujourd’hui, nous formons une sorte de petite famille », sourit-elle. Sa « vraie » famille, elle est restée en Syrie. « Tu sais ce que c’est, la schizophrénie ? » demande Lama en parlant de ses sentiments envers son pays d’origine. « Eh bien, c’est comme ça que je me sens. Schizophrène. Moi, je suis ici, en sécurité, au Luxembourg. Ma famille et beaucoup de mes amis sont en Syrie. Ma maison natale est détruite. Pas uniquement ma maison, toute ma ville est détruite. »

« Ici, au Luxembourg, il n’y a pas de pro- ou anti-régime, nous sommes tous des nouveaux arrivants. »

Ehab acquiesce. Il est parti de la région de Damas quand il a été appelé à faire son service militaire au sein des forces du régime. « Trois de mes frères ont été emprisonnés du jour au lendemain », dit-il. « Deux ont été relâchés, mais l’autre se trouve toujours dans les geôles du régime. Ça va faire trois ans que nous n’avons aucune nouvelle de lui. » Ehab a vécu quatre ans de guerre civile. « J’ai vu des choses horribles », révèle-t-il, sans en dire plus.

Après avoir quitté son pays pour le Liban dans un premier temps, il a atteint la Turquie à bord d’un navire. De là, il a rejoint les côtes grecques dans un zodiac, comme des milliers de ses concitoyens. Puis a suivi la « route des Balkans », avant que les frontières ne soient fermées. « J’ai traversé la Macédoine, l’Albanie, la Serbie, la Croatie, l’Autriche, pour finir en Allemagne. » De là, il poursuit sa route vers le Luxembourg en pensant que ce nom désignait une ville allemande. « Hambourg, Luxembourg, pour moi, c’était des villes allemandes. C’est seulement quand j’ai vu un panneau ‘grand-duché du Luxembourg’ que je me suis rendu compte que c’était un pays », rigole-t-il. A l’heure actuelle, même s’il a son statut, il est toujours logé dans une structure d’accueil à Rodange. « C’est très difficile de trouver ne serait-ce qu’une chambre au Luxembourg. »

Malgré leur histoire, Lama et Ehab ne cultivent pas de rancune. « Nous avons appelé notre émission ‘Salam’, ‘paix’, parce que nous avons tous besoin de paix », explique Lama. « Ici, au Luxembourg, il n’y a pas de pro- ou anti-régime, nous sommes tous des nouveaux arrivants. Nous ne faisons pas notre émission pour un groupe religieux ou politique, mais pour tout le monde, pour tous les arabophones et ceux qui s’intéressent aux pays arabes. » « Les gens sont fatigués de la guerre », la rejoint Ehab. « Moi-même, je ne regarde plus la télé. Tout le monde veut la paix. »

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Ehab, 25 ans, vient d’un village près de Damas, la capitale syrienne. Il a suivi la « route des Balkans » pour finalement atterrir au Luxembourg. (Photo : David Angel)

Ce qui n’empêche pas Ehab et Lama de s’engager pour leur pays d’origine. Notamment au sein du « Centre culturel syrien », qu’ils ont cofondé et dont les activités vont de l’organisation d’un piquet en soutien à la ville d’Alep assiégée à celle d’une soirée de musique syrienne, au Grand Théâtre, le 19 novembre.

« L’émission nous permet à nous aussi de mieux connaître notre culture »

Retour dans le studios de Radio Ara : Nizar Rawi, la cinquantaine, irakien, graphiste et directeur artistique à Bagdad avant son exil récent, est l’invité du jour du « Salam Show ». Il est venu parler de l’histoire de l’Irak, en anglais, pour les auditeurs et auditrices luxembourgeois. De la civilisation sumérienne, environ trois mille ans avant Jésus-Christ, aux Assyriens, en passant par les cités-États de la Mésopotamie, il énumère des grandes étapes de l’histoire antique de la région. « L’Irak, la Syrie, le Moyen-Orient en général, ne sont connus qu’en tant que pays en proie à la guerre, au terrorisme. Mais notre histoire est tellement plus riche ! », s’exclame Nizar. Lama et Ehab l’écoutent attentivement, ne l’interrompent que peu. Eux aussi en apprennent encore des choses.

« L’émission nous permet à nous aussi de mieux connaître notre culture », s’accordent à dire les deux. « C’est important, pour des gens qui vivent en exil, de ne pas oublier leurs racines », ajoute Ehab. Car, comme pour beaucoup de nouveaux arrivants, leur pays d’origine, c’est leurs racines, alors que le Luxembourg, c’est leur nouveau lieu de vie. « Ça m’énerve un peu qu’on ne parle que de ‘réfugiés’ tout le temps. Je préfère le terme de ‘nouveaux arrivants’, car désormais, le Luxembourg est notre pays. », s’emporte Lama.

(Photo : David Angel)

(Photo :David Angel)

À tel point qu’elle compte y déposer une demande de naturalisation dès que possible. « Ech schwätzen e bësse Lëtzebuergesch », dit-elle, non sans fierté et avec un léger accent. Et, en attendant, Ehab et elle sont confrontés aux mêmes problèmes que leurs concitoyens luxembourgeois. Tous les deux sont à la recherche d’un logement, sans succès pour l’instant. Tandis que Lama poursuit ses études et son stage chez Radio Ara, Ehab, professeur d’Arabe en Syrie, cherche du boulot. N’ayant que 25 ans, il n’obtient pas encore le RMG – et ne le veut pas, de toute façon. « Je suis jeune, je peux travailler, pourquoi je percevrais de l’argent de l’État ? », interroge-t-il.

Ils se sentent bien au Luxembourg, Ehab et Lama, malgré les difficultés, malgré les plaies du passé récent. Et même si tous deux affirment déjà avoir été témoins de comportements racistes – « c’est rare quand même », dit Ehab -, ils comptent bien y rester, au « grand-duché de Luxembourg ».

Salam Show, les lundis entre 14 et 15 heures sur Radio Ara (102,9 et 105,3) avec une rediffusion les mardis entre 22 et 23 heures. 
www.salam-ara.lu

Radio Ara, radio participative


(da) – C’est la radio de la société civile et des associations, mais pas seulement : héritière des radios pirates « Radio Grénge Fluesfénkelchen », « UKaWeechelchen » et « RadAU », Ara a obtenu la permission d’émettre en 1992. Depuis, la seule « radio libre et alternative » du pays favorise la participation directe et l’auto-organisation. Que ce soit dans le cadre de ses émissions pour et par des jeunes « Graffiti » ou de la désormais traditionnelle « Prisongssendung », Ara met l’accent sur les sujets, parfois marginaux, délaissés par les grands médias. Et offre, par là, la possibilité à de nombreuses personnes de s’exprimer et d’être écoutées qui ne le seraient pas autrement. De par son caractère multilingue, Ara favorise aussi l’implication de personnes et d’associations issues de l’immigration – comme c’est le cas pour le « Salam Show ».


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