Samuel Maoz
 : Onirisme réaliste… 
ou vice-versa ?


Du huis clos d’un appartement cossu de Tel-Aviv à un poste frontière surréel en plein désert, « Foxtrot » sert un ambitieux message en déroulant une mécanique de réalisation précise. Par moments un peu trop précise, d’ailleurs…

Dans « Foxtrot », Lior Ashkenazi et Sarah Adler incarnent avec talent des parents israéliens abattus par la mort de leur fils militaire. (Photo : Sophie Dulac distribution)

La réception critique d’un film peut parfois réserver des télescopages surprenants. C’est notamment le cas pour « Foxtrot » : d’un côté, le long métrage franco-germano-israélien s’est attiré les foudres de la ministre israélienne de la Culture, Miri Regev, en raison de la mauvaise image supposée qu’il donne de Tsahal, l’armée israélienne ; d’un autre côté, bien des articles lui ont reproché un certain maniérisme formel. Selon le réalisateur Samuel Maoz, les sorties de la politicienne sont à interpréter comme une énième tentative de discréditer une œuvre qui remet en question le mythe de la menace permanente sur Israël. Quant au style, il assume entièrement : « Je pense que l’un des problèmes ‘historiques’ du cinéma israélien est de négliger l’aspect esthétique des films, comme si le drame politique et humain qui caractérise cette région constituait une matière suffisante pour captiver le spectateur », indique-t-il dans l’entretien du dossier de presse. Alors qu’en est-il réellement ?

Divisé en trois parties, le film s’ouvre sur une scène forte. Des soldats visiblement spécialisés viennent annoncer à Michael et Dafna, un couple aisé de Tel-Aviv, la mort de leur fils Yonatan, qui effectuait son service militaire dans un coin perdu du nord du pays. Pour accentuer l’effet étouffant d’une telle nouvelle dans une vie par ailleurs réglée au millimètre (monsieur est architecte), Samuel Maoz utilise force gros plans sur des détails, moult cadrages de haut et insiste sur ce qui se passe hors du champ de la caméra. Le procédé, pas inintéressant mais pas franchement novateur, pourrait effectivement énerver. Mais la prestation stoïque dans la douleur de Lior Ashkenazi en Michael vient contrebalancer par un élément humain la relative froideur mécanique de la réalisation.

Et puis surprise ! Dans un changement d’ambiance complet, nous voilà justement dans ce coin de désert où Yonatan a été posté, sorte de « Désert des Tartares » israélien. On y attend beaucoup, on y ouvre la barrière surtout pour le dromadaire de passage, on y contrôle accessoirement quelques automobilistes palestiniens. D’oppressante, la caméra se fait onirique, poétique même… jusqu’à l’accident, celui qui, inéluctable, découle de l’absurdité de la militarisation à outrance et de la paranoïa diffuse. Ici, Maoz développe son message et sa métaphore. Le fox-trot, c’est une danse où l’on retourne toujours à son point de départ ; mais ce cercle vicieux est d’abord l’œuvre du conditionnement anxiogène des individus. Un message qui a certes du mal à passer dans certains milieux, d’où les critiques acerbes évoquées auparavant.

En puisant dans l’histoire familiale pour raconter la façon dont Michael, le père, s’est débarrassé du poids d’un passé relié à la Shoah, la troisième partie, de retour à Tel-Aviv, enfonce le clou. Ici, c’est la comédienne Sarah Adler, qui incarne la mère, qui vient apporter par la justesse de son jeu une sorte de sas de décompression. Car il serait difficile de retrouver cette atmosphère étouffante et confinée de l’appartement sans broyer du noir. Trois parties qui s’équilibrent plutôt, en somme. Et un cinéaste qui construit avec précision son film pour exorciser, à son échelle évidemment, les démons de toujours de la société israélienne.

On pourra reprocher à « Foxtrot », outre sa réalisation esthétisante, sa fin trop didactique, qu’il n’était pas nécessaire de montrer. Cela dit, on ne pourra lui faire grief de servir son propos par une structure bien planifiée et ambitieuse. Et si quelquefois son maniérisme agace, la poésie de la deuxième partie, dans le désert, vaut à elle seule la place de cinéma. Quoi que puissent en penser celles et ceux qui préfèrent faire du sur-place, en Israël ou ailleurs.

À l’Utopia. Tous les horaires sur le site.

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