Terrorisme en Tunisie
 : Des procès qui émeuvent

Les procès des attentats du Bardo et de Sousse, en 2015, ont débuté en mai dernier. Ils devraient se poursuivre tout au long de cette nouvelle année.

Mosaïque à la mémoire des victimes de l’attentat du Bardo. (Photo : Wikimedia/Yamen/CC BY-SA 4.0)

Ce 9 janvier, le tribunal de Bab Bnet, au centre de Tunis, sera probablement en ébullition. Il abritera les audiences de deux procès au retentissement international : l’affaire des attentats du Bardo (mars 2015, 22 victimes) et de Sousse (juin 2015, 38 victimes). Alors que la jeune démocratie reste en période de transition, elle doit prouver que sa justice est capable de gérer des dossiers de cette importance.

Le 18 mars 2015, en milieu de journée, deux terroristes armés de kalachnikovs, de grenades et de ceintures explosives entrent dans le Musée national du Bardo, à Tunis. Ils ouvrent le feu sur des touristes qui arrivent et les poursuivent à l’intérieur. 22 personnes (21 touristes étrangers et un agent de sécurité tunisien) sont tuées, ainsi que les tireurs. Un peu plus de trois mois plus tard, le 26 juin, Seifeddine Rezgui arrive sur la plage de l’hôtel Imperial Marhaba d’El-Kantaoui, près de Sousse (150 kilomètres au sud-est de Tunis). Il sort une arme et tue les touristes qu’il poursuit au bord de la piscine. 38 personnes, toutes étrangères, meurent. Le terroriste sera lui aussi abattu. Les deux attentats ont été revendiqués par le groupe État islamique.

Des enquêtes courtes pour 
des procès longs

Les procès ont débuté le 26 mai pour l’attentat de Sousse et le 12 juillet pour celui du Bardo. Les enquêtes n’auront donc duré que deux ans. « La loi tunisienne impose une durée maximale de 14 mois de détention provisoire en cas de crime », explique un diplomate. « Pour ne pas relâcher les suspects au bout de cette période, il faut ouvrir le procès. » Mais les reports risquent de s’enchaîner dans les deux affaires. « Les avocats vont demander des compléments d’information, plus de temps pour monter une défense, car il s’agit de dossiers complexes et lourds », estime un juriste. Dans l’affaire du Bardo, 26 personnes sont poursuivies. Le dossier comprend plus de 150.000 pages. Les audiences ont déjà été reportées à deux reprises. Et les problèmes d’organisation flagrants pourraient également repousser les débats sur le fond de l’enquête.

Le 26 mai dernier, à l’ouverture du procès de Sousse, 16 inculpés sur 33 étaient présents, certains étant en fuite, d’autres ayant refusé de se présenter. L’un d’eux, détenu dans le cadre d’une autre affaire, n’avait tout simplement pas été prévenu. Du côté de la partie civile, les avocats se sont empressés de demander le report du procès. La grande majorité d’entre eux avaient été commis d’office dix jours auparavant. Ils n’avaient pu avoir aucun contact avec leurs clients.

Adel Hannachi, lui, avait été désigné la veille : « C’est la section régionale des avocats de Tunis qui m’a appelé. Je n’ai pas eu de contact avec mon client. Je souhaite du temps pour travailler le dossier », expliquait-il à la fin de l’audience, en ouvrant son dossier qui ne contenait qu’une simple feuille A4 volante où ne figurait que le nom de son client. Il le croyait mort. Une simple recherche Google montre qu’il est en vie. L’avocat estimait pourtant le processus tout à fait normal. Ayman Allah Ouechtati défendait également une victime britannique. Il estimait cette première audience d’une qualité particulière : « Je suis confiant. J’ai été étonné que cela se passe aussi bien. Nous avons eu un juge patient, qui prend le temps d’écouter. Espérons que cela se passera toujours ainsi. »

Crainte d’une ingérence

Inès Harrath, elle, était moins convaincue par le bon déroulement du procès : « Je ne suis pas tellement ravie de l’attention qui tourne autour de ce procès. La salle est petite, les journalistes prennent la place des familles. » L’avocate de la défense craignait également une ingérence extérieure : « Il est fréquent de croiser des étrangers au pôle antiterroriste. Des Britanniques, des Américains, des Français… On ne sait pas ce qu’ils font là. Nous attendons des heures pour avoir des réponses, des informations. Eux, ils ont la priorité. » Une position avancée par Mehdi Zagrouba durant l’audience. L’avocat a dénoncé « des pressions politiques de la Grande-Bretagne » en pointant du doigt les représentants de l’ambassade présents – 30 des 38 victimes de Sousse étant britanniques. Le juge l’a rappelé à l’ordre, lui demandant de se concentrer sur le dossier. Après le 26 juin 2015, le pays avait déconseillé formellement à ses ressortissants de se rendre en Tunisie, avant d’assouplir les consignes en juillet dernier.

Six membres des forces de sécurité sont sur le banc des accusés dans le procès de Sousse. Ils doivent répondre de « non-assistance à personne en danger ». En cause notamment, l’intervention jugée tardive de la police. L’attaque a fait l’objet d’une procédure devant la Cour royale de justice de Londres. Le juge Nicholas Lorraine-Smith avait rendu, début 2017, ses conclusions, estimant que la police tunisienne avait réagi de façon « chaotique » : « Sa réponse aurait pu et dû être plus efficace. » Fathi el-Mouldi, avocat d’un des policiers, mettait en garde, lui, avant l’ouverture du procès : « On s’attend à des peines exemplaires. Mais attention aux abus. Il ne faut pas condamner des personnes simplement pour faire plaisir à la Grande-Bretagne. »

Les « petites mains »

Les autres inculpés, eux, sont soupçonnés d’avoir aidé Seifeddine Rezgui, l’auteur de l’attaque. Ils sont poursuivis pour « crimes terroristes », « homicides » et « complot contre la sûreté de l’État » d’après le parquet. La majorité de ces jeunes ont été arrêtés pour avoir eu un contact avec le terroriste, avoir fourni un téléphone… Même chose pour l’affaire du Bardo : on reproche aux accusés le téléchargement de l’application Telegram (système de messagerie sécurisée) sur un téléphone, ou encore le fait d’avoir accompagné un des terroristes lors de l’achat d’un scooter… Ce sont donc surtout des « petites mains », alors que les cerveaux sont en fuite ou morts, notamment dans les combats contre Daech dans la Libye voisine.

Certains des inculpés sont cités dans les deux affaires. C’est le cas notamment de Chokri Yahyaoui et Mohamed Ali Mna. Leur avocat, Slah Barakati, souhaite que les deux dossiers soient reliés : « Nous ne pouvons pas les dissocier. Il faut une étude concomitante des affaires de Sousse et du Bardo, car ce sont les mêmes personnes, le même mécanisme, la même planification. » Une demande qui semble difficile à mettre en œuvre, selon un diplomate occidental : « Chacun des dossiers étant très lourd, les rassembler prendrait encore plus de temps. »

Torture et « rôle moral » 
pour la Tunisie

Slah Barakati a profité de l’audience du 26 mai pour évoquer la brigade El-Gorjani, qu’il accuse de « tortures et d’agressions ». Inès Harrath confirme : « Il y a eu des aveux extorqués sous la torture. » Elle défend un homme en prison depuis août 2015. Accusé notamment d’appartenance à un groupe terroriste et d’utilisation d’armes, sans preuve concrète de son implication selon elle : « Il est en prison parce que son frère, qui est en fuite, est l’ami d’une personne qui connaît Seiffedine Rezgui… » Dans le même registre, Ahmed Labidi a tenté de mettre en exergue les failles de l’instruction : « Mon client a été arrêté sur des ‘peut-être’. Le principal témoin dit qu’il n’a pas vu mon client contacter Ashraf Sandi (un autre inculpé) mais que peut-être, probablement, il l’a fait. L’accusation ne peut pas se baser sur un ‘peut-être’. »

La justice tunisienne fera-t-elle mieux que ses forces de sécurité en 2015 ? Malgré les difficultés et l’aspect quasiment inédit de ces procès touchant des victimes étrangères, peu en doutent. Une ONG spécialisée dans les questions juridiques note que la Tunisie a parfaitement mené, en 2012 et 2014, les procès concernant les morts et blessés pendant la révolution de 2011 : « Nous ne parlons pas des verdicts, mais en termes de gestion des audiences, de logistique, de mise en œuvre, d’accès à la presse, c’était réussi. La Tunisie peut renouveler l’expérience avec les procès du Bardo et de Sousse. C’est d’ailleurs un rôle moral pour ce pays qui combat le terrorisme. »

Doléances françaises

Gérard Chemla, avocat de plusieurs victimes françaises du Bardo, va plus loin : « Des personnes étrangères ont été ciblées sur le sol tunisien. Ce sont des personnes qui ont été agressées dans un contexte détendu de vacances. Je n’ai pas de leçon à donner à la Tunisie. Mais nous attendons que l’État prouve sa capacité à mener un procès d’une telle envergure. »

Les avocats français ont une liste de doléances longue comme le bras. Comme Gérard Chemla, Géraldine Berger-Strenger avait fait le déplacement à Tunis le 31 octobre dernier pour la seconde audience du procès du Bardo. Ses clients, eux, étaient restés en France. « Les psychologues déconseillent à mes clients de revenir en Tunisie. Il y a un risque d’aggraver les souffrances. Mais ils veulent tout de même suivre le processus judiciaire. C’est pour cela que nous demandons la mise en place d’un système de visioconférence. Il est important que les victimes aient accès aux informations. » L’avocate ajoute qu’aucune aide juridictionnelle n’est prévue par la France comme par la Tunisie pour soutenir ses clients.

Autre problème, la traduction du dossier de l’arabe au français. Les avocats de l’Hexagone n’ont reçu que 10 à 15 pour cent du document et demandent une prise en charge financière de la traduction du reste du dossier. À l’ambassade, on botte en touche : « Nous conseillons aux victimes françaises de prendre des avocats tunisiens. Cela limite les frais, sachant qu’un avocat français est de toute façon obligé de prendre un correspondant local pour un procès qui a lieu à Tunis. »


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