Théâtre : À la vie, à distance

La pièce « Love Letters » a déjà été jouée dans le monde entier par tout ce que le théâtre compte de monstres sacrés. Le TOL a bataillé ferme pour pouvoir monter sa version, mais ne pouvait imaginer la mettre en scène comme tout le monde. Et c’est réussi.

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(Photos : Ricardo Vaz Palma)

Il y a dans « Love Letters » ce charme probablement désuet des relations épistolaires, désormais compromises par l’instantanéité des services de messagerie. Comment structurer un message d’amour sur Snapchat, utiliser toute sa palette de rhétorique amoureuse dans un courriel ?

Pour Andy et Melissa, ces questions ne se posent pas. C’est à huit ans qu’ils commencent leur correspondance, par une simple réponse à une invitation pour un goûter d’anniversaire. Pendant les cinquante années qui suivent, ils vont s’échanger des lettres. Ironiques, sérieuses, gentiment provocatrices, parfois même absentes lors d’épisodes de bouderie, ces missives racontent une relation amoureuse pas complètement platonique, mais où les choix et obligations de la vie font que, à aucun moment, ces deux personnes dont on comprend qu’elles sont faites l’une pour l’autre ne seront ensemble.

« C’est un message magnifique, qui m’a énormément touchée : comment, au fond, ne pas passer à côté de sa vie », confie Véronique Fauconnet, directrice du TOL, qui incarne Melissa sur scène. Car Andy va devenir sénateur et Melissa exposer dans les plus grandes galeries. Mais leurs positions sociales enviables ne les satisferont pas pleinement car, oui, ils vont découvrir au fil des ans que c’est peut-être ensemble que leurs vies auraient eu un sens.

Conformément aux indications de l’auteur A. R. Gurney, « Love Letters » est en général montée avec deux comédiens lisant les lettres assis à une table. L’intelligence du texte, sa faculté à faire passer du rire aux larmes en étalant les bas et les hauts d’une relation amoureuse impossible ont fait de la pièce un succès mondial. D’autant que les comédiens n’ont pas vraiment à apprendre le texte ou une mise en scène complexe, puisqu’ils lisent les lettres sans interagir.

1356_event_love_letters_1Pas question pour le TOL cependant de céder à la facilité. Pour Marion Poppenborg, metteuse en scène, « procéder de la sorte, je trouve ça un peu ennuyeux ». C’est qu’il a fallu obtenir, après plusieurs années de négociations, une dérogation pour pouvoir jouer le texte en français ailleurs que dans l’Hexagone. Impossible dès lors de ne pas couronner ces efforts d’une mise en scène inventive. Poppenborg a donc supprimé la table et instillé une bonne dose de mouvement dans une pièce habituellement statique. Ce choix heureux permet à Véronique Fauconnet de mettre en valeur de façon persuasive le caractère déluré de son personnage, qui contraste avec la retenue et le conformisme guindé d’Andy, incarné par un tout aussi convaincant Frédéric Frenay.

Les deux comédiens lisent ou jouent donc, selon les moments. Un équilibre pas si simple à trouver : « Passer de la lecture au par cœur est un exercice très difficile, d’autant que Marion Poppenborg tenait à la lecture pour certains passages », explique Véronique Fauconnet. Le décor de la scénographe Jeanny Kratochwil, fait de lettres punaisées aux murs, sert de lieu de stockage. Et si jamais la lettre est introuvable dans cet imbroglio de feuilles ? « Il m’est arrivé pendant une représentation de ne pas retrouver mon texte à lire, mais finalement je le savais ! », plaisante Frédéric Frenay.

Qu’ils lisent ou qu’ils jouent, de toute façon, les comédiens parviennent à rendre palpable cette passion amoureuse à distance. Et tout ça presque sans un regard, presque sans se toucher : une véritable gageure dont ils se sortent avec les honneurs, et qui confère à la pièce une autre dimension, plus dynamique que celle qu’elle présente habituellement. S’il ne se voit pas proposer de stars, le public grand-ducal a en tout cas droit à une bonne dose de créativité qui fait mouche.

Au Théâtre ouvert Luxembourg, 
ce vendredi 29 janvier et les 3, 4, 5, 11 et 12 février à 20h30, ainsi que ce dimanche 31 janvier à 17h30.

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