Théâtre : Ça casse, mais ça passe


Le théâtre social s’invite au Centaure avec « Cassé », une pièce qui présente sur le mode comique toute une galerie de personnages que le monde du travail a cabossés, sans aucun misérabilisme.

Un jour, peut-être, la souffrance au travail ne sera plus qu’un mauvais souvenir. Eugénie Anselin et Caty Baccega dans « Cassé ». (Photos : Bohumil Kostohryz)

Dix-huit ans de Prodex… et puis la porte. Christine ne s’en remet pas, et plonge peu à peu dans les anxiolytiques, aidée par son médecin qui, surmené, ne va pas bien lui non plus et s’accroche à sa patiente. Le mari, Frédéric, informaticien, est doucement mis au placard dans son entreprise, mais trouve un côté positif à sa déchéance professionnelle qui le conduit à sortir les poubelles. Au grand dam de Jean-Bernard, syndicaliste impuissant qui ne peut que compter les accidents de la vie provoqués par un travail aliénant. Comme si ces victimes de l’économie échevelée ne suffisaient pas, s’y ajoutent l’amie secrétaire confrontée au harcèlement permanent, le voisin qui ne survit qu’au moyen d’une modeste fraude sociale et les parents, archétypes détonants du mariage mixte entre grande bourgeoisie et prolétariat. Les licenciements, les délocalisations, la souffrance au travail, les vagues de suicides dans certaines entreprises trouvent dans la pièce une illustration quasi exhaustive pour un thème dans l’air du temps.

Est-ce à dire que l’atmosphère est plombée de bout en bout ? Que nenni ! La force de l’écriture de Rémi De Vos est de tourner ces destins pesants en dérision, d’introduire le social dans le vaudeville, de faire rire de ce qui devrait faire pleurer. Quitte à en faire trop au début, avec ces saynètes qui flirtent avec le comique de situation répétitif qu’on peut voir dans les miniséries tant à la mode actuellement. Mais on comprend vite que ce n’est qu’un artifice, afin de mettre en place une petite mécanique bien réglée : puisque les suicides sont légion chez l’employeur de Frédéric, pourquoi ne pas en profiter ?

Le vaudeville prend alors son rythme de croisière, avec son personnage obligé : le placard. Pas celui de l’entreprise, non, celui de l’appartement de Christine et Frédéric. Et le tragique de se mêler au comique, le rire franc aux larmes contenues. Dommage seulement que sur la fin, De Vos, au lieu de s’en tenir à la pure fiction, pastiche un épisode d’émission de témoignages trop didactique qui redonne un goût de télé bon marché. Mais au vu de sa maîtrise de l’humour sur un tel sujet, qui grince, crisse, mais jamais ne ridiculise ses personnages, on lui pardonnera aisément.

La mise en scène de Myriam Muller, aidée par les costumes délicieusement archétypiques de Christian Klein, tient parfaitement tout son petit monde et apporte un dynamisme qui renforce l’effet comique. Telle la souplesse exigée dorénavant de tout travailleur consciencieux, les parois du décor tendent des élastiques au rebond garanti dans le mauvais sens. Le mouvement est roi sur le plateau, les déplacements multiples, comme pour faire contrepoint à l’immobilisme social qui atteint les personnages.

Des personnages incarnés avec conviction par les acteurs. On ne pourra pas les citer tous ici ; c’est pourquoi on retiendra la performance remarquable de ceux qui incarnent le couple principal. Caty Baccega est de toutes les scènes, tantôt énergique et maîtresse d’elle-même – voire des autres – tantôt épuisée par le fardeau d’une déchéance sociale inéluctable, et Jules Werner se révèle docile à souhait dans son rôle de victime consentante du système. Si l’on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui, alors les spectateurs du Centaure sont en très bonne compagnie.

Au Théâtre du Centaure, les 12, 13, 16, 
19, 23 et 24 mai à 20h et les 14, 18 et 
21 mai à 18h30.

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