Tobias Lindholm : À la guerre comme à la guerre

« Krigen » dissèque la participation danoise aux troupes de l’Otan en Afghanistan – un film loin des hagiographies américaines sur le même sujet.

La méfiance comme base de la communication entre soldats danois et paysans afghans.

La méfiance comme base de la communication entre soldats danois et paysans afghans.

Soldat exemplaire, le commandant Claus Michael Pedersen dirige un petit bataillon dans une province afghane. Officiellement, les troupes danoises ne sont pas parties pour faire la guerre, mais pour maintenir la paix et aider les civils. Une aporie qui se traduit sur le terrain par des patrouilles absurdes, des démêlés avec les locaux empreints de tensions et un jeu de cache-cache avec les talibans qui devient de plus en plus meurtrier. Quand un de ses hommes se fait déchiqueter par un « IED » – une mine faite main par les talibans -, Pedersen décide de s’impliquer davantage dans les patrouilles.

Avec ses hommes, il fait la connaissance d’une famille pauvre qui lui quémande de l’aide pour sa fillette, gravement brûlée au bras. Les Danois fournissent leur aide et l’inévitable arrive : les talibans, ayant eu vent du recours aux soldats de l’Otan, menacent la famille de mort. Celle-ci implore les Danois de les protéger dans leur bastion, mais Pedersen, qui s’en tient à ses instructions, refuse. Il promet de leur rendre visite le lendemain avec ses hommes pour « chasser le taliban ». Mais c’est trop tard. Arrivés sur les lieux, les militaires ne trouvent que les quatre cadavres de la famille exécutée par les fanatiques. Alors qu’ils veulent se retirer, l’artillerie ennemie les attaque et un soldat danois est gravement touché et en danger de mort. Le commandant décide alors de faire bombarder la maison d’en face, qu’il suspecte d’être l’origine des tirs, pour pouvoir évacuer ses hommes. Mais il s’est trompé : dans la bâtisse – le « Compound 6 » – se trouvaient des civils. Cette demande de frappe aérienne va lui valoir un procès devant le tribunal militaire danois. Et Pedersen se retrouve tiraillé entre la vérité de sa faute et la nécessité de remplir son rôle de père de famille.

Bien qu’il ne soit pas un chef-d’œuvre, « Krigen » est un film important, car il prend le contre-pied des films américains sur les guerres en Afghanistan ou en Irak. Ce n’est pas un « Danish Sniper », mais un récit fidèle de la dure réalité de la guerre. Entre l’ennui au camp, la nervosité accrue pendant les patrouilles où les talibans les prennent pour cibles et le questionnement du bien-fondé de leur mission, le moral des soldats souffre. Surtout parce que, en fin de compte, ceux-ci ne peuvent rien faire pour la population civile, tiraillée entre les talibans et le refus de coopérer avec une armée occupante pour préserver leur honneur. La base du contact reste toujours la méfiance.

Le plus de « Krigen », c’est aussi de montrer ce qui se passe en cas de faute des militaires. Car ordonner un bombardement aérien contre une cible non identifiée est passible de la perpétuité, au cas où des civils meurent. Bien qu’il ait commis cette faute dans le feu de l’action et pour sauver la vie de son soldat, une condamnation de Pedersen semble inévitable. Sauf s’il se décide à mentir et à prétendre qu’il avait vu des tirs venant du « Compound 6 ». Ce qu’il se résout à faire : s’il n’a pas pu sauver la vie des familles afghanes, il sauvera au moins la sienne, même si ça lui coûte sa bonne conscience de militaire. D’ailleurs, un tel cas s’est réellement produit à ­Kunduz : un gradé allemand a demandé une frappe aérienne qui s’est soldée par 124 morts civils. L’affaire s’était aussi conclue par un non-lieu.

En ce sens, « Krigen » ne questionne pas uniquement la guerre de l’Otan en Afghanistan, mais le concept de guerre « humanitaire » tout court. C’est une gifle à tous les politiciens et autres hommes publics – comme BHL, qui vient d’ailleurs de récidiver avec un film sur les peshmergas – qui veulent nous faire croire qu’il y a de bonnes et de mauvaises guerres. Il n’y en a que des mauvaises. Dont acte.

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