TTIP : État d’exception

La simili-transparence instaurée par la salle de lecture pour députés, qui pourront y consulter les documents du TTIP sans pouvoir en parler après, n’est pas un pas en avant, mais une insulte de plus à ceux qui réclament que lumière soit faite.

Ce ne sera sûrement pas la dernière fois: la plateforme « Stop TTIP » proteste devant la « Heeschefra ».

Ce ne sera sûrement pas la dernière fois: la plateforme « Stop TTIP » proteste devant la « Heeschefra ».

« Humiliant, mais moins humiliant qu’avant, lorsqu’on ne savait rien de ce qui se disait dans les négociations autour du TTIP » : c’est ainsi qu’en bon socialiste le député Yves Cruchten a résumé les dispositions qui lui permettront de consulter en chambre obscure les documents concernant le TTIP – enfin, ceux qui n’ont pas encore « leaké » à la presse. Car, entre-temps, plus d’une trentaine de documents TTIP, ainsi que des documents ayant trait aux négociations, comme les positions de certains gouvernements ou de la Commission européenne, ont été rendus publics. Sciemment pour certains, comme le mandat de négociation que s’est donné la Commission. D’autres ont été rendus publics par des députés européens comme le Vert Sven Giegold et son collègue Michel Reimon. Et puis la presse a aussi joué son rôle, avec des sources qui ont transmis des documents au « Guardian », au « Huffington Post », au « Financial Times », à l’hebdo allemand « Die Zeit » ou à la journaliste du « Washington Post » Lydia DePillis. Finalement, les ONG comme Lobbycontrol, Correctiv et autres ont aussi joué leur rôle. La plateforme Wikileaks a d’ailleurs débuté une opération de financement participatif l’été dernier, essayant de réunir 100.000 euros pour récompenser la personne qui dévoilerait l’intégralité du traité au public.

Reste à savoir si, pour les députés luxembourgeois, c’est la carotte Wikileaks ou le bâton draconien des autorités américaines qui l’emportera. Car les conditions de consultation sont particulièrement sévères : pas de portable, pas de stylo, pas de possibilité de se faire traduire les documents, tous écrits dans le plus bel anglais de juriste (pour une fois, le fait que notre Chambre des députés compte tant d’avocats d’affaires pourrait donc être un avantage) et surtout pas question de débattre en public de ce qu’on a pu lire et comprendre dans la petite chambre. Certes, c’est moins humiliant qu’en Allemagne, où les députés du Bundestag doivent encore composer avec un surveillant à leurs côtés, qui veille à ce qu’ils n’enfreignent pas les règles. Cela n’empêche que, en démocratie, un tel procédé reste tout simplement inacceptable.

100.000 euros de récompense

Ce n’est pas pour rien que la plateforme « Stop TTIP » luxembourgeoise parle d’une « muselière » imposée aux élu-e-s du peuple et déplore l’impossibilité d’un débat public. Elle va même plus loin en insinuant que les députés devraient faire preuve de « désobéissance civile » en libérant la parole sur la place publique.

Pas sûr que cela se fera tout de même. Même le député Déi Lénk Serge Urbany ne s’est pas montré scandalisé outre mesure par les conditions de consultation. Bien sûr qu’il a déploré l’interdiction d’en parler en public, et il veut qu’au moins les députés puissent échanger en commission parlementaire sur ce qu’ils ont pu entrevoir sous le rideau levé pudiquement sur les négociations TTIP, mais ce n’est pas un refus net des conditions. Celui-ci est venu – ironiquement – du député CSV Laurent Mosar, qui a employé un ton beaucoup plus polémique. Dommage seulement que ce ne soit pas vraiment crédible. S’il n’était pas bloqué sur les bancs de l’opposition, gageons que Mosar aurait un ton beaucoup plus conciliant envers les Américains.

En somme, cette simili-ouverture n’a donc fait que déclencher un énième épisode de cirque politique, tandis que la société civile, elle, doit toujours se contenter des miettes leakées çà et là.


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