Urban art
 : Musée à 
ciel ouvert

La quatrième édition du Kufa’s Urban Art Festival dépasse pour la première fois les frontières de la ville d’Esch pour se manifester un peu dans tout le pays et en Grande Région. Sinon, le festival est surtout une belle occasion de voir le travail des artistes urbains de près.

Okuda devant son travail à venir au rond-point
Um Däich à Esch. (Photos : woxx)

On connaît le phénomène que nous ont décrit nos connaissances tatouées : dans la plupart des cas, ce n’est pas au premier qu’on s’arrête. Au contraire, une première image est souvent le point le départ d’une œuvre entretenue et poursuivie tout au long de l’existence. Il se pourrait que cette loi qui vaut pour le tissu humain vaille aussi pour le tissu urbain. C’est en tout cas ce qu’on peut conclure de l’expérience eschoise. Commencée en 2014 avec une édition qui se restreignait encore aux murs de l’ancien abattoir devenu Kulturfabrik – et qui de toute façon avait toujours eu des peintures murales connues du public -, le Kufa’s Urban Art Festival s’est petit à petit développé et s’est mis à tatouer des murs un peu partout dans la métropole du fer.

Que ce soit sur la façade de l’école du Brill ou sur un local technique sis derrière une petite place adjacente à la rue du Canal, les Eschois ne s’étonnent plus de ces interventions artistiques étonnantes qui se multiplient chaque année.

C’est aussi le cas pour l’édition 2017, qui mettra en œuvre pas moins de 12 interventions urbaines sur le territoire de la ville d’Esch – suivie par les villes de Wiltz, Niederanven, Ettelbruck, les communes françaises de Thil, Villerupt et Longwy, Libramont en Belgique et Trèves en Allemagne. On remarquera l’absence de la capitale luxembourgeoise dans cette liste. Mais peut-être que l’urban art n’est pas assez chic pour la ville de Luxembourg, ou que les propriétaires n’en ont rien à faire.

Esch, ville tatouée

Le tout culminera dans un vrai festival musical et artistique qui aura lieu le 1er juillet sur la place de la Résistance (ou place du Brill) à Esch. Y seront présents des artistes de hip-hop internationaux et locaux castés pour l’occasion par le collectif minettois De Läb, des danseurs et danseuses hip-hop, avec en prime des démonstrations de sports urbains, des expositions et plein d’autres activités évoquant le style de vie urbain.

Tout cela peut sembler bien abstrait : c’est pourquoi le woxx a rencontré un des 12 artistes qui embellissent les rues d’Esch-sur-Alzette cette année. Plus précisément Okuda, qui, comme son nom ne l’indique pas, est originaire d’Espagne. Son nom ne vous dit peut-être rien, mais vous avez sûrement déjà vu une de ses nombreuses œuvres parsemées à travers les capitales du monde entier. Vers la mi-juin, il a fini une de ses plus grandes peintures murales dans le 13e arrondissement de Paris : une Joconde de cinquante mètres de haut sur un bâtiment HLM.

Mais avant, il a ferraillé de son pinceau et de ses sprays dans des villes comme New York, Bangkok, Hongkong ou encore Oviedo en Espagne, où il a transformé une ancienne église en skate park. Il est actif sur le terrain depuis 1997 et son CV est donc bien rempli de street art, mais aussi d’expositions « normales » (il a un studio depuis 2009). Il compte parmi sa clientèle des villes, mais aussi des multinationales pour lesquelles il exécute des commandes régulièrement.

On retrouve l’artiste et sa bande attablés à la terrasse d’un petit restaurant portugais, en face du rond-point Um Däich au centre de la ville – c’est sur les piliers du viaduc ferroviaire qui passe au-dessus de nos têtes et sur les murs d’un local technique sis de l’autre côté du rond-point qu’Okuda laisse sa créativité s’épancher.

« Je ne me rappelle plus très bien si ce sont les organisateurs qui m’ont proposé cet endroit, ou si moi je l’ai choisi entre différentes possibilités », déclare-t-il. En tout cas, pour lui, c’est un endroit idéal, et il s’y sent déjà à l’aise, même s’il n’est arrivé qu’il y a 24 heures et qu’il partira dans deux jours rejoindre sa prochaine destination artistique. « J’ai déjà pu visiter une exposition avec différents artistes du coin (« Beautiful Decay » à Bettembourg, ndlr) et tout ce que j’ai vu m’a bien plu. L’endroit ici est un peu spécial par rapport à ceux où je travaille habituellement. Normalement, je préfère travailler en hauteur, pour faire des choses qu’on voit de loin. Mais je comprends que dans ce petit village on n’ait pas trop de bâtiments qui partent en hauteur. »

Du fluo pour le rond-point

Quant aux peintures murales qu’il compte laisser dans la deuxième ville du pays, il s’est mis en tête de faire briller des portraits de personnes réfugiées sur les murs. Son inspiration n’est pourtant pas uniquement politique : « Je ne dirai jamais de moi que je suis un artiste engagé. La politique, en général, je m’en fous un peu. Certes, parfois des motifs politiques apparaissent dans mon art, mais c’est uniquement quand je sens que ça colle avec l’environnement. Moi, ce qui m’importe le plus, c’est de pouvoir laisser libre cours à mon art et à mon imagination. »

C’est aussi une des raisons pour lesquelles Okuda n’est pas – comme nombre de ses acolytes – quelqu’un qui se tient à cent pour cent aux propositions qu’il fait : « Certes, je fais des croquis et des plans sur ordinateur. Mais une fois que j’ai commencé, je veux pouvoir garder ma liberté de travailler. C’est pourquoi, souvent, les plans changent profondément au cours de mon travail. »

Sa patte est le recours systématique à des couleurs très fluorescentes. Et une distribution de ces couleurs selon des motifs géométriques qui composent alors les figures qui vivent dans ses tableaux. Cela rappelle un peu Sonia Delaunay et d’autres artistes modernes, un héritage qu’Okuda ne récuse pas, tout au contraire : « Je me suis toujours inspiré de grands maîtres de la peinture, que je voulais transposer sur des murs. Par contre, je ne m’inspire pas trop de mes collègues – je respecte leur travail, et il y en a que j’aime vraiment. Pourtant, pour moi, mon art se développe selon mes goûts personnels et selon ma créativité qui vit au mieux pendant que je travaille. »

Artiste protéiforme qui doit toujours s’adapter à de nouvelles surfaces, Okuda est donc aussi quelqu’un de têtu en ce qui concerne la conception de son art. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir une vision très généreuse de sa créativité. À la question de savoir si ça ne lui fait pas un peu mal au cœur de devoir laisser derrière lui chaque fois une pièce après l’avoir terminée, et de passer dans la ville suivante, il répond : « Non, pas du tout. Au contraire, j’aime l’idée d’avoir laissé une partie de mon cœur, de ma créativité dans une ville où jamais je n’avais mis les pieds. L’idée que mon œuvre, donc moi, est parsemée sur la planète entière me plaît vraiment. »

La seule chose qui le taraude un tant soit peu, c’est la pérennité de ses peintures murales. « Parfois, mais seulement très rarement, je vais voir un de mes vieux travaux quand je suis dans le coin. C’est toujours avec un peu d’anxiété que je m’y confronte, mais j’aime bien quand ils sont encore dans un bon état. »

À la ville d’Esch-sur-Alzette donc de conserver ces toiles de maître pas comme les autres, pour que la ville tatouée brille encore longtemps de leurs couleurs.

Kufa’s Urban Art Festival : le 1er juillet sur la place du Brill (place de la Résistance). Plus d’informations : www.kulturfabrik.lu


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