Vingt ans du CNL
 : Voyeurisme consenti

Bien plus qu’à voir de simples manuscrits corrigés, c’est à une incursion indiscrète et pourtant tolérée dans l’imaginaire d’auteurs luxembourgeois que convie l’exposition « Traces de corrections – Textes en métamorphose » au CNL. Un plaisir coupable et délicieux.

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L’inspiration n’attend pas : à l’occasion du vingtième anniversaire de la mort de Bertolt Brecht, Joseph Noerden lui rend hommage… sur un carnet de commandes de la brasserie Schultheiss à Berlin. (Photo : Centre national de littérature, L-180 ; I.1.1-183)

Voilà vingt ans que le Centre national de littérature (CNL) collectionne, archive et étudie le champ littéraire luxembourgeois. À cette occasion, une exposition exceptionnelle s’imposait. C’est donc à une plongée dans la gestation des œuvres, pas moins, que les visiteurs de la maison natale d’Emmanuel Servais à Mersch sont invités. La célébration de l’anniversaire de l’institution, cantonnée à une petite salle où l’on trouvera notamment le tapuscrit du discours d’ouverture de Léopold Hoffmann, s’efface donc intelligemment pour laisser place à de précieux documents issus des collections du CNL. Grâce à eux se lève un coin du voile de mystère qui enveloppe la création littéraire.

Mais d’abord, comment se forme le projet d’une œuvre ? Ce processus étrange appelle autant de réponses qu’il y a d’auteurs. Interrogés par le CNL, de jeunes écrivains se confient. Pour Nathalie Ronvaux, l’écriture débute « en dehors de son support » et les accumulations de notes ou de formes géométriques sur sa table de travail échapperaient à tout entendement : la vitrine ne propose donc qu’une liasse de feuilles blanches. Nora Wagener, au contraire, a confié une page A3 emplie d’une écriture manuscrite serrée où l’on peut voir de nombreuses corrections ; même si, désormais, elle explique avoir adopté l’ordinateur pour la clarté et la structure que celui-ci apporte. Si rien ne permet au visiteur de tirer des conclusions définitives, il se voit cependant donner des clés pour approcher au plus près l’alchimie de la création littéraire chez quelques auteurs.

À l’aide de documents soigneusement choisis, le CNL propose également de vivre de l’intérieur le cheminement d’une œuvre. « en titel: endlech: fir de roman ‘schacko klak’ » : c’est évidemment l’extrait d’un carnet de Roger Manderscheid. Dans la vitrine consacrée à l’écrivain, on peut découvrir un plan de son roman emblématique. Il est agrémenté de critères pour chaque chapitre, lesquels démontrent la méticulosité de l’architecture du livre. Sa genèse, sous l’influence du « Tambour » de Günter Grass, est également abordée. Du côté d’Edmond Dune, le clou de l’exposition est très certainement l’exemplaire unique avec illustrations originales réalisé par son ami Jean Vodaine (alors installé à Yutz) des « XXIV poèmes pour cœur mal tempéré ». Il était destiné au grand-duc Jean et à son épouse. Mais l’intérêt de la vitrine consacrée au poète est surtout de présenter plusieurs versions d’un même texte, offrant ainsi la possibilité de découvrir le travail d’évolution de strophes qui restent inachevées tant que leur auteur ne s’estime pas satisfait.

Impossible de citer l’ensemble des écrivains convoqués, mais on retiendra peut-être encore José Ensch, avec d’émouvantes épreuves commentées par une amie poète, ou bien Gilles Ortlieb, qui a confié au CNL manuscrit et tapuscrit corrigés de ses « Soldats ». Au fil des salles de cette petite mais dense exposition, on découvrira encore des pièces de Gast Groeber, Jean-Paul Jacobs, Lex Jacoby, Jean Krier… Tous les auteurs exposés, au travers des objets présentés, dévoilent une infime partie du processus de création artistique. Qui, bien entendu, conservera encore une bonne part d’ombre à l’issue de la visite, pour que persiste le mystère qui forge la fascination pour l’acte d’écrire.

Une exposition importante pour tous les amoureux de la littérature, luxembourgeoise ou non, et qui mérite amplement un déplacement à Mersch.

Au Centre national de littérature, à Mersch, jusqu’au 30 septembre 2016. Les visites guidées, sur demande pour grands et petits groupes, permettent également de mieux connaître le travail du CNL et de ses chercheurs.

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