Visite d’État au Japon : Space Sandwich

La deuxième journée de la visite d’État a été riche en contrastes : entre deux briefings ministériels, la délégation a eu droit à la ferveur populaire et à un voyage dans l’espace.

La foule en liesse attendant la venue de l’empereur divin. (© woxx)

Heureusement que les effets du décalage horaire vous réveillent tôt. Sinon, un briefing avec Jean Asselborn à 7h45 du matin aurait été chose impossible. Mais vu que toute la délégation luxembourgeoise est encore sous l’impact du décalage horaire, pas (trop) de problèmes pour se retrouver à cette heure matinale au cinquième étage de l’Imperial Hotel Tokyo pour entendre le bilan que fait le ministre des Affaires étrangères de la première journée de rencontres diplomatiques. Après avoir fait un court bilan des relations bilatérales entre les deux pays (une première visite d’ État de l’empereur Akihito au Luxembourg en 1997, suivie d’une visite du grand-duc Jean au Japon en 1999 – organisée par l’ambassadeur de l’époque Pierre Gramegna), Asselborn a évoqué la situation politique actuelle du Japon. Le premier ministre Shinzo Abe, un libéral qui ne rechigne pas à ressusciter les velléités militaristes et nationalistes nipponnes pour atteindre ses buts, a gagné haut la main les élections anticipées en dissolvant la chambre basse du Parlement en septembre de cette année. Disposant désormais d’une majorité des deux tiers à l’Assemblée nationale, il peut régner sans prendre garde à l’opposition.

Interrogé sur ce repli, le ministre des Affaires étrangères a d’abord mis en avant les chiffres problématiques qui plombent l’économie nippone : une dette intérieure de 9.300 milliards d’euros, soit 240 pour cent du PIB, et une population vieillissant rapidement (selon les projections de l’ONU, la population de 126 millions de personnes sera réduite à 86 millions à l’horizon 2060 – soit une perte annuelle d’entre 400.000 et 600.000 personnes, à quoi s’ajoute une immigration des plus minimales avec deux pour cent d’étrangers vivant dans l’empire, qui a accueilli le nombre faramineux de 16 réfugiés en 2016). Avec pour conséquence, selon lui, un boost des accords de libre-échange entre l’Union européenne et le Japon. « C’est le plus grand accord commercial jamais conclu avec l’Union européenne, et on le doit à la décision de l’Amérique de Trump de ne pas valider l’accord de libre-échange entre son pays et les pays du Pacifique (TPP) », commente Asselborn. Et d’ajouter que c’est une première que les accords de Paris – également boycottés par Trump – fassent partie intégrante des négociations et qu’ils soient acceptés comme base de négociation par les deux partis. Pourtant, pour ce qui est des fameux tribunaux d’arbitrage – révélés comme faisant partie des négociations par Greenpeace -, le ministre des Affaires étrangères s’est mis à patauger : « Pour moi, on pourrait faire sans », a-t-il commenté, avant de mettre en avant l’idée d’un tribunal international du commerce qui prendrait en charge les disputes éventuelles sur les accords de libre-échange. Bref, on n’est pas sortis de l’auberge sur ce point.

Étienne Schneider, Monsieur Espace du Luxembourg, Henri, grand-duc du grand-duché, Shinzo Abe, premier ministre du Japon. (© SIP / Charles Caratini, tous droits réservés)

Par contre, pour la délégation médias, il était grand temps de bouger. Et cette fois, même le woxx n’a pu échapper à une séance prolongée de protocoles impériaux et grand-ducaux. Ce qui n’a pas empêché que la journée soit tout à fait intéressante, entre les difficultés parfois rocambolesques de protocole et la réalité économique quotidienne du pays, qui se révèle une fois qu’on est sorti de la capitale. Concernant le protocole, citons juste quelques anecdotes glanées çà et là auprès de quelques officiels et officieux luxembourgeois : les Japonais – tout à leur image – attachent une grande importance aux plus petits détails. Ainsi, même la température des voitures dans lesquelles étaient transportées les altesses royales et impériales (25 degrés Celsius) ou encore les manches des parapluies à utiliser en cas de pluie (plastique ou bois) auraient été sujets à d’âpres négociations.

Bref, tandis que le dernier empereur et le dernier grand-duc de la planète (avec respectivement leur épouse et  fille) – un sujet tout de même apte à faire fondre un Stéphane Bern en moins de trois secondes – prenaient leur pied à bord du train à vapeur historique qui les transportait de Tokyo vers la ville de Tsuchiya, le peuple en liesse tout comme les représentants des médias trépignèrent sur place pendant une bonne heure et demie. Tout cela pour voir les altesses descendre du train et monter dans des voitures (préchauffées à 25 degrés) et faire le tour du pâté de maisons devant une foule en liesse. Une foule qui, pour l’observateur non japonais, était d’autant plus fascinante de par le contraste entre sa dévotion à l’empereur Akihito (qui ne se montre que très rarement en public et qui sera le premier empereur japonais à démissionner de son vivant à l’horizon 2019) et sa discipline absolue. Difficile d’imaginer un tel rassemblement de personnes aussi dociles en Europe.

Autre contraste, celui de la réalité économique nippone. Une fois sorti des lumières de la capitale, l’image du Japon à la pointe de la technologie se démythifie à vue d’œil. Ce n’est pas un pays du Tiers Monde, mais un paysage tout de même assez modeste qui s’offre à la vue des passagers du bus rempli de journalistes occidentaux. « Un peu comme un Foetz sans fin », peut-on entendre en traversant la énième zone industrielle tristounette et déglinguée au nord de Tokyo. Le niveau de vie : maisons petites et parfois de taille moyenne, chauffées par des bonbonnes de gaz vissées aux façades, alternant avec des échoppes, garages et autres PME, et des champs, voire des plantations de riz brunâtres. Ce n’est pas sans rappeler certains coins abandonnés en Wallonie ou en Lorraine.

Finalement rentrés à Tokyo – après un tour au Space Dome sur lequel on reviendra en détail la semaine prochaine dans notre édition imprimée –, c’était aux ministres Schneider et Gramegna de reprendre l’exercice des briefings ministériels. Une tâche plutôt facile pour le premier, qui put se targuer d’un geste lourdement symbolique – l’empereur visitant le Space Center – pour l’interpréter de façon propice à ses propres projets miniers dans l’espace. Tandis que le second est resté évasif et défensif. Mais bon : la journée décisive pour la mission financière se déroule aujourd’hui.


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