Oui, c’est un plaisir de retrouver le quasi-doyen des cinéastes new-yorkais qui retourne à ses anciennes amours. Mais à force d’autocitations, « Café Society » finit par donner comme une impression de déjà-vu.
Écrire sur un nouvel opus de Woody Allen est un exercice de style délicat. D’un côté, rares sont les films du réalisateur qui ne font pas l’événement – pour sa part, « Café Society » a ouvert le Festival de Cannes cette année – ou dont les mérites sont si ténus qu’on peut choisir de les ignorer. Mais le maestro a derrière lui depuis des lustres une nuée d’admirateurs qui, quel que soit le verdict de la critique, iront voir ses films ; l’auteur de ces lignes a d’ailleurs grossi leurs rangs voilà bien des années. Est-il pour autant vain d’analyser les longs métrages d’Allen ? Probablement pas, puisque c’est justement le petit bonheur des cinéphiles de tenir des conversations passionnées sur les mérites ou les ratés de l’opus de l’année.
Disons-le tout de suite : « Café Society » est agréable à regarder. Très agréable, même : on ne voit pas le temps passer (au début en tout cas), on sourit (plus que l’on ne rit franchement) et on a l’impression plutôt confortable, assis dans un fauteuil moelleux, de retrouver de vieux amis à l’écran. Car, si Allen a renouvelé quelque peu sa troupe, il est allé chercher son inspiration dans les thèmes qui lui ont réussi au fil des années. L’atmosphère des années 1930 est rendue à merveille, comme dans « Radio Days » ; le frère gangster du héros arrive tout droit de « Bullets Over Broadway » ; la romance emprunte un peu à « Annie Hall », etc. C’est donc à un festival de citations tirées de ses propres films que le cinéaste convie. Pas étonnant que les réactions soient positives dans l’ensemble : éminemment sympathique, le bonhomme a du métier et connaît son public. Pour enfoncer le clou, il se donne d’ailleurs le rôle du récitant.
Mais voilà, pour les amateurs exigeants, la gâterie est peut-être un peu trop sucrée. Jesse Eisenberg, dirigé par Allen pour la deuxième fois, joue… comme Allen. Comme Kenneth Branagh dans « Celebrity », par exemple. Kristen Stewart est séduisante à souhait, comme chaque jeune héroïne d’Allen. N’en jetez plus : nous sommes bien là dans un film du maître new-yorkais, mais dans quel film au juste ?
Pourtant, cette histoire de l’ascension sociale d’un jeune homme juif entre les sirènes d’Hollywood et la vie trépidante de New York dans les années 1930, qui lorgne du côté du film de gangsters pour des touches humoristiques et s’établit rapidement en comédie romantique, ne manquait pas de potentiel. Seulement, à force de s’autociter, Allen en oublie quelques fondamentaux : les dialogues n’ont pas le mordant habituel, le rythme n’a pas la virtuosité de ses meilleurs films. Si virtuosité il y a, c’est plutôt celle de Vittorio Storaro, le chef opérateur, qui du haut de ses 75 ans (et trois Oscars) assène une photographie diablement efficace qui rend le spectacle visuellement attractif.
À 80 ans, lui, Woody Allen semble perdre un peu de souffle. « Café Society » est une madeleine de Proust, un bel exercice où la nostalgie affleure plus que l’émotion. Cette atmosphère crépusculaire de fin d’une époque, on l’a déjà tellement vue… Mais l’animal a rebondi maintes fois, et son prochain film pourrait encore nous surprendre. Parce que, de toute façon, quand on aime Woody Allen, on se précipite dans les salles obscures à chaque nouvelle sortie. Quoi que les critiques puissent écrire.
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