Yórgos Lánthimos : Ode à la solitude

« The Lobster » est une dystopie sur une société dotée d’inquiétants parallèles avec la nôtre – un film hallucinant pour un public averti.

Se trouver un nouveau partenaire contraint et forcé n’est pas chose facile…

Se trouver un nouveau partenaire contraint et forcé n’est pas chose facile…

Il était – ou sera – une fois David. Un quadragénaire qui vient de se faire quitter par sa femme et n’en éprouve aucune grande émotion. Leur amour était mort depuis longtemps et leur couple une pure nécessité. Pourtant, être solitaire dans le monde dans lequel vit David est un risque. La société ne tolère que les couples, et ceux qui ne se trouvent pas un-e partenaire, passé un certain délai, sont envoyés vers un hôtel en province. Là, ils ont 45 jours pour se trouver une nouvelle âme sœur, sinon ils seront transformés en l’animal de leur choix.

Arrivé à l’hôtel en compagnie de son frère – déjà changé en chien -, David choisit le homard pour sa transformation. Car, dit-il, « un homard peut vivre une centaine d’années et rester fertile jusqu’à la fin de ses jours. Et puis, j’ai toujours aimé la mer ». Il participe sans grand enthousiasme aux activités de couplage : danses communes, cours grand public et excursions de chasse. Mais on ne chasse pas du gibier, mais des solitaires qui se cachent dans les bois près de l’hôtel. Abattus avec des flèches tranquillisantes, ils sont ensuite collectés pour être transformés en animaux. Juste avant que ce sort ne lui soit réservé aussi, David rejoint les solitaires et commet la seule gaffe à ne pas faire en leur compagnie : il tombe amoureux.

À film inhabituel, casting inhabituel – Yórgos Lánthimos a en effet réussi à démarcher une belle troupe de comédiens, qu’on n’aurait pas cru voir un jour apparaître dans le même film : Colin Farrell (dans le rôle principal), John C. Reilly, Léa Seydoux ou encore Rachel Weisz prêtent leur talent à la réussite de « The Lobster ».

L’esthétique déployée par Lánthimos fait dans les couleurs pastel tirant vers le gris, le vert, le brun et le blanc. Ce n’est que quand le sang coule que la couleur rouge fait son apparition à l’écran. Le cinéaste use aussi beaucoup de la rythmique, avec des passages en slow motion à répétition qui étirent les visages des acteurs comme lui étire les apparences de la réalité.

Entre conte de fées et « 1984 », « The Lobster » ne donne pas l’impression d’un film oppressant. Certes, les passages situés en ville sont tous empreints d’une atmosphère morne et moribonde, mais le réalisateur réussit à y introduire une certaine légèreté agrémentée de passages carrément comiques – car absurdes à nos yeux.

Et pourtant, la métaphore filée dans « The Lobster » est bel et bien une critique de notre société. Là où l’amour est réglé par la loi, là où la conversion à des valeurs devient une contrainte de vie ou de mort (sociale – la transformation en animal n’est qu’une façon de le montrer), là où finalement même chez les opposants triomphe une hiérarchisation forcée de la société, il ne peut y avoir de salut.

Certains critiques ont aussi vu dans « The Lobster » une façon de thématiser ce qui est arrivé au pays d’origine du réalisateur, la Grèce, et le fait que l’Europe a tout fait pour réduire à néant la volonté du peuple hellène. C’est peut-être aller chercher un peu loin, même s’il est vrai que la société que décrit Yórgos Lánthimos dans son film convient au rêve néolibéral : obéissante, flexible et exploitable à merci.

En ce sens, « The Lobster » est un vrai plaisir cinématographique, beau et incongru, qu’il ne faudrait surtout pas rater.

À l’Utopia

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