Yórgos Lánthimos : Qui va à la chasse…

Avec « The Killing of a Sacred Deer », Yórgos Lánthimos flirte comme dans « The Lobster » avec un surnaturel qui s’immisce dans la banalité des rapports humains. Malheureusement, le réalisateur grec tire un peu trop sur une corde désormais usée et manque la marche vers de nouveaux horizons.

Une relation d’abord ambiguë qui tourne rapidement à l’affrontement. (Photo : Atsushi Nishijima)

Lors de sa présentation cannoise, le nouveau film de Yórgos Lánthimos avait divisé la critique : d’un côté, des dithyrambes sur sa beauté formelle et l’univers visuel immédiatement reconnaissable d’un cinéaste doué ; de l’autre, des railleries sur le formatage pour les festivals d’un long métrage dont l’auteur peine à se renouveler. Le jury, lui, avait franchement penché du côté des enthousiastes en décernant, après le Prix du jury en 2015 pour « The Lobster », le Prix du scénario à « The Killing of a Sacred Deer ». Voilà donc le réalisateur grec dans le cercle restreint des doublement récompensés à Cannes.

Un deuxième prix étrange, en vérité, puisque le scénario n’est pas ce qu’il y a de plus réussi dans le film. On y rencontre Steven, brillant cardiologue, qui entretient une mystérieuse relation avec Martin, dont on apprendra qu’il est en fait le fils d’un patient que Steven a opéré et qui n’a pas survécu. Le jeune homme va s’immiscer dans l’existence bien réglée du chirurgien, bousculant les certitudes d’Anna, épouse parfaite, et la santé de Bob et Kim, deux enfants gâtés par la vie jusque-là. Le but de Martin ? Obtenir réparation, selon le principe « œil pour œil, dent pour dent ». On n’en révélera pas plus, excepté qu’il semble avoir des pouvoirs quasi vaudous.

À partir de cette idée somme toute intéressante, le cinéaste ne parvient cependant pas à clairement orienter son film entre thriller hitchcockien, cinéma fantastique et références à peine voilées au « Teorema » de Pasolini. À force de ne pas choisir, il n’obtient donc ni le suspense du premier, ni l’angoisse devant l’inconnu du deuxième, ni la beauté vénéneuse et transgressive du troisième. Le sang répandu a toujours un petit air d’ersatz et les répliques sonnent souvent faux. Les acteurs « bankable » que Lánthimos peut désormais se permettre d’engager s’en tirent relativement bien, avec une mention spéciale pour Barry Keoghan qui incarne un Martin mystérieux à souhait. On pardonnera à Colin Farrell sa passivité, qui semble dictée par la direction d’acteurs, et on compatira avec Nicole Kidman, qui réussit à impressionner dans un rôle plutôt terne.

En fait, tout se passe comme si le cinéaste refaisait le coup de « The Lobster » avec un budget démultiplié. Tout est ici plus grand, plus fort, plus appuyé, y compris les effets musicaux avec cordes stridentes pour figurer l’angoisse avant qu’elle s’installe. Tant mieux pour lui, mais on attendait un peu plus. Alors, certes, le cadrage, la photographie, les mouvements de caméra, tout participe d’une attention aux détails qui fait de « The Killing of a Sacred Deer » un film léché et d’une beauté formelle indéniable, quoique parfois asphyxiante… Mais gageons que cet effet est voulu, puisqu’on évoque dans cette histoire une relation toxique qui se développe et pousse à un ultime sacrifice.

Il n’en reste pas moins que la valse-hésitation du scénario et l’absence de renouvellement du réalisateur gâchent un film qui aurait pu aller beaucoup plus loin. Espérons que Yórgos Lánthimos saura se reconcentrer dans son prochain opus… qui a malheureusement l’air d’être une nouvelle grosse production.

À l’Utopia.

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