IMMIGRATION: Une affaire de choix

Impressionnant de voir comment, lors du dernier « Café des Humanités » de la Croix-Rouge, les vues sur l’immigration peuvent se téléscoper et se contredire selon l’appartenance ou non au gouvernement.

Mercredi dernier, l’ambiance cosy du café-restaurant de l’abbaye de Neumünster a été quelque peu perturbée par le débat qui y a pris place. Organisé par la Croix-Rouge luxembourgeoise, le thème était « L’action humanitaire auprès des migrants et des réfugiés ». Trois intervenants devaient donner leur point de vue sur l’action conjointe que mènent la Croix-Rouge et le ministère.

Premier en ligne, et premier concerné, le ministre Nicolas Schmit lui-même. Son astuce : ne parler que des relocations – donc de ces réfugié-e-s qu’on choisit dans des camps pour les installer chez soi. Il se limitait à n’évoquer que les « success stories », et surtout d’éviter la réalité inhumaine des rafles et des expulsions qui se pratiquent au niveau de l’Union. D’ailleurs, il est peut-être intéressant de noter que le ministre a refusé de qualifier les retours de réfugié-e-s
d’« expulsions ». Après s’être longuement épanché sur le fait que – pour lui – le cadre humain prédominait sur le côté politique de l’affaire, il en est venu au coeur de l’affaire. C’est-à-dire, le fatalisme légal utilisé par la politique pour éradiquer chaque doute sur l’inhumanité de la politique de la « forteresse Europe ». La combine consiste à regretter que l’écart entre la politique de relocation et la triste réalité des expulsions n’est « pas contradictoire mais inéluctable ». Ce qui veut dire deux choses : pour justifier les expulsions, Schmit se cache derrière un cadre légal – forgé tout de même par les hommes politiques – et en vantant le modèle de relocation, il admet entre les lignes sa préférence pour une immigration « choisie » – en opposition avec celle que l’Europe et le Luxembourg « subirait ». Pourtant, le programme de relocation luxembourgeois n’est pas tellement spectaculaire : 28 Irakien-ne-s – majoritairement chrétiens – ont été retenu-e-s pour vivre au Luxembourg. Il faut surtout garder en tête qu’en 2009, le Luxembourg a refusé 76 pour cent des demandes d’asile – 355 personnes en tout – et qu’il continue d’expulser des personnes dans des vols groupés, comme il l’a fait il y a une semaine en renvoyant cinq ressortissants nigérians. Or, comme l’ont rappellé Déi Lénk, Jonk Gréng et Déi jonk Lénk cette semaine, la pratique des vols groupés bafoue la convention européenne des droits de l’homme.

Les deux autres interventions venaient de membres de la Croix-Rouge. D’abord, Nadine Conrardy évoquait les difficultés des accompagnateurs et des observateurs neutres lors de retours forcés. Et d’affirmer que la Croix-Rouge luxembourgeoise est depuis 2007 demandeuse de participer à ces vols, ce qui est loin d’être le cas partout en Europe ou dans le monde. Ce sont ses témoignages personnels qui ont laissé entrevoir l’inhumanité de ces pratiques. L’observateur neutre est avant tout un observateur impuissant, qui ne peut pas vraiment réconforter les gens en voie d’expulsion, ni même exprimer son opinion. Surtout, elle a regretté la pratique des vols groupés – car ceux-ci ne permettent pas de connaître la situation des expulsé-e-s d’autres pays à bord, ce qui constitue une entrave au travail d’observateur. Tout comme le fait d’ailleurs qu’une fois arrivés à destination, les observateurs n’ont même pas le droit de quitter l’avion et n’ont donc aucune occasion de vérifier si l’accueil est convenable.

La dernière intervention fut celle d’Henri Goedertz, responsable du service Aidsberodung de la Croix-Rouge. Il évoquait la question des demandeurs d’asile déboutés et atteints du VIH. Pour le moment, il n’existe aucun règlement spécifique pour ces cas. Certes, chaque débouté-e séropositif-ve peut demander un sursis d’éloignement, mais le fait que ces personnes sont apparemment en bonne santé – grâce aux bons traitements anti-rétroviraux – peuvent entraîner des avis négatifs de la part du ministère. Or, comme l’a remarqué Goedertz, renvoyer quelqu’un-e dans un pays ou une région où ces traitements ne sont pas assurés, revient à l’envoyer directement à la mort. Il propose donc au ministère de méditer sur des critères pour ces cas, afin de ne pas commettre l’irréparable.

De ce « Café des Humanités », on peut surtout retenir que l’écart entre les politiques gouvernementales et le point de vue de la société civile ne cesse de grandir, faisant s’éloigner l’espoir d’une pratique humaine de l’immigration.


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