OGM : Résignation européenne

Le Conseil des ministres de l’Environnement de l’Union européenne est parvenu jeudi dernier à un compromis sur les organismes génétiquement modifiés (OGM), qui permet l’interdiction de culture au niveau national. L’abstention luxembourgeoise et les réactions à cet accord semblent sonner le glas des revendications tonitruantes d’interdiction paneuropéenne, pour ouvrir un nouveau chapitre de l’opposition à la manipulation du vivant.

Un large sourire pour Yiannis Maniatis : la présidence grecque du Conseil de l’Union européenne a oeuvré sans relâche pour un compromis en trompe-l’oeil.

La saga des OGM continue. Le compromis trouvé à Luxembourg, jeudi 12 juin, par les ministres de l’Environnement des Vingt-Huit était en effet très attendu (woxx 1254), notamment par l’industrie semencière qui piaffe d’impatience devant la lenteur de l’Union à s’accorder lors des procédures d’autorisation de mise en culture.

La nouveauté du texte, porté par la présidence grecque, réside dans la possibilité pour un Etat membre d’interdire la culture d’une variété transgénique sur tout ou partie de son territoire national. Les entreprises de biotechnologie sont d’ailleurs incitées dans un premier temps à limiter leurs demandes d’autorisation aux pays qui y sont favorables. Le communiqué de presse du Conseil de l’UE précise que cet accord n’a aucun impact sur la procédure d’évaluation préalable par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). Pour rappel, cette dernière a fait l’objet de controverses liées à des conflits d’intérêts sur la question des OGM (woxx 1253) ; mais l’accord signé à Luxembourg paraît déjà assez timoré sans qu’il soit besoin de lui reprocher un statu quo sur l’Efsa.

Une technologie pas exempte de risques

Les décideurs nationaux savent bien que la dissémination des pollens ne connaît pas de frontières. Pourquoi dès lors accepter le principe d’une interdiction nationale, fût-elle autorisée par des critères jusque-là irrecevables comme des arguments socioéconomiques, mais dans des termes qui n’assurent pas une sécurité juridique complète ? Pire, la possibilité de restreindre une culture au niveau national s’apparente à une concession mineure aux Etats récalcitrants : les instances européennes les espèrent par conséquent plus modérés à l’avenir lors des discussions d’autorisation, raccourcissant d’autant les délais honnis des industriels. Sous un masque d’avancée pour les anti-OGM, le compromis fait donc figure de tête de pont de l’industrie biotechnologique.

Si certaines manipulations génétiques ont des bénéfices certains – on songera à ce titre que, depuis 1981, la quasi-totalité de l’insuline utilisée pour traiter le diabète est produite à partir de bactéries génétiquement modifiées -, les variétés végétales transgéniques sont fortement critiquées. Trois catégories sont généralement évoquées : les risques environnementaux, sanitaires et socioéconomiques.

Les risques environnementaux résultent de la dissémination dans la nature de gènes modifiés, altérant les équilibres naturels sans que l’impact en ait été étudié au préalable. Les risques sanitaires, très médiatiques depuis l’étude controversée du professeur Séralini étudiant la formation de tumeurs sur des rats, comprennent allergies, toxicité et développement d’une résistance à certains antibiotiques pour les êtres humains. Les risques socioéconomiques, eux, revêtent une importance particulière car souvent ignorés au profit des deux premières catégories, plus concrètes pour un public moins averti : ils concernent d’une part la dépendance accrue des agriculteurs aux firmes multinationales, qui vendent des semences modifiées et des produits phytosanitaires conçus pour fonctionner ensemble ; d’autre part la marchandisation du vivant, avec la possibilité d’obtenir un brevet sur une espèce végétale transgénique – une logique néolibérale pleinement assumée donc. Le grand-duché, par exemple, ne mentionne pas cet aspect dans son accord de gouvernement, qui affirme vouloir « défendre sa position critique face aux OGM aussi bien au Luxembourg qu’aux niveaux européen et international » par la seule application du principe de précaution.

La Belgique et le Luxembourg s’abstiennent

L’accord signé la semaine dernière a donc rassemblé la quasi-unanimité des pays membres, à l’exception de la Belgique et du Luxembourg qui se sont abstenus. L’attitude de la Belgique s’explique par des raisons politiques très terre à terre : en l’absence d’un gouvernement fédéral issu des élections du 25 mai dernier, le pouvoir actuel, en affaires courantes, ne pouvait pas trancher entre les positions de ses entités fédérées. La Wallonie et la région de Bruxelles-Capitale sont opposées aux OGM, alors que la Flandre y est plutôt favorable : c’est en effet au Vlaams Instituut voor Biotechnologie de Gand que le premier plant de tabac transgénique a été développé et présenté en 1983 – sur son site, l’institut qualifie la publication scientifique issue de cette expérimentation de « document qui a lancé les biotechnologies vertes ».

L’abstention du Luxembourg, elle, mérite analyse. La ministre de l’Environnement, Carole Dieschbourg, a été très critique sur l’accord, pointant notamment le rôle disproportionné laissé dans le processus d’autorisation à l’industrie biotechnologique et allant jusqu’à craindre une « vague d`autorisation de cultures ». Pourquoi dès lors s’abstenir plutôt que voter contre un texte manifestement insatisfaisant ? Il s’agirait de « critiquer mais pas bloquer ». En effet, un refus clair pourrait être interprété comme une posture rigide défavorable à des négociations ultérieures. L’argument semble mince, tant la culture de la négociation fait de toute façon partie du processus de formation des accords du Conseil.

Mais il convainc Maurice Losch, de la fédération « Liewensmëttel ouni Gentechnik », qui suit le dossier depuis longtemps et travaille avec un gouvernement qu’il confirme pleinement engagé pour un Luxembourg et une Europe sans OGM. Il analyse l’approbation surprenante des pays historiquement opposés aux manipulations génétiques comme un vote pour bénéficier d’un outil supplémentaire dans leur arsenal de combat, et appelle ceux-ci comme le gouvernement luxembourgeois à continuer à « s’opposer à toutes les autorisations d’OGM au niveau européen ». L’interdiction nationale revêt donc aux yeux de Maurice Losch un caractère de dernier recours, imparfait mais malheureusement nécessaire au vu de la tournure que prend le dossier.

Les multinationales sablent le champagne

Martina Holbach, chargée des OGM chez Greenpeace Luxembourg, suggère que la belle harmonie de l’accord gouvernemental pourrait bien être quelque peu ébréchée sur ce sujet : les positions des ministères concernés – Agriculture, Santé et Environnement – ne seraient pas parfaitement en adéquation. L’ONG se félicite cependant du fait que le Luxembourg a montré la position la plus critique sur cet accord, même si pour elle un vote contre aurait été plus logique. Rappelant que Greenpeace revendique toujours une interdiction complète des OGM, elle explique qu’il s’agit maintenant de « choisir la meilleure option stratégique : travailler avec les députés européens afin que le Parlement nouvellement élu amende le texte pour une sécurité juridique accrue de l’interdiction nationale ». Martina Holbach garde en effet à l’esprit un serpent de mer autrement plus puissant, mais que Strasbourg devra aussi approuver : le futur traité transatlantique, qui pourrait signifier un assouplissement des règles sur les organismes transgéniques.

On constate donc une modération inhabituelle dans le discours d’associations pourtant farouchement opposées aux organismes transgéniques, rejoignant la modération gouvernementale luxembourgeoise matérialisée par une abstention. Tout se passe comme si une nouvelle phase d’opposition se dessinait, caractérisée par une orientation tactique plus axée sur la « realpolitik ».

« Il n’est pas correct que le Luxembourg se soit abstenu », martèle pourtant Justin Turpel, député Déi Lénk. « Si nous étions dans la situation américaine où l’on doit prouver la nocivité d’un produit pour interdire sa commercialisation, cet accord serait un progrès. Dans la situation européenne, il s’agit d’un recul. Cela s’apparente à un renoncement au principe de précaution, au bénéfice des multinationales. » Avec toujours en ligne de mire le futur traité transatlantique et ses concessions inacceptables : le fait que le compromis intervienne dans ce contexte n’a rien d’une coïncidence, selon le député de l’opposition, qui évoque aussi de possibles divergences de vue au sein de l’exécutif luxembourgeois sur le dossier.

Quelles sont les prochaines étapes ? Le texte doit d’abord être formellement approuvé par le Conseil de l’UE en première lecture ; on imagine mal une modification des positions nationales, tant la présidence grecque s’est activée pour parvenir au compromis. Le Parlement européen sera ensuite appelé à se prononcer sur le texte en deuxième lecture à l’automne, cette fois sous présidence italienne du Conseil. Optimiste, Maurice Losch se prend à espérer à cette occasion « un rôle fédérateur pour le Luxembourg », regroupant dans un front commun les pays traditionnellement opposés aux OGM. Justin Turpel souhaite lui aussi un sursaut sous la bannière du grand-duché. Même si les réactions étonnamment modérées au compromis permettent le doute raisonnable sur un tel scénario, espérons qu’ils aient raison, histoire de transformer en vinaigre de luxe le champagne que Monsanto, Bayer, Syngenta et consorts ont probablement débouché jeudi dernier.

Sur un thème connexe : la fédération Meng Landwirtschaft a organisé le jeudi 19 juin un pique-nique géant au Knuedler sur le thème « Se nourrir sans détruire ! », auquel plus de 250 personnes ont participé. Quelques photos de l’événement.

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