Les ingrédients d’un polar des plus classiques dans le chaudron d’une Chine oppressante, c’est la recette de « Black Coal », un des films les plus attendus cette année après son triomphe à la Berlinale.
Une ville industrielle de Mandchourie, en 1999. Les restes d’un corps sont découverts dans le convoyeur d’une usine de charbon, puis ailleurs dans toute la province. L’inspecteur Zhang enquête, mais une interpellation musclée qui dérape l’expédie à l’hôpital et l’empêche de boucler le dossier. Cinq ans plus tard, alors que ce traumatisme l’a fait sombrer dans l’alcool et qu’il s’est reconverti dans la sécurité, il retourne sur les traces du tueur après avoir appris de ses ex-collègues que des meurtres similaires ont eu lieu. Toutes les pistes convergent vers la jeune employée d’un pressing, qui était l’épouse de la première victime.
Auréolé d’un Ours d’or en février dernier – coiffant donc sur le poteau l’énorme machine du « Grand Budapest Hotel » –, « Black Coal » a débarqué dans les salles européennes sous une salve de critiques dithyrambiques. Fascination collective due à l’exotisme d’un film noir « made in China » ou véritable consécration d’un chef-d’œuvre du septième art ? On pourra y voir un peu des deux.
Le film est indéniablement pétri de qualités. Il reprend à son compte certains codes du polar classique : Fan Liao, bouffi, violent, tourmenté mais en quête de rédemption, a notamment des airs de Bogart qui ne trompent pas ; et que dire de Lun-mei Gwei en femme fatale et mystérieuse ? Mais Diao transpose ces stéréotypes dans une Chine dont il dit qu’il s’y passe « beaucoup de choses (…) aujourd’hui, des histoires parfois si absurdes qu’il est difficile d’imaginer qu’elles soient vraies ». Le metteur en scène laisse donc de côté la complexité de l’intrigue policière pour nous plonger dans un empire du Milieu dont le miracle économique n’est guère tangible. Un pays où les personnages se débattent comme ils peuvent dans une société qui les écrase, sous les néons blafards de gargotes à la limite de la salubrité. Seuls tirent leur épingle du jeu des parvenus vaguement mafieux, tel cet ex-patron d’une entreprise de mode reconverti dans les jeux en ligne.
Au chapitre des réussites, on notera la mise en scène soignée où les contrastes – chaud-froid, ombre-lumière – jouent un rôle symbolique important dans l’atmosphère hivernale du nord de la Chine. L’ellipse temporelle qui couvre un intervalle de cinq années est un délice visuel. Les patins à glace, arme du crime et instrument d’émancipation de l’énigmatique suspecte, crissent sur un lac gelé : la bande son est très travaillée et, par un constant bruit de fond de machines ou de moteurs, contribue à rendre palpable l’atmosphère oppressante d’un lieu où les atrocités décrites ne pouvaient qu’arriver.
Pourtant, tout n’est pas parfait dans « Black Coal ». La surenchère de violence lors de l’interpellation, ou lors du meurtre avec les patins, cadre mal avec la sobriété du reste du film : certains y devineront un exutoire, d’autres préféreront y voir une incongruité. Dans sa dernière partie, le film souffre de longueurs et aurait gagné à être plus resserré. Mais il faut également mentionner qu’il subit un malentendu initial : en mandarin, le titre original peut se traduire par « Feux d’artifice en plein jour », véritable fil rouge et clé de lecture de la scène finale. Le titre anglais complet, « Black Coal, Thin Ice », a lui le mérite de souligner les contrastes sur lesquels le réalisateur s’appuie habilement.
« Black Coal » tout court, c’est réduire à un simple film noir un long métrage qui nous conte aussi l’histoire d’une rédemption impossible dans une Chine aliénante. A voir sans enthousiasme critique béat mais avec le véritable plaisir de la découverte.
À l’Utopia.