Art vidéo/installations/dessins: Coudées franches

« Le temps coudé » au Mudam permet de se plonger dans le travail de l’artiste albanais Anri Sala. Au rendez-vous : correspondances inattendues entre musiciens et gastéropodes… et bien plus encore.

Photos : © Anri Sala

Comme il se doit, le grand hall laisse désormais beaucoup de place aux grandes réceptions dont le conseil d’administration du Mudam est tellement friand. C’est pourquoi l’œuvre d’Anri Sala exposée dans cette pièce est tout en retrait. Pourtant, « All of a Tremble (Delusion/Devotion) » donne le la à une exposition où des ponts sont jetés entre musique, art plastique et vidéo, et qui joue la plupart du temps avec la perception du public. Composée d’un vieux rouleau d’impression de papier peint qui laisse des empreintes très kitsch sur un mur autrefois blanc, l’installation assure aussi la fonction de boîte à musique. Ainsi, l’acte d’imprimer devient en même temps acte musical – les figures se dessinent en même temps qu’elles produisent des sons.

De la boîte à musique, Sala va directement aux caisses claires avec « The Last Resort ». 38 d’entre elles sont suspendues au plafond de la chapelle du Mudam pour accompagner le « Concerto pour clarinette » de Mozart. Le tempo a pourtant été modifié selon les conditions météorologiques décrites par le capitaine James Bell en 1838 à l’approche de l’Australie – pas étonnant, vu que l’œuvre était une commande de la ville de Sydney et y a été exposée en 2017.

Ce n’est pas la seule référence qu’Anri Sala fait au colonialisme. Dans la série de dessins « Untitled (Maps/Species) », il établit des correspondances entre les formes d’animaux marins (d’après des gravures du 18e siècle) et les contours géographiques de plusieurs îles ou régions maritimes comme la Californie, le Japon, l’Angleterre et autres. Ce faisant, l’artiste met au centre de son propos l’artificialité de ces États en les comparant à la nature.

Les deux pièces les plus spectaculaires se trouvent au premier étage. « Take Over » représente sur deux écrans géants une bataille rangée entre un pianiste et un Disklavier (piano qui permet d’enregistrer le jeu et de le répéter à l’identique). Sur fond de deux hymnes – « La Marseillaise » et « L’Internationale », qui initialement étaient reprises sur le même air – s’entremêlant jusqu’à en devenir discordantes, Sala met ici en évidence l’appropriation idéologique de la musique.

« The Present Moment », l’autre pièce sur grand écran, a tout pour faire rêver les amatrices et amateurs de la Seconde École de Vienne. Bâti autour d’une partition pour sextuor à cordes d’Arnold Schönberg (« Die verklärte Nacht » de 1899), Sala a transfiguré les notes selon le principe du dodécaphonisme, inventé plusieurs décennies plus tard par le même Schönberg. Grâce à deux grands écrans et une rangée de haut-parleurs accrochés en courbe en haut de la salle, les sons émis par les musicien-ne-s voyagent d’un bout du virage à l’autre, donnant une toute nouvelle sensation d’écoute à cette expérimentation de haut niveau.

Petit gimmick pour la fin, « If and Only If » est un hommage à la lenteur. Dans une vidéo, l’altiste français Gérard Caussé interprète « Élégie pour alto seul » d’Igor Stravinsky. Juste qu’il n’est pas seul, mais doit composer avec un escargot posé sur son archet – ce qui le force à diluer le morceau de façon à ce que l’animal ait le temps de parcourir la totalité de l’archet.

Intéressante et spectaculaire, l’exposition « Le temps coudé » est justement ce qu’on attend d’un musée d’art contemporain qui veut accueillir le grand public – sans trop d’élitisme ni d’abstraction.

Jusqu’au 5 janvier au Mudam.

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