Dans les salles : Red Joan

Peut-on vraiment juger le passé d’une personne sans avoir connu le contexte historique de ses actes ? Sur fond d’espionnage au profit des Soviétiques, « Red Joan » tente maladroitement d’esquisser une réponse négative.

Chaque pli du visage est un secret : Judi Dench imprime sa marque dans un film par ailleurs assez fade. (Photo : Nick Wall)

Alors que Joan Stanley est arrêtée en 2000 pour divulgation de secrets d’État, son passé resurgit au fil des questions que lui posent les services spéciaux. D’abord réticente, elle avait accepté par amour autant que par idéalisme de livrer à l’URSS des informations sur les recherches nucléaires britanniques. Ce passé qu’elle avait tu à son propre fils remonte à la surface, faisant revivre une époque bien différente. Le rapport à la politique était tout autre, l’équilibre des forces planétaires était vacillant. Peut-on dès lors décemment la juger de nos jours ?

Pour étayer son propos, le réalisateur Trevor Nunn prend le parti du classicisme à tout prix : alternance standard entre les scènes d’interrogatoire et les flash-back, musique très descriptive et parfois envahissante, production « british quality » avec une attention au moindre détail, photographie léchée. L’ensemble est donc filmé avec un soin méticuleux, mais il y manque ce petit grain de folie, cette petite étincelle d’où le cinéma pourrait jaillir. De plus, le film semble osciller en permanence entre romantisme et espionnage, refusant d’assumer une direction concrète qui pourrait rendre son discours plus incisif. Résultat, l’histoire d’amour entre la jeune Joan et Leo, un Juif allemand qu’elle rencontre à l’université dans les cercles communistes, reste convenue et prévisible. Faute de temps, l’histoire d’espionnage s’en trouve édulcorée. À trop vouloir jouer sur les deux tableaux, Nunn et sa scénariste s’éparpillent : mélo ou thriller, il fallait choisir.

Dommage, car les questions qui traversent le film auraient mérité un traitement plus énergique. Comment en effet comprendre, de nos jours, les motivations de la « trahison » de Joan Stanley ? Ce mot a-t-il d’ailleurs un sens, dans le contexte du début de la guerre froide ? Et lorsque l’héroïne refuse avec véhémence d’admettre qu’elle n’aime pas sa patrie, comment ne pas se demander ce qu’est, au fond, véritablement une patrie ? On sent bien que « Red Joan » nous incite à toucher du doigt la difficulté de juger le passé sans l’avoir vécu. Mais la manière est pour le moins malhabile, et le plaidoyer par conséquent bancal.

Cela dit, il faut saluer la prestation de Judi Dench, qui arrive en peu de scènes à rendre toute l’ambiguïté de son personnage. Grâce à un langage corporel étudié, elle met au jour les doutes et peut-être les remords (même si elle ne l’admettra pas) qui ont travaillé Joan Stanley pendant toute une vie. En scrutant la moindre ride de son visage, le réalisateur lâche enfin un peu la bride de l’académisme. La performance de Dench est d’autant plus réussie que l’actrice qui incarne Joan jeune, Sophie Cookson, demeure assez terne dans son jeu, malgré un temps d’écran bien supérieur. Comme d’ailleurs le reste de la distribution, ce qui tend à tirer « Red Joan » vers l’honnête téléfilm. Au vu du potentiel de l’histoire, il faut bien admettre que c’est une déception.

À l’Utopia. Tous les horaires sur le site.

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