Dans les salles : Un divan à Tunis

Petit film peut-être, mais plus profond que son vernis d’amusante comédie : « Un divan à Tunis » plonge sur un mode humoristique dans les esprits déboussolés post-révolution tunisienne.

Selma en plein travail : il y en a des maux à soigner, après la révolution de jasmin. (Photo : Diaphana distribution)

Il a une barbe soignée, un regard franc : pas de doute, c’est un musulman. Le quiproquo initial du film, qui fait voir dans le portrait de Freud un coreligionnaire, annonce déjà la couleur. Dans une société débarrassée de la dictature de Ben Ali et en proie à l’influence croissante du religieux, les signes, les perceptions et les interprétations tiennent le haut du pavé. Les non-dits sont nombreux, que ce soit par appréhension, par pudeur ou par conformisme. Un terrain particulièrement fertile donc pour Selma, psychanalyste parisienne originaire de Tunisie, qui revient au pays pour en soigner les maux.

On se doute que l’entreprise ne sera pas de tout repos. Une fois le divan installé sur la terrasse, dans un cadre propice aux confidences, les péripéties commencent. C’est peu de dire que la culture de la parole pour soigner les âmes n’est franchement pas bien implantée en Tunisie. Si Selma ne prescrit pas de médicaments et qu’elle ne fait que discuter, pourquoi faudrait-il la payer, puisqu’on peut s’épancher à volonté au salon de coiffure, où en prime on obtient une coupe de cheveux ? Oui, les bons sentiments sont légion. Oui, certaines répliques et certaines situations tiennent du stéréotype ou du cliché, mais la légèreté de la réalisation de Manele Labidi en empêche l’accumulation nocive. On ne rit pas aux dépens des personnages, on s’amuse avec eux. Cette Tunisie-là est vue à travers des regards majoritairement féminins et contraste agréablement avec les autres films d’après la révolution de jasmin, qui utilisaient le genre du drame.

« Hedi », par exemple, avait la force de la démonstration politique, mais avec très peu d’humour, dans un style à la Dardenne. Et justement, l’excellent Majd Mastoura, qui en incarnait le héros, est à l’affiche d’« Un divan à Tunis ». Il y interprète un policier qui joue au chat et à la souris avec Selma, la sommant de se mettre en règle avec les autorités tout en la soutenant en arrière-plan. Un rôle ambigu qui confirme le talent du jeune acteur tunisien. Mais c’est évidemment Golshifteh Farahani qui illumine le film. Aller chercher l’actrice franco-iranienne pour incarner une psy tunisienne qui a fait ses études et a exercé en France, le pari était pour le moins osé. À aucun moment cependant, une fois l’atmosphère du film installée, on ne se trouve à mettre en doute sa crédibilité, tant elle semble se couler dans le moule, tant elle paraît une fille du pays élevée dans l’Hexagone. Sourire lumineux, énergie constante malgré les bâtons dans les roues administratifs ou familiaux, elle prouve qu’elle sait aussi être une actrice comique efficace.

On pourra reprocher à « Un divan à Tunis » sa légèreté sur un sujet grave comme la Tunisie après sa révolution, car toutes et tous ne respirent pas encore l’agréable odeur du jasmin là-bas. Mais c’est le propre du cinéma que de s’attaquer à des sujets sérieux sur le ton de la comédie ; on pense notamment au récent « Tel Aviv on Fire », qui abordait avec humour le conflit israélo-palestinien. Cette équipée de Freud dans le golfe de Tunis n’est peut-être pas un brûlot revendicatif, mais elle fait du bien. Par les temps qui courent, sourire est aussi une thérapie.

À l’Utopia. Tous les horaires sur le site.

L’évaluation du woxx : XX


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