Dialogue social : Le boycott du boycott

Les syndicats répondent avec une grande manifestation au retrait opéré par le patronat d’une des principales instances de négociation tripartite.

Photos : woxx

Lorsque le président de l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL), Nicolas Buck, a tenté fin septembre d’expliquer à la presse pourquoi son organisation ne voulait plus négocier avec les syndicats et le gouvernement au sein du Comité permanent du travail et de l’emploi (CPTE), il a donné l’image d’une organisation faible et opprimée, qui se sentait « gepisakt » et « virgeféiert » – maltraitée et ridiculisée. L’enceinte du CPTE ne permettrait plus depuis un certain temps, selon Buck, une discussion franche et surtout à huis clos avant que les compromis sur la législation du travail y soient trouvés et respectés ensuite par toutes les parties impliquées.

Il faisait référence aux discussions autour de la flexibilisation du temps de travail de 2016, où, malgré un compromis négocié en tripartite, le gouvernement avait finalement adopté un texte plus proche des positions de syndicats. Ceux-ci, se sentant la main forcée lors des négociations, avaient par la suite signifié leur veto directement au gouvernement, sans repasser par une discussion en comité. Une sorte de péché originel qui aurait mené le patronat à redéfinir le rôle du CPTE comme un lieu où chaque partie présente simplement ses positions sur les sujets traités. Ce serait alors au gouvernement de trancher et de faire les propositions d’adaptation de la législation.

Les syndicats y voient un boycott du modèle luxembourgeois, lequel aurait permis d’éviter une « lutte des classes » et mené à un dialogue social ayant servi aussi bien le patronat que le salariat. Le président de l’OGBL, André Roeltgen, a parlé d’un acte irresponsable et d’une véritable déclaration de guerre de la part de l’UEL, lors d’une conférence de presse qu’il a tenue ce mardi avec les présidents du LCGB et de la CGFP, Patrick Dury et Romain Wolff.

Alors que les syndicats ont derrière eux une année électorale conflictuelle au niveau des chambres sociales et dans les entreprises et qu’ils continuent à s’affronter sur le terrain, ils se montrent plus unis que jamais pour appeler l’UEL à retourner à la table des négociations de la CPTE. Afin de montrer leur détermination, ils appellent à une grande manifestation de protestation le mardi 19 novembre en soirée à l’hôtel Alvisse à Dommeldange. D’ici là, il s’agit de mobiliser les troupes. Ceci à quelques semaines du grand congrès de l’OGBL qui devra non seulement consacrer la nouvelle présidente, Nora Back, mais aussi faire accéder une toute nouvelle génération de secrétaires centraux-ales et syndicaux-ales à des postes décisifs. La manif du 19 pourrait donc aussi signifier du côté du plus grand syndicat le début d’une stratégie plus combative à tous les niveaux, climat social oblige.

Droit du travail 4.0

Car l’action « contre le boycott patronal du dialogue social » va bien plus loin, mettant en avant ce que les syndicats entendent des réformes à venir : « un droit au travail 4.0 », qui sera obligatoirement « progressiste ». Alors qu’on reproche souvent au modèle luxembourgeois (et donc aussi aux syndicats qui le prônent) d’empêcher des réformes du droit du travail, qui n’a pratiquement pas bougé depuis 1989, les syndicats se disent donc prêts à traiter des défis qui guettent le monde du travail à l’heure de la digitalisation.

Il s’agirait de mieux « sécuriser les existences ainsi que les parcours sociaux et professionnels » et d’améliorer les plans de maintien d’emploi en cas de faillite. Même dans des entreprises prospères, il faut s’attendre à des suppressions de postes. Pour les nouveaux emplois, il s’agit de mieux protéger les salarié-e-s « face aux contrats et relations de travail précaires ».

Par ailleurs les syndicats veulent que les « moyens et droits de négociation de conventions collectives » soient élargis : selon le président de l’OGBL le nombre de salarié-e-s couvert-e-s par une telle convention est tombé en dessous de la barre des 50 pour cent. Ce qui ne va pas non plus être au goût du patronat : les syndicats appellent à une adaptation des droits de cogestion pour tenir compte de « la nouvelle réalité des entreprises et du travail ».

La « work-life balance » devant basculer du côté d’une amélioration des conditions de vie de leurs membres et des salarié-e-s en général, les syndicats veulent un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, qui devrait prévoir un « droit à la déconnexion ».

Concernant les choix nécessaires au cours de la vie professionnelle, le droit à un travail à temps partiel combiné à un droit au retour à un travail à temps plein devrait voir le jour, tout comme le droit à une pension partielle combinée à un travail à temps partiel à partir de 57 ans. Les syndicats exigent aussi de nouveaux droits et possibilités d’accès à la formation continue, à la reconversion et à la reconnaissance de l’expérience professionnelle.

Les représentants des salarié-e-s se soucient par ailleurs de la sphère privée et y voient une priorité absolue dans le cadre de la surveillance sur le lieu de travail et de la protection des données, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise – voire au domicile dans le contexte du télétravail. En tenant compte des études menées au sujet de problèmes de santé et de burnout dans le « nouveau monde du travail », les dispositions de santé et de sécurité dans les entreprises devraient aussi être revues. Ironiquement, aussi bien les syndicats que le patronat se réfèrent au programme gouvernemental qui aborde toutes ces questions, sans nécessairement indiquer de façon concrète comment le gouvernement compte y répondre.

Si le patronat s’est plaint que les discussions du CPTE avaient tendance à se retrouver sur la place publique et ne pouvaient plus se faire à huis clos, les syndicats procèdent à un véritable boycott du boycott patronal : en dressant la liste des sujets qui font mal, ils s’assurent que l’opinion publique pourra dorénavant suivre étape par étape la prise de position des uns comme des autres sur ces sujets, sans attendre le jour fatidique où lui sera présenté un paquet final pour lequel plus aucun amendement n’est souhaité.


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