Digitalisation des médias : En avant pour 
le Nouveau Monde

La digitalisation du monde des médias favorise l’émergence de nouveaux modèles, au Luxembourg aussi. Aperçu d’un marché en quête de renouveau.

Quel modèle pour quel média : le tout payant, le modèle hybride ou le tout gratuit ? Tous sont encore en expérimentation. (Photo : Wikimedia)

C’est un peu la ruée vers l’or dans le monde des médias luxembourgeois, depuis l’annonce du gouvernement de vouloir réformer l’aide à la presse en vue de soutenir la presse en ligne. De nouveaux projets naissent, les médias traditionnels renforcent leurs équipes web ou créent eux aussi de nouveaux projets.

Outre le très remarqué reporter.lu, qui est en passe de devenir une sorte de refuge pour anciens du Wort, il y a aussi le beaucoup moins remarqué moien.lu, site d’informations en langue luxembourgeoise, qui a vu le jour récemment. Tandis que l’ancienne version anglaise du Wort devient le Luxembourg Times. En même temps, le Tageblatt vient d’introduire un « paywall » avec son contenu « premium », chose que le Wort avait déjà expérimentée avant lui. Mais les petites publications aussi s’aventurent sur le chemin du journalisme web – le woxx en première ligne.

97 pour cent des habitant-e-s du Luxembourg utilisent régulièrement l’internet. C’est ce que révèle le « Rapport sur l’état d’avancement de l’Europe numérique » de 2016. Ils ne sont que deux tiers à lire régulièrement des journaux papier et 57 pour cent à lire un journal papier quotidiennement. Autant dire que l’internet est devenu « le » terrain à conquérir pour les médias.

La presse traverse une crise structurelle profonde due aux mutations qu’engendre l’accessibilité immédiate et la gratuité de l’information sur l’internet.

Ce qui est tout sauf un phénomène spécialement luxembourgeois : partout dans le monde, le secteur de la presse traverse une crise structurelle profonde due aux mutations qu’engendrent l’accessibilité immédiate et la gratuité de l’information en ligne. Plusieurs grands changements sont en cours. Premièrement, la lecture en soi a changé : ici, ce sont surtout les réseaux sociaux qui favorisent une lecture rapide, souvent superficielle, qui se limite généralement aux titres et aux « teasers » et ne va jusqu’au bout d’un article que rarement.

Mais le choix des lectures et le moyen d’y arriver ont aussi changé profondément : là où un lecteur/une lectrice avait jadis « son » journal, qui lui livrait toute une panoplie d’informations et de commentaires, il/elle a maintenant le choix entre une grande masse de médias différents qui se concurrencent autant sur les médias sociaux que par le biais de notifications « push », l’invitant à découvrir certains de ses contenus. D’ailleurs, pour beaucoup, les réseaux sociaux sont désormais une sorte de fenêtre sur l’actualité : c’est à partir de leur fil d’actualité qu’on découvre ce qu’écrivent les différents médias.

Par ailleurs, le contact d’un média et de ses journalistes avec les lecteurs/lectrices est beaucoup plus direct, ce qui favorise l’émergence d’une sorte de communauté autour du média : non seulement les réseaux sociaux et beaucoup de sites web permettent de réagir à des articles à travers des commentaires, mais aussi la diffusion d’un article sur les réseaux dépend en grande partie de cette communauté. C’est en effet souvent les partages, mais aussi les réactions et les commentaires qui déterminent le degré de diffusion d’un article.

Au-delà, les profils Twitter, Facebook et autres, tout comme les blogs ou les chaînes vidéo, font du/de la journaliste lui/elle-même un « produit », en quelque sorte. Des journalistes peuvent atteindre un degré de notoriété qu’ils avaient plus de mal à atteindre sans l’internet. Ainsi, un Owen Jones, très actif sur les réseaux sociaux, devient une sorte de figure de proue pour son média, le « Guardian ».

Le contact entre un média et ses lecteurs et lectrices est beaucoup plus direct, ce qui favorise l’émergence d’une sorte de communauté.

Tous ces phénomènes sont d’ailleurs à observer au Luxembourg : les médias luxembourgeois, et en particulier les plus grands, misent depuis un certain temps déjà sur des « community managers » pour gérer leur présence sur les réseaux sociaux, et, justement, leur lien avec la communauté de lecteurs et lectrices qui les entoure. Les commentaires sous certains articles sont, eux, régulièrement l’objet de polémiques à cause de leur contenu souvent discriminatoire et réactionnaire – même si, à gauche aussi, on a découvert l’énorme terrain de jeu que sont les réseaux sociaux. Et l’importance du lien entre média et communauté de lecteurs/lectrices est soulignée en ce moment même par le projet participatif de reporter.lu.

La métamorphose du marché des médias est, au Luxembourg comme dans le reste du monde, plutôt perçue comme une menace, du moins du point de vue des médias traditionnels. Et il est vrai que la gratuité et l’immédiateté des informations sur l’internet ne favorisent pas le modèle médiatique traditionnel. La publicité en ligne rapportant beaucoup moins que la publicité papier, de nouveaux modèles économiques sont une nécessité. Aux États-Unis, les revenus publicitaires ont chuté de 74 pour cent entre 2000 et 2014. En France, de 42 pour cent.

Les solutions sont encore en phase d’expérimentation. Certains médias rendent tout leur contenu payant : le « New York Times » par exemple a opté pour ce modèle en 2011, limitant l’accès gratuit à son site à dix articles par mois. Sur le marché français, Mediapart a adopté ce modèle.

Au Luxembourg, c’est le cas de reporter.lu, qui se dirige vers un modèle du genre, plus proche encore de celui de Mediapart que de celui du « New York Times ».

Il faut dire que le modèle du tout payant marche – pour certaines publications. Le « New York Times » a même constaté une solide augmentation des revenus des abonnements. Mais d’autres publications, tel le « San Francisco Chronicle », sont redevenues payantes après avoir expérimenté le modèle du « subscription first » sans succès. Pour le succès d’un tel modèle, l’excellence journalistique, la combinaison de différents formats multimédias et la présence d’une communauté de lecteurs et lectrices actifs/actives et prêt-e-s à payer sont essentielles.

La restructuration favorisée par l’internet peut offrir de nouvelles possibilités à une profession qui doit se réinventer.

D’autres médias ont plutôt opté pour un modèle hybride. C’est le cas du « Monde » en France. C’est aussi la voie qu’ont choisie le Wort avec « Wort Plus » ainsi que le Tageblatt et le Jeudi avec leur « premium » au Luxembourg : un mélange entre un contenu gratuit bref et focalisé sur l’actualité et un contenu payant, plus long et avec plus de fond. Un modèle qui essaye donc de combiner revenus publicitaires, même maigres, et revenus d’abonnements web, tout en donnant l’impression aux lecteurs et lectrices de faire partie du cercle restreint de ceux et celles ayant accès aux « véritables » informations.

On pourrait d’ailleurs reprocher aux médias ayant choisi ce modèle de créer deux sortes d’informations : les informations sans grand intérêt et fixées sur le clic pour tous ceux et celles ne pouvant pas payer, et puis les vraies informations pour les autres.

Mais le modèle du tout gratuit a lui aussi ses inconvénients, au-delà du champ des revenus. C’est le modèle qu’a choisi le « Guardian », même si là aussi, on a créé un club de membres payants. Mais en tout misant sur la publicité en ligne, on risque, à la longue, de publier des contenus attrape-clics plutôt que de l’information. Le tout pour un résultat peu certain, puisque les annonces en ligne sont mal rémunérées et que les annonceurs préfèrent payer Facebook et Google qui ont raflé le marché.

Au Luxembourg, les médias qui offrent leurs contenus gratuitement en ligne, avec ou sans publicité d’ailleurs, représentent la majorité. Outre l’Essentiel qui a fait de la gratuité son principal atout, des publications aussi diverses que le Journal, le Quotidien, Paperjam ou le woxx misent sur la gratuité. Si pour certains, cela est la conséquence directe de la position prioritaire qu’a toujours le papier – le contenu web en découle souvent –, d’autres, comme l’Essentiel, misent en effet sur la publicité.

Pour d’autres encore, dont le woxx, pour qui la gratuité du contenu est plus un choix politique qu’un choix économique, c’est l’aide à la presse et, dans un avenir proche, l’aide à la presse en ligne qui leur permettent d’adopter ce modèle. De toute façon, si les annonces en ligne ne rapportent pas grand-chose aux médias internationaux, le constat est d’autant plus vrai dans un pays comme le Luxembourg, avec son marché extrêmement restreint.

Mais le modèle gratuit a lui aussi ses vices : le fait de payer ne fait-il pas comprendre au lecteur ou à la lectrice que le contenu qu’il/elle lit est le résultat de longues heures de travail ? Et un « paywall » n’a-t-il pas un effet incitatif en fin de compte, en communiquant une certaine exclusivité ?

La digitalisation du marché des médias est synonyme d’une grande restructuration. Une restructuration qui sera certes peu bénéfique à beaucoup de médias, mais qui peut, si elle est maîtrisée, aussi offrir de nouvelles possibilités à une profession qui doit se réinventer.

La consommation d’informations n’a jamais été aussi importante qu’à notre époque. En même temps, le besoin d’analyses et de décryptage de l’énorme quantité d’information accessible grandit exponentiellement. La presse papier disparaîtra-t-elle ? Pas plus que la radio n’a disparu avec l’arrivée de la télé. Ce à quoi on assiste est une métamorphose : à l’avenir, il y aura d’un côté un flux continu d’informations en temps réel ; de l’autre côté, une presse haut de gamme qui privilégiera les articles de fond ainsi que l’analyse et l’organisation du flux d’informations, et qui misera sur la qualité comme sur la diversité des supports. Et ce sur papier comme sur l’internet. Aux médias luxembourgeois de s’adapter.


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