Droits d’auteur
 : Pas de 
droit chemin


La directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique oppose des conceptions très diverses sur la valeur de la création, le contrôle d’internet et les craintes de contrôle total des GAFA sur l’information.


(Graphique : Europe for Creators)

Même si des règlements antérieurs existaient, la réelle naissance de la conception contemporaine des droits d’auteur se situe au 18e siècle. Elle est une enfant des Lumières, et sa création a aussi été un geste d’émancipation des créatifs-tives par rapport au mécénat, qu’il soit bourgeois ou aristocratique. C’est en 1777 que Beaumarchais – l’auteur entre autres du célèbre « Barbier de Séville » – fonde le « Bureau de législation dramatique ». Après la Révolution française, les droits d’auteur sont cimentés dans la loi en 1791 – faisant du bureau de Beaumarchais aussi la première incarnation de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD).

Avec l’avènement de la modernité et l’âge industriel, les droits d’auteur sont devenus un standard et un modèle à succès. Non seulement les auteur-e-s, mais avec le temps aussi les musicien-ne-s, les photographes et les réalisateurs-trices de films ont vu leurs œuvres protégées par des lois, mais aussi par des sociétés qui collectent l’argent qui leur est dû. Ainsi, des groupes comme les Beatles par exemple ont pu se permettre d’arrêter les tournées de concert et de ne travailler qu’en studio pendant de longues années – tout en remplissant leurs comptes en banque par la vente de leurs disques.

Au tournant du millénaire pourtant, tout a changé. L’étendue virtuellement infinie de l’internet, l’absence de réglementations spécifiques et un esprit de liberté anarchique ou du moins sa promesse ont fait reculer les droits d’auteur. Là où dans les années 1980 on devait encore s’asseoir près de sa radio pour espérer enregistrer gratuitement des chansons, on peut désormais les télécharger par albums entiers. Bref, la toile a profondément changé l’industrie créative et culturelle. Un premier conflit éclate en 2000 avec un procès intenté par le groupe Metallica contre la plateforme Napster (une des premières à utiliser la technique du « peer to peer ») – avec comme résultat que la plateforme a dû choisir entre enlever toutes les chansons du groupe ou fermer boutique.

Pour ce faire, Napster a dû concevoir un filtre – ce qui nous amène droit au cœur des débats actuels et dans la jungle législative bruxelloise. Adoptée en 2001, la « directive sur le droit d’auteur et les droits voisins » a finalement été publiée par la Commission européenne en… 2016. Le Conseil de l’Union européenne a commencé les négociations début 2018, mais le Parlement européen – par la voie de la commission des affaires juridiques – a proposé des modifications importantes qui seront rediscutées le 12 septembre prochain.

Les enjeux de cette discussion et de ce vote sont majeurs : la directive proposée irait en faveur des créatifs-tives, dans le sens où elle forcerait les plateformes (en grande partie gérées par les GAFA – acronyme pour les géants de l’internet Google, Apple, Facebook et Amazon) à redistribuer plus de droits d’auteur aux ayants droit. Par exemple, jusqu’à maintenant, une plateforme comme YouTube n’est pas obligée de demander à un-e utilisateur-trice qui télécharge des vidéos ou de la musique vers elle si les œuvres sont protégées par des droits d’auteur. Si tel est le cas, et surtout si l’auteur-e original-e est informé-e et assez motivé-e pour entamer la procédure, les contenus seront enlevés de la plateforme. Si la directive est adoptée, les plateformes devront installer des « upload filters », des filtres donc qui chercheront à identifier si le contenu à télécharger est protégé – et, le cas échéant, déclencheront le paiement des droits aux créateurs-trices.

En clair, l’argumentation de YouTube (filiale d’Alphabet, société mère de Google), qui est de dire qu’elle n’est qu’une plateforme qui abrite des contenus, ne tient plus. Avec ses algorithmes, elle épie les comportements des utilisateurs-trices et en profite pour vendre de la publicité – ce qui est son business. Il ne s’agit donc en principe que de rendre plus équitable l’internet. Un autre article de la directive concernerait les « snippets » d’articles – les titres et premières phrases qui apparaissent dans les résultats des moteurs de recherche. Ceux-ci seraient aussi soumis à des arrangements – une « link tax » entre les éditeurs et les moteurs de recherche, de façon à ce que ces derniers paient aussi des droits d’auteur.

Astroturfing au 
Parlement européen ?

Sauf que d’aucuns ne le voient pas du même œil : la députée pirate Julia Reda par exemple est une opposante totale à ces changements. Comme d’autres, elle voit derrière les « upload filters » et la « link tax » des moyens de contrôle de l’information entre de mauvaises mains – celles des GAFA. Ces derniers pourraient donc soit sanctionner l’utilisateur dans sa liberté d’expression, soit les créateurs-trices en réduisant leur exposition au public. Sur son site web, l’eurodéputée a appelé à la mobilisation européenne le 26 août – qui n’a pas été suivie par des mouvements de masse.

Le problème avec l’attitude de Julia Reda et d’autres défenseurs de l’internet, c’est qu’ils ne sont pas seuls. En effet, des initiatives comme « saveyourinternet.eu », qui sont aussi contre la directive sur les droits d’auteur, ont fait du lobbying massif au Parlement européen pour leur cause. Sauf que, selon une recherche de la FAZ, les GAFA seraient derrière cette initiative. Et cela par le biais d’une firme de consulting (N-Square) qui organise pour leur clientèle des groupes de pression comme « Copyright 4 Creativity ». Vu de l’extérieur, on ne suspecterait pas cette page de vouloir influencer l’opinion en faveur des GAFA : elle a tout l’air d’une initiative citoyenne européenne, très « grassroots » en somme.

C’est une technique de lobbying très agressive – les boîtes mail des eurodéputé-e-s ont été littéralement submergées de courrier – et très américaine. Aux États-Unis, elle porte d’ailleurs un nom, l’« astroturfing », et de nombreuses grandes firmes l’utilisent pour influencer l’opinion publique et les politiques. Alors, simple convergence des intérêts entre activistes pour un internet libre et GAFA ou manipulation sournoise ? Difficile à dire. Mais sur son site, Reda nie toute ingérence des GAFA dans sa politique.

(Photo : Wikimedia)

Et pourtant, des initiatives de la société civile en faveur de la directive existent bel et bien. Par exemple Europe for Creators – une initiative qui regroupe presque toutes les sociétés d’auteur-e-s et des créateurs-trices dans l’Union européenne, incluant la Sacem luxembourgeoise, qui gère les droits de reproduction et les droits d’exécution publique au grand-duché. Sur le site de l’initiative, on peut lire que la plupart des peurs mentionnées par les adversaires de la directive – par exemple celle d’une interdiction des fameux mèmes dont raffolent les réseaux sociaux – ne sont pas rationnelles et que ce n’est pas la liberté de l’internaute qui est menacée par la directive, mais celle des créateurs-trices, dont les contenus remplissent les comptes en banque des GAFA sans qu’elles ou ils touchent leur juste dû.

Quoi qu’il en soit, mercredi prochain, les eurodéputé-e-s devront décider de l’avenir de la consommation culturelle, qui implique aussi le droit à la culture. Est-il menacé par une meilleure redistribution des droits d’auteur ? Ou est-ce qu’au contraire le non-paiement de ces droits est une menace pour le droit à la culture ? Des questions qui dépassent de loin les débats sur les normes à appliquer aux légumes…


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