Jeff Schinker : Sabotage

Dans son nouveau livre, le journaliste et auteur Jeff Schinker se veut aussi sociologue du monde du travail – tout en se livrant à un projet titanesque et fastidieux.

Nous en convenons, l’auteur a l’âge de toutes les ambitions mégalomanes et aussi la ténacité nécessaire pour les réaliser. Écrire un roman en quatre langues (français, allemand, anglais et luxembourgeois), inventer des personnages qui collent aux situations linguistiques et étaler tout cela sur plus de 300 pages, c’est proche du « karoshi » – la mort par le travail en langue nipponne, et aussi le titre d’un des chapitres de ce livre-expérience.

Prenant d’emblée le risque de composer une œuvre indigeste, et pas seulement pour celles et ceux qui ne maîtrisent pas les quatre langues, Schinker semble se contrefoutre totalement de la profitabilité de son roman. Une sorte d’autosabotage qui met les lectrices et lecteurs d’emblée dans le bain : car la condition humaine dans le monde du travail, le souci de rentabilité, la réduction de l’être humain à son capital santé et travail sont la source de ses chapitres, où l’on rencontre des situations parfois grotesques et absurdes, parfois aussi juste tristes à en pleurer.

Passant du stage d’entreprise aux bureaux de l’Adem et d’une crise financière (bénigne pour le monde artistique) à une résidence d’artiste à Berlin (avec des motifs très autofictionnels, même si des anecdotes personnelles apparaissent çà et là dans les chapitres précédents), « Sabotage » convie à un voyage à travers des montagnes russes fictionnelles. Conviant aussi bien satire que science-fiction, ou encore introspection et prose narcissique à la première personne, Schinker en fait-il trop ? Ce qui est clair, c’est que cet ouvrage est plutôt difficile à ingérer et qu’il faudra beaucoup de patience aux lectrices et lecteurs pour en venir à bout. Peut-être que son éditeur devrait distribuer des pins méritoires à celles et ceux qui peuvent prouver l’avoir lu dans son intégralité ?

Finalement, dans « Sabotage », il y a juste un truc qui cloche : le multilinguisme. Car on a trop souvent l’impression que l’auteur l’utilise juste pour prouver ses prouesses dans le maniement des langues, plutôt que d’y voir une absolue nécessité. D’autant plus que les quatre langues rétrécissent paradoxalement le lectorat potentiel au lieu de l’élargir, et que seul-e-s des Luxembourgeois-es ayant effectué leur scolarité au pays pourront le déguster en entier. Mais qui sait si Jeff Schinker n’est pas en train de concocter une nouvelle œuvre en français, portugais, italien, serbo-croate et arabe, pour se rapprocher encore de la réalité linguistique de son pays…

Paru aux éditions Hydre.


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