Justice : Pas adroit

Le parquet est agacé par le parlement et le fait savoir ; un juge estime que le ministre de l’Immigration est trop clément – ces deux éléments indiquent que le fonctionnement de la justice au Luxembourg est loin d’être aussi neutre et dépolitisé qu’il le devrait.

Photo : Flickr/Michael Corghlan

Oui, ça doit être agaçant, voire complètement chiant de se retrouver au cœur d’une bataille politique et de devoir répondre à des tonnes de questions parlementaires sur des sujets qu’on n’aurait jamais voulu avoir vu se déverser sur la place publique. Surtout quand il est manifeste que le zèle de certain-e-s député-e-s CSV n’est pas uniquement motivé par leur souci de l’État de droit, mais a aussi un fort goût de revanche politique. S’y ajoute que ces mêmes parlementaires, quand ils faisaient encore partie de la majorité, n’hésitaient pas à vouloir abroger ledit État de droit quand ils venaient à être la cible de l’opposition dans d’autres affaires. Qu’on se rappelle Michel Wolter et son idée de casser la protection des sources des journalistes de la radio publique 100,7 dans l’affaire du Srel. Cela n’ajoute donc pas à leur crédibilité.

Et non, ce n’est pas agréable de représenter quelques-unes des plus hautes instances de l’État et de se sentir jeté en pâture, exposé à la méfiance et à la vindicte populaire. Nonobstant, aller jusqu’à écrire au président de la Chambre des député-e-s pour lui communiquer ce ras-le-bol et aller jusqu’à invoquer la séparation des pouvoirs parce qu’obliger la justice à se justifier de son fonctionnement interne serait « inadmissible », c’est dépasser toutes les bornes.

Le secret de Polichinelle : la justice au Luxembourg est de droite, très à droite même.

Ce que font la procureure générale Martine Solovieff et le président de la Cour supérieure de justice et de la Cour constitutionnelle Jean-Claude Wiwinius s’apparente à marquer un but contre son propre camp. Être responsable de ces hautes institutions implique aussi de maintenir la confiance des citoyen-ne-s dans lesdites institutions. Alors, vouloir intimider le parlement en lui disant que « les limites de l’admissible viennent d’être atteintes » est purement inadmissible dans le cadre d’une démocratie. Pire encore, cette lettre laisse penser que la justice aurait des choses à cacher – les procès d’intention risquent bien de reprendre.

Photo : Pixnio – Images publiques

Dans ce contexte, il est heureux de voir que le président de la Chambre Fernand Etgen ne s’est pas laissé faire et a donné une fin de non-recevoir aux pressions de la part de la justice. D’ailleurs, la conférence des président-e-s de groupe du parlement vient de rendre public le courrier envoyé fin août, c’est voir le degré d’énervement provoqué par ce faux pas.

Derrière cela, il y a pourtant plus que l’arrogance d’une institution d’État qui s’estime au-delà de tout contrôle démocratique et des lois. Il y a le secret de Polichinelle : la justice au Luxembourg est de droite, très à droite même. Au point où elle s’oppose aux droits démocratiques dont jouissent les représentant-e-s des citoyen-ne-s au parlement.

Ce n’est pas le seul indice. Comme la radio 100,7 l’a révélé cette semaine, Marc Sünnen, le président du tribunal administratif, avait durement critiqué le ministre de l’Immigration Jean Asselborn dans son rapport d’activité publié en février. Celui-ci reviendrait trop souvent sur les décisions en matière de cas Dublin – donc de personnes à expulser. Le ministre serait trop à l’écoute de certaines associations et dénigrerait la justice. Au lieu de se demander si l’application à la lettre des absurdités souvent inhumaines qui résultent des procédures Dublin est compatible avec la notion de justice et d’égalité devant la loi, Sünnen réprouve l’humanisme d’un ministre qui ne veut pas que de telles atrocités se passent en son nom. Dans le cas Sünnen, il est clair que la frontière avec la sphère politique est dépassée et que le président du tribunal se situe publiquement à la droite de l’échiquier politique.

Une justice qui refuse qu’on la mette en question et qui en même temps se positionne politiquement sur des dossiers brûlants est loin de son état idéal : pas étonnant que la confiance générale en elle ne soit pas au top.


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