Le socialisme selon Kevin Kühnert : Ancien ou moderne ?

Kevin Kühnert fait partie d’une gauche radicale qui prend au sérieux les valeurs humanistes qu’elle invoque. Lui reprocher de vouloir rétablir le communisme ne tient pas debout.

Wikimedia/CC BY-SA 3.0/photo : bunnyfrosch

C’était le prix à payer : en décrivant sa vision du socialisme dans une interview avec « Die Zeit », Kevin Kühnert, président des Jusos (Jeunesses socialistes) a su attirer l’attention… et a déclenché une avalanche de sévères critiques et reproches, y compris dans son propre camp. Plusieurs représentants syndicaux ont affirmé qu’au vu des déclarations de Kühnert sur la socialisation de l’industrie automobile, voter SPD n’était plus une option pour les ouvriers. La présidente du parti Andrea Nahles s’est empressée d’expliquer que son camarade posait peut-être les bonnes questions, mais que les réponses étaient mauvaises. Le président du forum économique du SPD Michael Frenzel a même demandé l’exclusion du leader des Jusos, car celui-ci ferait ressembler son parti au SED (le parti communiste est-allemand). Un reproche évidemment largement partagé par les critiques issues du champ libéral et conservateur.

Mais qu’a vraiment dit Kühnert ? Interrogé sur la répartition des profits d’une société comme BMW, il a plaidé pour que « les dix mille qui créent de la valeur », au lieu de négocier leurs salaires dans une position de faiblesse, soient propriétaires à moitié de l’entreprise – favorisant donc l’autogestion plutôt que la nationalisation. Constatant les ravages engendrés par le marché immobilier, contraires au droit fondamental de se loger, il a critiqué le principe même de la propriété privée de logements de location et dit sa préférence pour la gestion de l’ensemble du parc immobilier sous forme de coopératives.

Cela n’a nullement empêché ses critiques de le soupçonner d’ostalgie (la nostalgie de l’« Ost-Deutschland ») et de lui prêter l’intention de vouloir à nouveau mettre la population allemande sous le joug du « communisme ». Alors que le modèle est-allemand n’a pas grand-chose à voir avec les propositions du président des Jusos.

Bien plus intéressant est cependant le reproche sous-jacent : Kevin Kühnert serait coupable de faire du socialisme idéologique, appliquant un modèle dogmatique de société idéale. Il est vrai qu’un certain marxisme orthodoxe, fondé sur une lecture déterministe de l’histoire, prescrit l’expropriation des biens de production afin de faire naître l’homme et la société nouvelle. Mais il s’agit d’un courant que la majeure partie de la gauche a laissé derrière elle, au plus tard à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique. Quant à Kühnert, rappelons qu’il est né en 1989, trois mois avant la chute du Mur, et n’a que faire des fantômes de la guerre froide.

Au nom des valeurs humanistes, il faut s’attaquer à la racine des problèmes.

L’engagement des Jusos peut au contraire être décrit comme un socialisme radical, pragmatique, et fondé sur des valeurs humanistes. Afin de mettre en pratique ces valeurs, comme le droit à un juste salaire ou au logement, l’organisation estime qu’il faut s’attaquer à la racine des problèmes, et cela sans tabou. Sans cela, des changements profonds sont impossibles, comme l’illustrent parfaitement plusieurs décennies de politique de logement au Luxembourg : laisser faire le marché tout en multipliant les beaux discours a abouti à une catastrophe sociale et économique.

S’il y a un reproche à faire à l’enfant terrible de la social-démocratie qu’est Kühnert, c’est celui qu’il n’insiste guère sur le lien entre crise écologique et modèle économique. Pour revenir à l’exemple de l’industrie automobile, il ne suffirait pas que des sociétés comme BMW et VW soient contrôlées par leurs employé-e-s. Vu la capacité de nuire écologique de ce type d’entreprise, c’est l’ensemble de la population qui est concernée par la question du contrôle – et donc de la propriété – de l’industrie et de la finance.auto

Toucher dans ce contexte au sacro-saint droit de propriété ne saurait par contre lui être reproché. Au contraire, il serait scandaleux d’invoquer le crime de lèse-propriété pour empêcher la réalisation de droits sociaux fondamentaux. Ainsi, on attend qu’un adepte « radical » du capitalisme, un « Kevin Kühnert néolibéral », ait la franchise de dire aux gens : « Désolé, mais la libre entreprise et la propriété, c’est sacré, et donc les problèmes de pauvreté et de logement, on ne pourra malheureusement pas les résoudre. » Tout le reste n’est qu’hypocrisie.


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