À la fois drame social et comédie romantique, sur fond de révolution tunisienne, « Hedi » parvient à mélanger les genres sans perdre le spectateur. Un premier long métrage réussi, qui sonne comme une promesse de renouveau du cinéma tunisien.
À Kairouan, peu après le printemps arabe, un mariage se prépare. Hedi va épouser la ravissante Khedija, avec qui il discute régulièrement en cachette, dans sa voiture la nuit tombée. Un véhicule qui fait sa fierté, lui qui travaille comme vendeur chez un grand concessionnaire du pays. Justement, celui-ci, à cause des conditions économiques encore fragiles qui suivent la révolution tunisienne, décide de l’envoyer prospecter à Mahdia, une station balnéaire située à environ deux heures de route de sa ville natale. À l’hôtel pour touristes étrangers où il s’installe, Hedi rencontre alors Rim, une animatrice, dont la joie de vivre et l’indépendance le fascinent.
Mohamed Ben Attia, jeune réalisateur tunisien qui n’avait jusque-là que filmé des courts métrages, plante ici un décor solide : celui d’un pays qui oscille entre le vent de liberté soufflé par la révolution et l’ancrage dans les traditions d’une société fortement codifiée et hiérarchisée. Car la vie de Hedi est mise en coupe réglée, du choix de son épouse à la conclusion d’un nouveau contrat de travail avec la belle famille. Tel un pantin, il se meut dans un étroit chemin balisé par ses proches, traînant son visage inexpressif et son absence de volonté comme des boulets. Avec un autre fils expatrié en France et marié à une femme qu’elle n’a pas choisie, la mère de Hedi s’accroche à celui de ses enfants encore au pays pour assurer la continuité des valeurs qui lui ont été transmises.
Dans ces circonstances, rien d’étonnant à ce que ce jeune homme un peu terne tombe sous le charme d’une Tunisienne décomplexée, dont le contact avec l’étranger a nourri les pulsions de liberté. L’actrice Rym Ben Messaoud rayonne dans le rôle de cette femme tout en séduction et en gaieté, pour qui l’avenir ne se résume pas à une vie planifiée dans les moindres détails. Elle a le visage de l’aventure et le sourire de l’imprévu ; à l’écran, on croirait même sentir son parfum. À son contact, Hedi, joué par l’excellent Majd Mastoura (primé à raison au Festival de Berlin), perd peu à peu sa mine désincarnée d’enfant qui n’a pas encore « tué le père ». C’est à l’occasion d’un retour dans sa famille qu’il aura d’ailleurs le cran de dire ses quatre vérités à sa mère. Entre Hedi et Rim, c’est un coup de foudre qui défie les conventions et qui se joue de la bien-pensance.
Coproduit par les frères Dardenne, le film est bien plus que l’incursion nord-africaine d’un certain cinéma social dont les réalisateurs-producteurs belges ont le secret. « Hedi », s’il ne sert pas un message politique direct, parvient, entre le drame d’une vie sous influence et le récit d’un coup de foudre, à filer la métaphore de la révolution tunisienne pour montrer la fragilité de ses acquis. Pas besoin de plus d’allusions que la confiscation d’un passeport pour rappeler l’époque troublée pendant laquelle le film se déroule. Et puis il y a cette ligne de dialogue qui claque, comme une sentence, à propos des événements du 14 janvier 2011 : « C’était juste une parenthèse. » Comme l’histoire de Rim et de Hedi, finalement. Mais cela veut-il dire qu’il ne fallait pas la vivre ? Les révolutions sont si fragiles, mais si nécessaires.