Que reste-t-il de nos amours ? (4/16) : « Beaucoup de livres pour que mon âme ne meure pas ! »

Avec cette citation de Fédor Dostoïevski, reprise par Federico García Lorca dans une allocution lors de l’inauguration de la bibliothèque de son village natal, nous remercions les responsables des deux librairies du quartier de la gare, Paul Bauler et Maggy Fantini, de résister et de contribuer à la richesse culturelle du pays.

Photos : Paulo Jorge Lobo

Autrefois appelée Léon Reuter, comme son fondateur, les origines de la librairie Um Fieldgen remontent à 1950. D’abord située place de la Gare, ensuite rue Origer, elle se trouve rue Glesener depuis 1975. « Suivant la mode de l’époque de donner des noms luxembourgeois et puisque cet endroit s’appelle Um Fieldgen, nous l’avons renommée ainsi, tout en gardant ‘librairie’, plus facile à reconnaître que ‘Bicherbuttek’ », nous raconte l’actuel patron Paul Bauler, « Elle est devenue une librairie généraliste et internationale, avec une spécialité : droit et fiscalité, sans oublier le volet scolaire, toujours très important. De même, nous vendons par centaines les livres utilisés par l’INL et aussi des méthodes pour des personnes qui souhaitent apprendre le luxembourgeois à la maison. Et la dernière décennie, la production littéraire luxembourgeoise a énormément augmenté. »  En plus de vendre des livres, Paul Bauler a créé sa propre maison d’édition – les éditions Paul Bauler –, prioritairement orientée vers le droit, mais qui fait aussi dans la littérature et la linguistique.

Libraire et éditeur

Arrière-petite fille d’Italiens, Maggy Fantini est la propriétaire de la librairie Promoculture. « J’ai commencé à y travailler le premier janvier 1993. Le propriétaire était Albert Daming, qui l’avait fondée en 1972. Progressivement, il s’est occupé surtout des éditions du même nom, tandis que je me suis consacrée à la librairie. En 2010, je suis devenue gérante. Plus tard, Albert Daming a vendu les éditions et en 2012 j’ai repris la librairie. Nos domaines principaux restent le technique et le scientifique. Nos client-e-s sont surtout des professionnel-le-s et des gens qui aiment lire de la science vulgarisée. »

L’amour devient de plus 
en plus grand

Puisque les libraires ne font pas que s’occuper de leurs bouquins toute la journée, mais aiment donner leur avis – quand on les leur demande –, nous procéderons par un petit pas de deux de témoignages des deux derniers libraires du quartier de la gare :

Paul Bauler : « Les livres et la musique m’ont toujours fasciné. Mon premier job, c’était le club de livres Deutsche Buch-Gemeinschaft, qui faisait un peu les deux. Et, vous savez, si vous êtes dedans, l’amour devient de plus en plus grand… Concernant les livres, par exemple, j’ai un faible pour La Pléiade, la seule collection qui réunit des grands auteurs du monde entier. »

Une oasis de livres

Maggy Fantini : « J’aime bien lire, surtout des romans. Je suis presque née avec un livre entre les mains. J’adore mon métier et pense que les gens se sentent à l’aise chez nous. Ici, on est dans une oasis de livres et on oublie son stress. »

Paul Bauler : « J’ai emménagé dans ce quartier après avoir repris la librairie. Au cours de la dernière décennie, il y a eu des dégradations de la situation, liées à la drogue mais aussi au trafic et à la pollution. Certains changements sont aussi positifs, comme le centre sociétaire. D’autre part, des magasins traditionnels, comme Monopol, ont fermé et ont été remplacés par d’autres qui vendent des articles de moindre qualité. Même Libo a fermé, en 2017. Au quartier de la gare, nous ne sommes que deux librairies à avoir survécu et la nôtre est la seule générale internationale. »

Maggy Fantini : « Je n’habite pas le quartier, mais depuis 1993 j’y passe énormément de temps et j’en remarque les changements. C’est triste qu’il y ait tellement de bâtiments vides avenue de la Gare et avenue de la Liberté. Si plus d’appartements étaient loués, il y aurait une autre vie dans le quartier. Autrefois, on venait à la gare pour aller, par exemple, chez Frieden ou au Monopol. Ces magasins et bien d’autres ont disparu et à leur place se sont installées des chaînes. Leurs employé-e-s n’ont aucun lien avec les habitant-e-s du quartier. Ils ont disparu, les commerces où l’on pouvait discuter et demander des renseignements aux propriétaires. Pourtant, acheter quelque chose, c’est aussi entretenir des relations. Mais seules les grandes chaînes peuvent se permettre de payer des loyers si élevés. La cohabitation avec mon confrère est très bonne. Nous ne sommes pas concurrents. Et, bien sûr, j’adore quand un client me dit qu’il n’a pas réussi à trouver son livre sur Amazon ! »

Quartier multiculturel

Paul Bauler : « Ce quartier est vraiment multiculturel. Avec les transformations, il perdra probablement un peu de sa personnalité. Déjà, il y a quelques années, beaucoup de belles maisons Art nouveau de la rue Glesener ont été remplacées par des immeubles à plusieurs étages, quoique, en revanche, des arbres y aient été plantés. Cela m’attriste que dernièrement les arbres de l’avenue de la Liberté et de la place de Paris aient été coupés. »

Maggy Fantini : « Actuellement, les problèmes les plus graves, ce sont la saleté et l’irrespect. Avant, ce quartier était plus convivial, les gens se connaissaient, on avait le temps de discuter. Cela m’agace que l’on me demande de l’argent dans la rue, mais souvent ces personnes ont besoin de contact humain. Parfois, si je vais faire des courses et que je vois quelqu’un qui fait la manche, je prends quelque chose et je le lui apporte. Les rapports entre les gens devraient être plus chaleureux. »

Deux questions 
à Paul Bauler 
et à Maggy Fantini

Votre endroit préféré : 


Paul Bauler : La vallée de la 
Pétrusse et le Rousegäertchen.
Maggy Fantini : La vallée de la Pétrusse.

Des vœux pour le quartier :


Paul Bauler : Avec le tram, j’espère qu’il y aura moins de pollution, acoustique et environnementale.
Maggy Fantini : Qu’il redevienne un endroit où l’on a envie de venir.
J’ai hâte que la Pétrusse soit libérée du béton !


Le quartier de la gare raconté par ses habitant-e-s

Diversité ? Danger ? Gentrification ? Pluralité ? Tout au long de l’été (et bien au-delà), Paca Rimbau Hernández propose de parcourir l’histoire et la vie du quartier de la gare, à travers les témoignages de personnes qui l’habitent, le bâtissent et parfois le subissent. Déjà en 1999 et en 2000, notre auteure avait tiré le portrait de ce quartier fascinant avec sa série « Que reste-t-il de nos amours ? » (à retrouver dans les archives du woxx) – presque vingt ans plus tard, sa nouvelle série témoigne des mutations urbaines et sociales qui façonnent ce lieu de passage des êtres humains et de leurs histoires. Photos de Paulo Jorge Lobo.


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