Registre des bénéficiaires effectifs : Utile et efficace ?

Malgré la canicule, les responsables de sociétés devront bien déclarer leurs bénéficiaires effectif-ve-s avant la fin août.

Lors de la conférence de presse du 21 juin, de gauche à droite : Yves Gonner, directeur de Luxembourg Business Registers, Félix Braz (Déi Gréng) ministre de la Justice et Daniel Ruppert de la Direction des affaires commerciales et des nouvelles technologies appliquées à la Justice (Photo: woxx)

Seules 5,5 pour cent des 129.000 entités appelées à inscrire leurs « bénéficiaires effectifs » au registre voté à cet effet en décembre 2018 auraient déjà accompli leur devoir. « Un taux de départ normal, si on le compare à d’autres pays », expliquait vendredi passé Yves Gonner, directeur du Registre de commerce luxembourgeois chargé de la gestion du RBE, le registre des bénéficiaires effectifs.

Satisfaisant ou pas, ce taux semble interpeller les responsables du registre et du ministère de la Justice, car ils ont organisé une conférence de presse non seulement pour parler des « premiers retours d’expérience », mais aussi pour lancer une « campagne d’information et de sensibilisation, notamment des ASBL ».

Car le temps presse : les sociétés commerciales, les associations sans but lucratif et les fondations doivent se mettre en règle pour le 31 août. Sinon, elles perdent non seulement le privilège d’une première inscription gratuite – une économie de 15 euros–, mais elles risquent aussi une amende se situant selon le cas entre 1.250 et 1.250.000 euros. Là, cela commence à faire mal.

Le problème à l’origine de ce pourcentage décevant ? Il n’est pas si évident de savoir ce qu’il faut exactement déclarer dans ce registre. Même le ministre, lors de la conférence de presse, a utilisé à plusieurs reprises le terme de « bénéficiaires économiques ». Il est vrai que lors de l’élaboration de la loi, qui se base sur les règles du Gafi (Groupe d’action financière) pour empêcher le blanchiment d’argent, le mot « économique » a été utilisé un temps, pour céder la place à « effectif ». Le terme anglais d’« ultimate beneficial owner » prête peut-être un peu moins à confusion.

Il s’agit pour chaque société ou association de rendre publiques les personnes physiques qui la contrôlent. Un tel pouvoir « effectif » a lieu si une personne détient plus de 25 pour cent des parts ou du pouvoir décisionnel. Pour aider les gestionnaires de sociétés dans la détermination de « leurs » bénéficiaires effectifs, un guide explicatif vient d’être mis en ligne. Il faudra cependant commencer à l’étudier bien avant le 31 août, car il compte une trentaine de pages. La « foire aux questions », en évolution permanente selon les problèmes rencontrés par les déposant-e-s, en comporte 14 à ce jour.

Et il s’agit de peser tous les mots : « plus de 25 pour cent », ce n’est pas « exactement 25 pour cent ». Autrement dit : une société composée de quatre membres disposant du même nombre de parts et du même pouvoir décisionnel n’aurait pas à déclarer ces quatre personnes. Contrairement à une société – ou une asbl – à trois personnes.

Le casse-tête ne s’arrête pas là : il existe par exemple des sociétés composées d’autres sociétés, et il se pourrait qu’une même personne contrôle plusieures sociétés qui composent un tel groupe. Elle en serait alors la bénéficiaire effective. Si, par contre, l’analyse d’une entité montre qu’il n’y a pas de bénéficiaire effectif-ve, il faut inscrire «  les dirigeants », ce qui est traduit dans la loi luxembourgeoise par «  les membres du conseil d’administration ».

Et les asbl dans tout ça ?

Justement, pourquoi imposer aux très nombreuses asbl de se prêter au jeu de la détection de leurs bénéficiaires économiques – pardon, effectif-ve-s ? Parce que le Gafi et la directive le souhaitent, le blanchiment d’argent passant aussi par des structures qui peuvent se donner un air philanthropique.

Pour éviter les critiques des instances internationales, qui pourraient considérer la transposition incomplète, le Luxembourg a donc aussi soumis les quelque 8.000 asbl à ce régime.

Le ministre quant à lui défend l’obligation envers les asbl, pour lesquelles, en règle générale, il s’agirait juste de lister les membres du CA : « Un exercice qui coûte quelques minutes et sera même gratuit ». Cependant, les asbl ne pourront pas profiter des efforts déjà réalisés pour le registre de commerce : il s’agira de retaper, un à une, les membres du CA dans le RBE, le dépôt d’une liste standardisée n’étant par ailleurs pas possible.

Un exercice qui, en dehors du fait qu’il consistera dans 99 % des cas des asbl en un double emploi, s’avère aussi peu efficace : quiconque voudra profiter de la structure d’une asbl pour blanchir ses fonds devra seulement chercher trois ami-e-s qu’il fera éventuellement membre du CA, puis rester en retrait en tant que simple membre. Son nom n’apparaîtra alors nulle part dans le RBE.


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