Série : Que reste-t-il de nos amours ? (2/16) : « Personne n’habite à la gare »

Vous avez dit interculturel ? Le quartier de la gare à Luxembourg-ville est en effet un des rares lieux de mélange culturel et social qui subsistent dans la capitale – même si la gentrification y pénètre aussi. La preuve par des témoignages récoltés dans les rues du quartier.

Tiago da Silva, gérant depuis avril 2018 du Clube do Porto Luxemburgo. (Photos : Paulo Jorge Lobo)

« Dans un coin, on peut découvrir le monde », disait un ami très cher. C’est le cas dans cette rue : un café avec un autre en face et un troisième un peu plus loin. Une épicerie au coin. La vallée de la Pétrusse tout près. Une rencontre entre voisines et voisins du quartier de la gare et des ami-e-s en visite, dont la richesse a motivé le fait que deux chapitres lui soient consacrés. Voici le premier.

Joana est arrivée au Luxembourg il y a huit ans, en provenance du Portugal. « J’ai toujours habité à la gare et je veux y rester ! C’est le quartier le plus vivant, il y a beaucoup de commerces, des supermarchés, des cafés ouverts jusqu’à tard la nuit. »

Elorri est originaire du Pays basque. Elle habite au Luxembourg depuis 2011 et depuis quatre ans et demi à la gare. « C’est mon quartier préféré. Le plus important, pour moi, ce sont les rencontres et l’âme du quartier. »

Originaire du Portugal aussi, Paula A. habite au Luxembourg depuis 2000 et à la gare depuis 2006. « Je suis ravie. C’est le quartier le plus vivant, le plus authentique et où j’ai noué le plus de relations. »

Un avis que partage une autre Portugaise, Paula F., qui habite au Luxembourg depuis huit ans et a déménagé dans le quartier de la gare il y a quatre ans et demi. « Dans ce quartier, on se sent à la maison. »

Cœur du Sud

Marina, originaire de Roumanie, habite au Luxembourg depuis novembre 2006 et à la gare depuis 2010. « J’adore le jardin des roses et le fait que la gare soit si proche. Dans ce quartier, les magasins sont terre à terre, il y a de l’entraide, c’est le cœur du Sud qui y règne… J’aime les petites épiceries – dont la première sans emballages au grand-duché -, le voisinage, les restos, certains très anciens comme le Bella Napoli, d’autres plus récents comme Yamas et Al Grappolo. Il y a des librairies, des centres culturels de plusieurs pays, des ambassades… Je n’envisage pas du tout de changer de quartier ! »

Catarina, Italienne, confirme : « J’aime beaucoup ce quartier pour sa convivialité et sa facilité. »

Le Catalan Màxim habite au Luxembourg depuis 2002 et à la gare depuis 2005. « J’aime bien ce quartier et voudrais y rester. Il est l’un des plus vivants de Luxembourg. Il y a toujours quelqu’un dans la rue, il y a tous les services, c’est près de tout, il y a une belle atmosphère en général. »

Et Jelena, Croate, habitante du quartier depuis fin 2014, ajoute : « J’aime beaucoup habiter ici. C’est un quartier sûr. Notre fille ira à la crèche rue de Strasbourg. »

Carlos et Susana, âmes du café Santos Ribeiro depuis 2015.

Nous, on était déjà là !

Paula A. : « Avant, quand je disais que j’habitais le quartier de la gare, des Luxembourgeois me disaient : ‘Ah, c’est spécial, la gare.’ Et, plus récemment, ma prof de luxembourgeois m’a dit : ‘Il n’y a personne qui habite à la gare !’ Des signes de gentrification se manifestent, dont l’épicentre est le Paname. Parfois j’y rencontre des gens que je connais, qui me saluent et me demandent : ‘Que fais-tu là ?’ Et moi, je réponds : ‘J’habite ici.’ Eh oui, avant le Paname et le Bloom, nous, on était déjà là ! ».

Joana ajoute : « Avant, quand je disais que j’habitais dans le quartier de la gare, on me regardait avec étonnement. Désormais, si je dis que j’habite près de la place de Paris, souvent on me dit : ‘Ah, c’est super !’ »

Paula C., Portugaise, habite au Luxembourg depuis trois ans. D’abord à Bonnevoie et actuellement à Howald. « Au début, pour moi la gare était un endroit de passage. Quand j’ai rencontré des personnes qui y habitaient, ce quartier est devenu un endroit pour vivre. Je viens souvent aussi y faire mes courses. Il est multiculturel, et on y trouve la vraie vie, de vraies personnes. »

Hernani est arrivé en 2003 du Portugal aussi. « J’y viens souvent pour mon travail, mais aussi parce que j’y ai des amis et je vais à des cafés du quartier, le Santos Ribeiro ou d’autres de la place de Paris. Autrefois, je fréquentais le café A Capital, qui se trouvait là où maintenant il y a le Paname. »

Carlos Santos Ribeiro est, depuis quatre ans, le patron du café qui porte son nom, qui est aussi le siège de Juventude Lusitana, une association sportive et culturelle portugaise qui existe depuis 40 ans. « J’aime bien ce quartier. Ma clientèle est très variée : des Portugais, des Italiens, des Espagnols, des Luxembourgeois… Avec les voisins, je n’ai pas de problèmes, à l’exception de quelques personnes âgées qui ne tolèrent pas bien le bruit, ce qui m’a conduit à réduire le nombre de fêtes que j’organisais auparavant. J’habite avec ma famille à côté du café. Ma fille aime vivre ici : près de l’école, des bus, du travail des parents… »

Amélia Gomes, tenancière de l’épicerie Melita depuis 1998.

Aucun WC pour handicapé-e-s dispo…

Jean, originaire de France, circule en fauteuil roulant. Ses commentaires nous tiennent particulièrement à cœur. « Les passerelles installées à cause des travaux du tram au-dessus de la rue Glesener m’empêchent de traverser si je viens du côté gare. J’ai signalé mon mécontentement auprès de la Ville de Luxembourg. Personne n’a jamais réagi. La majorité des magasins où je vais sont de plain-pied (Carrefour, Monoprix). En revanche, certains établissements, comme la pharmacie de l’avenue de la Gare, ont une marche et je ne peux pas m’y rendre seul… Comment est-ce possible? Au niveau des sorties et des loisirs, le choix est restreint. Je vais au Troquet, car je n’ai qu’à traverser la rue et aller au WC de mon appartement. Là, je peux le comprendre, car le bâtiment est ancien. Mais là où je hurle, c’est quand je pense au Paname : un nouveau bâtiment et aucun WC pour handicapé-e-s dispo… une honte ! Or, mon pognon, ils le prennent . » Affaire à suivre…


Le quartier de la gare raconté par ses habitant-e-s

Diversité ? Danger ? Gentrification ? Pluralité ? Tout au long de l’été (et bien au-delà), Paca Rimbau Hernández propose de parcourir l’histoire et la vie du quartier de la gare, à travers les témoignages de personnes qui l’habitent, le bâtissent et parfois le subissent. Déjà en 1999 et en 2000, notre auteure avait tiré le portrait de ce quartier fascinant avec sa série « Que reste-t-il de nos amours ? » (à retrouver dans les archives du woxx) – presque vingt ans plus tard, sa nouvelle série témoigne des mutations urbaines et sociales qui façonnent ce lieu de passage des êtres humains et de leurs histoires. Photos de Paulo Jorge Lobo.


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