Série : Que reste-t-il de nos amours ? (6/16) : La rue des Italiens

Née en 1966 rue Glesener, Michèle Hilger-Henricy a toujours habité dans ce quartier. On peut la rencontrer au retour de son jogging, à vélo dans la Pétrusse ou dans son cabinet de kinésithérapie, ou chez Ouni. Comme son père, Paul Henricy, elle est une vraie Garer !

Photos : Paulo Jorge Lobo

« Jusqu’à dix ans, j’habitais rue Glesener ; ensuite j’ai déménagé rue de Strasbourg et depuis mon mariage j’habite rue des États-Unis. Ma première école a été la Nilles Schoul, dans la rue de Strasbourg, où se trouve le centre sociétaire. Mes camarades étaient d’origines très diverses : des Italien-ne-s surtout, mais aussi des Français-e-s, des Suisses et un Allemand. On parlait luxembourgeois entre nous et en classe aussi, les explications se faisaient dans cette langue.

Pour la Chandeleur, les enfants allaient seul-e-s, sans adultes, sonner de porte en porte pendant l’après-midi. Tout le monde nous donnait des sucreries. Ceci a fort changé. Vers 1995, quand j’allais avec mes enfants dans les magasins, les propriétaires étaient des étrangers et ne connaissaient plus cette tradition. Et si on allait sonner aux portes, souvent il n’y avait personne. Il fallait y aller le soir. Maintenant il existe un comité qui accompagne les enfants et les voisins doivent coller un sticker à la porte pour indiquer s’ils veulent ou pas que les enfants sonnent. Cela me fait un peu bizarre. Je trouve que tout est très protégé, de nos jours.

Pour les petit-e-s, actuellement il est plus difficile d’établir des relations avec ses voisins qu’à mon époque. La rue des États-Unis, c’était la rue des Italiens. J’aimais beaucoup les voir assis, comme en Italie, sur les escaliers, devant leurs portes. Il y avait une très bonne ambiance.

Mes deux filles ont fait leur maternelle à la Scuola Materna Italiana. Quand je leur disais un mot en italien, elles me rétorquaient : ‘Tu ne sais pas parler l’italien, parle luxembourgeois !’ En fait, les enfants savent très bien faire la différence entre les langues pratiquées dans les différents milieux où ils ou elles se trouvent.

Avant et après…

En face de l’Économat, là où il y a Fischer, il y avait Kremer, et aussi le petit magasin de journaux tenu par Laurette. Et la pâtisserie Geyer, rue de Strasbourg, et le boucher, où il y a la CMCM, et le magasin d’électricité, où il y a le fleuriste, et en face, il y avait un autre magasin d’électricité… Et Fers et métaux, et l’Electroauto et le garage Kieffer… Et puis, rue de Reims, il y avait la quincaillerie Hilger, qui appartenait à la famille de mon mari. Et la pâtisserie Lenz, rue Michel Welter, où se trouve l’épicerie sociale.

Fille des derniers propriétaires de l’Économat – fermé le 31 octobre 1999 -, Michèle est membre active de la coopérative Ouni. « Je travaille deux heures par mois. Le magasin se situe rue Glesener. La clientèle est composée majoritairement de jeunes et de gens du quartier. Aussi parce que les personnes qui se déplacent en voiture peinent à trouver un parking.

J’aimais bien le cinéma Marivaux. C’est là où mon père m’a emmenée voir mon premier film, ‘Les Aristochats’, et après ‘Lucky Luke’. Avant la projection, une dame passait avec des glaces Eskimo Pie. Et je me rappelle aussi très bien quand je chantais à la chorale de l’église. Mes parents me disaient de ne pas rentrer par la rue Joseph Junck. Moi, innocente, je demandais ‘mais pourquoi ? Il n’y a rien, dans cette rue ! Tout est fermé ! Voyez-vous ? Quand-même, enfants, nous pouvions circuler.

Et même aujourd’hui, je n’ai jamais eu de problème. Si je croise un dealer, je dis ‘ hello’. Ils ne m’ont jamais rien proposé et je pense que, si j’avais un problème dans la rue, je leur demanderais de l’aide. Je ne crois pas que les gens aient peur des dealers… Je me sens en sécurité, parce qu’il y a toujours du monde et que nous nous connaissons tous. L’été 2007, une fin d’après-midi, une de mes filles rentrait d’une activité aux Rotondes avec deux copines. Rue d’Anvers, une femme droguée les a attaquées. Et j’ai reçu un appel de Marie-Laure, la coiffeuse qui a son magasin dans cette rue, qui depuis sa fenêtre avait vu l’agression et avait accueilli les filles chez elle. Je ne crois pas que l’installation de plus de caméras serait utile. En revanche, la police devrait, comme autrefois, être plus proche des habitant-e-s, se promener dans les rues, dans les parcs. Souvent, j’ai l’impression que les policiers-ères ne se sentent pas concerné-e-s par ce qui arrive aux gens du quartier. Et c’est difficile de se confier à quelqu’un qu’on ne connaît pas.

L’âme, les codes

Des maisons de la rue Adolphe Fischer ont été vendues à des prix très élevés et certains des nouveaux voisins ne s’intègrent pas du tout dans la vie du quartier. Mais heureusement, il y a aussi des familles que l’on entend manger et discuter et il reste encore quelques ancien-ne-s voisin-e-s italien-ne-s.

Je reçois dans mon cabinet des personnes d’autres quartiers et je remarque que certaines ont peur de venir dans celui-ci. Parfois je perçois des réactions d’étonnement quand je dis que j’habite à la gare. Pas mal de gens de l’extérieur pensent que c’est un quartier pour la poubelle, mais quand on est né ici, on connaît l’âme, les codes. Je ne pourrais jamais m’imaginer aller habiter ailleurs. Dans dix ans, le quartier et sa population auront beaucoup changé, comme le reste du pays, d’ailleurs. On en reparlera alors. »

Trois questions à Michèle Hilger-Henricy

Des regrets ?
Pas vraiment. Les changements correspondent à une évolution.

Votre endroit préféré ?
Les petits magasins : le fleuriste, le Fou-Lu-Chu, Ouni, la petite épicerie Thym Citron, la poissonnerie… et la Pétrusse.

Un vœu pour le quartier de 
la gare ?
Qu’il garde sa vivacité et sa pluralité culturelle.


Le quartier de la gare raconté par ses habitant-e-s

Diversité ? Danger ? Gentrification ? Pluralité ? Tout au long de l’été (et bien au-delà), Paca Rimbau Hernández propose de parcourir l’histoire et la vie du quartier de la gare, à travers les témoignages de personnes qui l’habitent, le bâtissent et parfois le subissent. Déjà en 1999 et en 2000, notre auteure avait tiré le portrait de ce quartier fascinant avec sa série « Que reste-t-il de nos amours ? » (à retrouver dans les archives du woxx) – presque vingt ans plus tard, sa nouvelle série témoigne des mutations urbaines et sociales qui façonnent ce lieu de passage des êtres humains et de leurs histoires. Photos de Paulo Jorge Lobo.


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