Socfin cinq ans après : Promesses non-tenues

Photo: grain.org

Il n’y pas eu de manifestation cette année à l’occasion de l’assemblée générale de Socfin, qui s’est tenue le mercredi 30 juin à Luxembourg.

Les associations et ONG en soutien aux luttes des communautés affectées par les activités de Socfin ont préféré faire le bilan des promesses (non-tenues) par le groupe agro-industriel multinational spécialisé dans la culture de palmiers à huile et d’hévéa (caoutchouc) pour montrer que les agissements de Socfin ne font que confirmer les limites de l’engagement volontaire des entreprises. Selon eux, il serait temps que l’État luxembourgeois agisse en obligeant les entreprises domiciliées sur son territoire à respecter les droits des populations affectées par leurs activités.

Il y a 5 ans, le 5 juin 2013, avait lieu une première mobilisation transnationale contre les abus du groupe Socfin (dont Bolloré -38%- et Fabri -50%- sont les principaux actionnaires): du Cameroun au Liberia, en passant par le Cambodge, les riverains des plantations s’étaient élevés ensemble pour dénoncer les problèmes rencontrés. Au même moment, les associations et ONG se mobilisèrent devant les actionnaires du groupe lors de l’Assemblée générale. Depuis, les organisations de la société civile ainsi que les communautés locales affectées n’ont cessé d’interpeller les dirigeants et les actionnaires de Socfin quant aux impacts négatifs de leurs activités. Pourtant, malgré les dizaines de mobilisations locales et internationales, de courriers d’interpellation et de rapports documentant les nombreuses problématiques posées au regard du respect des droits des riverains, le groupe continue d’ignorer la majeure partie des problèmes et de refuser un dialogue avec les communautés pour résoudre les conflits.

Conflits fonciers, privation de ressources naturelles, rivières polluées, compensations dérisoires, conditions de travail précaires, promesses non respectées [1] : les conditions de vie des riverains des plantations du groupe empirent, sous une pression foncière croissante. En effet, entre 2010 et 2017, les terres contrôlées par le groupe Socfin sont passées de 323.198 ha à 402.344 ha, soit une augmentation de 25 %, alors que les surfaces effectivement cultivées ont augmenté de 36% [2]. Les conflits sont ainsi exacerbés par ces expansions, les populations riveraines dans plusieurs pays affirmant qu’elles n’ont pas donné leur consentement libre, informé et préalable pour céder leurs terres.

Promesses non-tenues

Depuis l’année passée, Socfin fait des démarches pour mettre en œuvre une « politique de gestion responsable » adoptée fin 2016, mais les communautés locales ne constatent pas de réelles avancées sur le terrain, pour exemple :

− Malgré le discours du groupe de «s’engager avec toutes les parties prenantes concernées », plusieurs organisations de riverains se voient encore refuser le dialogue, comme la Synaparcam au Cameroun, MALOA en Sierra Leone, ou l’UVD en Côte d’Ivoire.

− Concernant les limites contestées des plantations, le bornage qui a débuté en 2018 au Cameroun est déjà remis en question. La commission mise en place par le Ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières, pour gérer le conflit foncier avec la Socapalm, est totalement opaque et n’inclut aucun représentant des communautés concernées ni de la société civile.

− En Sierra Leone, les familles paysannes constatent que les quelques projets sociaux [3] menés par Socfin depuis 2011 ne pourront jamais compenser la perte de leur terre grâce à laquelle elles pouvaient, avant l’arrivée de l’entreprise, subvenir aux besoins de leur famille. « Depuis qu’ils ont pris notre terre, nous n’avons plus les moyens de scolariser nos enfants et devons faire crédit pour acheter de quoi manger », rappelle la communauté Taninahun dans le Chefferie de Malen.

Au niveau des ONG qui accompagnent les communautés, les menaces judiciaires du groupe Socfin planent toujours. Une plainte pour diffamation est déposée contre Greenpeace, Green Scenery et Oakland Institute. Un autre procès intenté contre Sherpa et ReAct, ainsi que Médiapart, perdu par Socfin en première instance, fait l’objet maintenant d’une procédure d’appel.

De Sierra Leone au Cameroun, en passant par le Cambodge, les communautés affectées par les filiales de Socfin répètent les mêmes revendications : le respect de leurs droits, la révision des contrats d’occupation des terres avec une réelle participation des communautés, et un suivi indépendant des engagements sociétaux de l’entreprise.

Normes contraignantes pour garantir le respect des droits

En mars 2018, 13 organisations de la société civile luxembourgeoise ont présenté la proposition d’introduire dans le cadre légal luxembourgeois un devoir de vigilance afin de prévenir d’éventuelles violations des droits humains et des atteintes à l’environnement par des entreprises transnationales opérant depuis le Luxembourg. Inspirée des Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme adoptés en 2011, une telle législation sur le devoir de vigilance obligerait les entreprises à évaluer l’ensemble de leur chaîne de valeur afin d’identifier les risques effectifs et potentiels en matière de droits humains et d’environnement, mais aussi à prendre les mesures nécessaires pour y remédier. Enfin, elles devraient rendre compte publiquement de leur évaluation et des mesures adoptées.

Afin de garantir que les entreprises s’acquittent de leur devoir de vigilance, l’initiative propose de mettre en place un organe de contrôle indépendant et de prévoir des sanctions en cas de non- respect de cette obligation. Ainsi, le devoir de vigilance aura un fort effet préventif, en incitant les entreprises à agir correctement.

[1] https://www.projet-react.org/fr/bollore-presentation/
[2] Chiffres fournis par Socfin dans les rapport annuels
[3] A noter que d’après les documents fournis aux ONG, en Sierra Leone, plus de 35% des dépenses que Socfin prétend faire au bénéfice direct des communautés servent exclusivement à la réfection et la construction d’infrastructures routières. Ces routes qui sont indispensables à l’entreprise pour ses activités commerciales et l’écoulement de l’huile produite sont comptabilisées comme des projets sociaux aux bénéfices des communautés locales.


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