Acheter deux fois plus, quatre fois moins cher

Le court métrage « Rethink Your Clothes » doit sensibiliser les jeunes consommateurs aux conditions des travailleurs du textile.

En quelques années, la donne a radicalement changé : aujourd’hui, en moyenne, nous achetons deux fois plus de vêtements qu’il y a encore quinze ans, alors que nous les payons environ quatre fois moins cher. Marie-Josée Jacobs, présidente de la fondation Caritas se veut claire : le but de la campagne Rethink Your Clothes n’est pas de choquer, mais d’inciter à réfléchir afin de « produire un changement dans la durée » – en particulier auprès des jeunes consommateurs, qui disposent déjà d’un certain pouvoir d’achat.

Après le lancement de la campagne en collaboration avec Fairtrade Lëtzebuerg, voici donc le court métrage, signé Charlotte Bruneau et présenté hier soir en avant-première au Benu village à Esch-sur-Alzette. Sur un ton à la fois ironique et factuel, le film met en parallèle la vie de deux femmes : celle de Katy (Frédérique Colling), Luxembourgeoise aisée, en train de désespérer devant son armoire remplie de vêtements qui ne lui plaisent pas et Salma, travailleuse du textile au Bangladesh, déterminée à attirer l’attention des consommateurs dans le monde entier sur les conditions de travail qui sont les siennes. En concertation avec des syndicalistes locaux, la jeune fille commence à coudre un message dans les habits qu’elle confectionne : Rethink your clothes. Et que Katy finit par découvrir sur sa tenue du jour. Intriguée par ces mots manuscrits, celle-ci commence à faire des recherches…

La projection du film fut suivie de l’intervention de Carole Crabbe, coordinatrice d‘AchACT – Actions Consommateurs Travailleurs sur la rémunération des travailleurs du textile et la notion de salaire vital. Les grandes marques contrôlent l’accès au marché et imposent leurs conditions aux fournisseurs comme aux sous-traitants et aux employés des ateliers de fabrication. Concernant ces derniers, il n’est d’ailleurs pas toujours évident de déterminer leur employeur réel (la marque ou l’usine), alors que les grandes marques continuent à se payer la « part du lion », sait Carole Crabbe.

Aussi, dans l’industrie du textile, exploitation et migration iraient souvent de pair. Cela est vrai pour le Bangladesh, où l’industrie repose sur une main-d’œuvre bon marché, essentiellement féminine, souvent mineure et en décrochage social, attirée depuis la campagne dans les grandes villes, comme pour la Chine et les immigrés chinois dans l’industrie de luxe toscane. Mais aussi pour la Turquie, où l’industrie du textile repose largement sur la force de travail de réfugiés syriens, le Maroc ou encore l’Ukraine. Tout cela dans des conditions sécuritaires et sanitaires souvent désolantes, comme l’a montré l’effondrement en 2013 du tristement célèbre Rana Plaza à Dhaka au Bangladesh, et qui a fait 1034 morts.

Réfléchir le vêtement

Jusqu’à présent, de grandes marques comme H&M, Carrefour, Zara ou Nike se sont montrées réticentes lorsqu’il s’agissait d’apporter plus de transparence. Elles préfèrent encore, comme H&M récemment se donner une image verte, en mettant en vente des vêtements soi-disant « conscients » – les conditions de production n’en demeurent pas moins floues. Voilà pourquoi avec l’Asia Floor Wage Alliance, alliance syndicale internationale, AchACT a élaboré une méthode pour calculer le salaire dit vital. Ce salaire qui, à l’opposé du salaire minimum doit suffire pour couvrir les besoins en alimentation, logement, éducation, santé, vêtement, transport et épargne. En retenant ces critères, on arrive à un montant de référence.

Charlotte Bruneau, réalisatrice de « Rethink Your Clothes », au milieu de l’équipe bangladaise.

Ensuite, grâce à des accords-cadres et sectoriels, avec la participation des travailleurs et l’inspection des bâtiments d’usine supervisée par l’Organisation internationale du travail (OIT), des accords sur la sécurité et la liberté syndicale, on oblige peu à peu les entreprises à « analyser ce qui se passe dans leurs filières et dédommager le cas échéant » , se félicite Carole Crabbe. Autre niveau d’action : les tribunaux et l’engagement pour donner aux victimes accès à la justice de nos pays. Enfin, nous tous nous sommes acteurs de la fast fashion, comme le souligne l’activiste. Donc libres d’acheter Fairtrade, de recycler nos vêtements, de les réfléchir et de proposer des solutions, comme à Bruxelles, où un collectif loue des vêtements de bébé.

« Au final, c’est au niveau politique, au niveau des salaires qu’il faut agir », a estimé la réalisatrice Charlotte Bruneau. Également dans le public : Claude Turmes, écologiste, ancien député européen et ministre depuis peu, a fait part de la volonté de son gouvernement de «  faire loi sur la vigilance » estimant que le temps des « self-declarations »  est désormais révolu… sinon en politique, du moins pour les grandes marques.

Screening-debate en présence de la réalisatrice et de Georges Kieffer de Benu Village Esch asbl. au CITIM-Centre d’information Tiers Monde, le 19 décembre. Horaire : 12h à 14 h Lien: http://cercle.lu/evenement/projection-du-court-metrage-rethink-your-clothes/


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