EST-OUEST: Pour une poignée d’euros ?

Le 1er juillet, la Pologne reprendra la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, symbole de son intégration dans la communauté. Deux mois auparavant, les restric-tions du marché du travail allemand concernant les ressortissants des pays de l’Est ont été levées. Contrairement à certaines mises en garde, le fameux « plombier polonais » a mieux à faire que de venir concurrencer les « Dichter und Klempner ».

« Vers l’accueil. » Les travailleurs d’Europe de l’Est ne se bousculent pas au portillon. Ceux qui voulaient émigrer l’ont déjà fait et pas forcément vers l’Allemagne.

Les choses ont bien changé depuis mai 2004, quand dix pays, dont huit anciens membres du bloc de l`Est, entrèrent dans l`UE pour le plus grand élargissement de son histoire. Dans ces Etats, peuplés de quelque 75 millions de personnes, l`introduction de l`économie de marché au début des années 90 avait laissé des traces visibles dans les paysages, les quotidiens et les parcours de vie, mêlant de nouvelles opportunités à une grande insécurité. Mais malgré leur acceptation des nouveaux venus dans la grande famille européenne, la quasi totalité des gouvernement des anciens Etats de l`UE considérèrent ces populations comme un danger déstabilisateur pour leurs économies et posèrent des restrictions à leur arrivée sur leurs marchés du travail. Par contre, les capitaux venus de l`ouest purent prendre leurs aises à l`est dans des économies offrant à qui mieux mieux des plafonds fiscaux fortement avantageux en comparaison avec la pression fiscale dans leur pays d`origine. En Allemagne, le chancelier  Gerhard Schröder se voulait protecteur, promettant lors de son discours du 30 avril au Bundestag en l`honneur de l`élargissement, plus d`avantages que de risques à ses compatriotes. « L`Allemagne va profiter au maximum de l`élargissement », disait-il. Sa successeur Angela Merkel confirma sa décision et prolongea en 2008 les restrictions sur le marché du travail jusqu`au délai maximum imparti par la Commission européenne et fit de son pays le seul, avec l`Autriche, à persister dans cette voie.

Les choses ont bien changé, parce que le « plombiers polonais » tant redouté autrefois est aujourd`hui accueilli à bras ouverts par une économie allemande en plein essor et avide de main d`oeuvre. Les carnets de commande sont pleins mais les bras manquent. En effet, selon la Chambre de commerce et d`industrie allemande, 90.000 postes d`emploi dont 65.500 ingénieurs manquent à l`appel, tout comme des dizaines de milliers d’apprentis, en particulier dans l`est du pays. Le manque à gagner est chiffré à 3,3 milliards d`euros. Seule ombre à ce charmant tableau de ce qui pourrait être une réconciliation en bonne et due forme, l`absence des Européens de l’Est en question.

Le président de la Chambre de commerce et d`industrie allemande, Hans Heinrich Driftmann, laisse entendre que l`Allemagne a raté le coche : « Pour les travailleurs qualifiés, nous ne sommes plus aussi attractifs que nous le croyons ». Les niveaux de vie ont augmenté en Europe de l`Est, en Pologne notamment, aujourd`hui sixième puissance économique européenne : malgré la crise et les écarts structurels encore très importants avec l`ouest, les chiffres de la croissance restent au vert et les salaires augmentent – d`un tiers en cinq ans. Le chômage, bien qu`élevé, se stabilise aujourd`hui autour de dix pour cent. « Les Polonais viennent encore avec plaisir en Allemagne, mais plus pour un salaire de trois euros de l`heure », explique Klaus Schrader de l`Institut pour l`économie mondiale de Kiel.

Plombiers partis ailleurs

Bien sûr, le pays connaît toujours un mouvement de travailleurs saisonniers venant en Allemagne, en Hollande ou ailleurs pour cueillir les fraises et les asperges ou travailler dans le bâtiment. Mais les candidats au départ se font rares, la majorité, dont les plus qualifiés, ayant déjà pris le large dans les pays qui avaient ouvert leur marché du travail dès 2004. On compte 350.000 Polonais au Royaume-Uni, 200.000 en Irlande. D`autres sont partis vers les pays qui ont ouvert les frontières en 2008 : ils sont 160.000 en Hollande, entre 100.000 et 200.000 en France à être issus de cette nouvelle vague d`émigration vers des pays qui n`exigeaient plus de titre de séjour ou d`autorisation de travail. Depuis, certains sont revenus au pays construire une maison ou lancer une entreprise.

En Allemagne, depuis le premier mai, l’arrivée d’une main d’oeuvre orientale espérée par certains et redoutée par d`autres se laisse attendre. On n`attend plus de mouvement massif de populations. La ministre polonaise du Travail et de l`action sociale, Jolanta Fedak, estime à entre 100.000 et 400.000 ceux qui profiteront à long terme de l`ouverture du marché du travail allemand pour traverser la frontière. Il s’agit probablement des derniers candidats à l`aventure – les experts sont d`accord, ceux qui voulaient partir l`ont déjà fait d`une manière ou d`une autre. Fedak précise d`ailleurs « que la décision de partir pour raisons économiques ne saurait être, dans la majorité des cas, une décision définitive ». Laissant sous-entendre qu’il s`agit en majorité de saisonniers, qui ne viendront pas infléchir le déclin démographique que vit actuellement l`Allemagne.

Pour remédier au manque de main d`oeuvre, les entreprises, soutenues par l`Etat, s`organisent, notamment dans les régions de l`est de l`Allemagne, durement touchées par le chômage de longue durée mais aussi par une baisse du nombre d`apprentis lié au recul des naissances après la réunification. Selon l`Union des artisans allemands, l`ancienne Allemagne de l`Est a aujourd`hui 110.000 apprentis de moins qu`en 2003. 10.000 postes d`apprentissage sont à pourvoir. En plus de tenter de motiver les jeunes du coin à s`engager comme apprentis, on va en chercher à l`étranger. Ainsi, depuis le 2 mai, la Chambre des artisans de Cottbus, à 10 kilomètres à peine de la frontière polonaise, organise des cours intensifs de quatre mois pour que de jeunes Polonais apprennent la langue et commencent un apprentissage dès septembre dans une entreprise allemande. Le spectre des formations est large, on cherche de futurs électriciens, coiffeurs, bouchers ou employés de bureaux. Un projet pilote en Allemagne : « Une opportunité unique pour la région à l`ère de la mondialisation. Il nous faut du personnel bilingue », explique le directeur de la Chambre des artisans, Frederik Karsten, bien conscient de l`interdépendance accrue entre sa région et la Pologne.

Karsten organise également chaque année des stages pour une centaine d`apprentis de la ville polonaise de Zielona Gora dans la région de Cottbus, des apprentis qui se familiarisent ainsi avec l`environnement professionnel allemand. En plus de cela, les foires à l`emploi organisées par des entreprises allemandes se multiplient à l`est de la frontière germano-polonaise et l`Agence fédérale pour l`Emploi vient même d`ouvrir le 11 mai dernier une antenne à Szczecin en Pologne, sur la mer Baltique. Celle-ci doit conseiller les Polonais à préparer au mieux leur arrivée en Allemagne.

Vive l`apprenti polonais !

Pourtant, tout le monde ne voit pas d`un très bon oeil cette tentative de « mainmise » sur les jeunes Polonais, même en très haut lieu. Pour les apprentis, venir travailler en Allemagne est une véritable aubaine. Leur activité est rémunéré à hauteur de 650 euros, l`équivalent d`un salaire plus que respectable pour un professionnel avec plusieurs années d`expérience … et énorme par rapport aux 50 euros qu`un apprenti obtient en Pologne. Pour la ministre Fedak, c`est une concurrence déloyale : « Les programmes de formation sont un danger pour notre économie. Nous devons proposer des programmes similaires à nos jeunes ». Actuellement, il est toutefois impossible de trouver des apprentissages similaires en Pologne, ce qui pousse certains démographes à prédire à long terme la dépopulation des régions les plus à l`ouest du pays. Mais la majorité reste sereine et ne croit pas à un mouvement d`émigration capable de vider des villages entiers, comme ce fut le cas en 2004.

Les craintes de la ministre polonaise font écho aux préoccupations du gouvernement tchèque, qui tente de retenir le plus possible son personnel hospitalier. Il y a quelques mois, il a ainsi cessé de délivrer des certificats de conformité aux médecins désireux de travailler de l’autre côté de la frontière. Avec des salaires aux alentours des 3.700 euros bruts, ils peuvent gagner cinq ou six fois leur salaire de base en République Tchèque. Au mois de décembre 2010 la situation se corsa lorsqu`un quart des médecins hospitaliers du pays, environ 4.000 personnes, posèrent un ultimatum au gouvernement dans le cadre de leur plate-forme « Merci, nous partons ». Ils remirent leur démission pour protester contre leur niveau de salaire et leurs conditions de travail, en particulier les heures supplémentaires non payées. Le gouvernement finit par céder au mois de février et augmenta le traitement du personnel médical qui reste cependant à un niveau encore très éloigné des salaires allemands. La plupart des médecins sont finalement restés.

Indéniablement, la proximité d`un marché allemand offrant de meilleures perspectives d`emploi peut être une chance tout comme un facteur d’instabilité pour les régions frontalières, en particulier dans certains branches. Toutefois, cette ouverture du marché du travail allemand ne vient pas bouleverser la vie des Polonais ou des Tchèques, même si elle facilite les mouvements de personnes dans la région, mouvements que l`entrée dans l`espace Schengen en 2008 avait déjà favorisé. Cette ouverture arrive pourtant bien trop tard. Il n`est même pas sûr qu`une ouverture en 2008 aurait eu un impact très différent, la grande vague d`émigration ayant déjà eu lieu. L`Allemagne a trop forcé dans la prudence en voulant se « protéger » jusqu`au bout, nourrissant ainsi une appréhension qui n`avait plus lieu d`être.


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