POLOGNE: Silence, on fore pour la patrie!

La Pologne posséderait les gisements de gaz de schistes les plus importants d`Europe. Une manne que le gouvernement veut mettre à profit pour gagner l`indépendance énergétique du pays, dépendant du gaz russe. Les risques humains et environnementaux sont, au passage, passés gentiment à la trappe.

Dans la région de Pozna´n, une concession du géant énergétique américain HalliBurton que rien ne semble être en mesure de déranger…

Le Premier ministre polonais Donald Tusk a choisi un hameau du nord de la Pologne pour prôner les bienfaits du gaz de schiste. Lubocino, un petit village de 140 âmes de Kachoubie, la région dont il est originaire. C`est là que la compagnie énergétique étatique PGNiG a commencé, début septembre, ses premiers forages d`essai en vue de l`extraction du gaz de schiste.

Selon l`Agence d`information sur l`énergie, la Pologne détiendrait le plus grand gisement d`Europe de gaz de schiste d`un volume de 5.300 milliards de m3, de quoi couvrir la consommation actuelle du pays pendant 300 ans. L`annonce n`a laissé personne indifférent. Les analystes et le gouvernement ont célébré cette aubaine qui permettrait au pays de sortir de sa situation délicate au niveau de l`approvisionnement énergétique : en effet, 48 pour cent du gaz polonais vient de Russie.

Ce 18 septembre à Lubocino, Tusk l`a confirmé : « L`exploitation du gaz de schiste commencera dès 2014 et nous atteindrons l`indépendance énergétique en 2035. » De telles déclarations ne peuvent qu`attirer les faveurs de l`électorat en vue des élections législatives imminentes du 9 octobre. Car le parti de Tusk, la Plate-forme Civique (PO) libéral-conservatrice, perd lentement sont avantage dans les sondages face aux nationalistes du parti Droit et Justice (PiS). Dans la dernière ligne droite de la campagne électorale, il faut jouer tous ses atouts et notamment la carte nationaliste. Tusk conclu : « La Pologne sera alors une puissance exportatrice d`énergie, capable d`imposer ses conditions ».

Les paroles de Tusk font écho aux souvenirs amers qu`évoque aux Polonais la dépendance au gaz russe. On pense aux guerres du gaz russo-ukrainiennes de 2005 à l`hiver 2010, au cours desquelles la Pologne vit aussi son approvisionnement en gaz réduit ; ou au litige gazier entre le géant russe Gazprom et la Biélorussie de l`hiver 2007 dont les dernières répercussions se firent sentir en juin 2010 lorsque le dictateur Alexander Lukaschenko prit la décision de couper les gazoducs de transit. Deux pays en furent principalement touchés : la Lituanie, entièrement approvisionnée via la Biélorussie, et la Pologne.

« L`indépendance énergétique »

Mais malgré l`instabilité inhérente aux relations entre la Russie et les pays de transit, la Pologne a signé fin 2010 un nouveau contrat d`approvisionnement avec Gazprom jusqu`en 2022. Un contrat qui a divisé la presse, les nationalistes considérant que les conditions étaient très défavorables. Le gouvernement a en effet accordé à Gazprom un monopole sur le transit du gaz, que la Commission européenne n`a pas manqué d`épingler. De son côté, la presse sympathisant avec le gouvernement saluait la garantie d`approvisionnement pour la décennie à venir.

L`équation va pourtant se compliquer d`une inconnue dans les semaines qui viennent. Le 8 novembre prochain, le gaz sibérien va, pour la première fois, directement traverser la mer Baltique entre les villes de Vyborg en Russie et de Greifswald en Allemagne grâce au gazoduc Nord Stream. Avec ce pipeline sous-marin de 1.200 km, Gazprom, son propriétaire à 51 pour cent, et ses partenaires européens Wintershall, E.On, Gasunie et GDF Suez, vont pouvoir contourner les pays d`Europe de l`Est.

Un motif d`inquiétude pour l`Europe centrale et orientale, car jusqu`à aujourd`hui, en cas de conflit gazier, les pays de l`Ouest ont vite réagi dès que le transit de gaz russe a été mis en question. En janvier 2009 notamment, alors que plus une goutte de gaz ne traversait les pipelines ukrainiens, la chancelière allemande Angela Merkel a appelé immédiatement l`Ukraine et la Russie à revenir au plus vite à la table de négociation. Au passage, l`ancien chancelier allemand et membre du conseil de surveillance de Nord Stream, Gerhard Schröder, a saisi la balle au bond pour insister sur l`importance de Nord Stream. Ainsi, avec ce nouveau gazoduc sous-marin, l`Ouest n`aurait plus à se soucier de conflits gaziers dans les pays de transit. La question qui reste en suspens est de savoir si l`Ouest s`engagera si ouvertement pour la résolution des conflits en Europe de l`Est si son approvisionnement est garanti ? En 2006 déjà, le ministre de la Défense polonais, Rados?aw Sikorski, baptisait Nord Stream de « gazoduc Molotov-Ribbentrop ».

Et pour sortir de cette dangereuse spirale, Donald Tusk voit le gaz de schiste comme la solution la plus appropriée. L`Etat, qui est propriétaire des sous-sols en Pologne, a déjà vendu plus de 90 concessions à des entreprises étrangères desquelles il n`exigera que 23 pour cent des bénéfices réalisés. Parmi elles, les plus grands groupes énergétiques internationaux comme les américains de Chevron, Exxonmobil, Halliburton et ConocoPhilips, l`italien Eni et le français Total. Tout comme PGNiG le fait à Lubocino, ces entreprises testent depuis des mois le « fracking » dans le sous-sol polonais, une technique que le documentaire « Gasland » a rendu tristement célèbre. Il s`agit de pomper à forte pression un mélange d`eau, de sable et de produits chimiques sous terre pour perforer la roche et en extraire le gaz.

A en croire le gouvernement et les médias polonais, le gaz de schiste n`aurait pas d`inconvénient environnemental et ne poserait pas de problème de santé publique. Peu nombreux sont ceux qui remettent en question le discours officiel et appellent à un débat national sur les risques de son extraction. Marek Kryda est l`un d`eux. Kryda s`engage depuis longtemps contre les OGM en Pologne, un combat auquel vient s`ajouter sa lutte contre le gaz de schiste. Il a été témoin des conséquences des premiers forages, de l`endommagement des habitations et de la pollution des nappes phréatiques. En parallèle à la conférence informelle des ministres de l`Energie de l`UE du 19 septembre à Wroc?aw, il a participé à la fondation de la fédération « Une Pologne sans fracking ».

La loi du silence

Pour Kryda, l`argumentaire de l`indépendance énergétique ne prend pas. « L`Etat a vendu des concessions pour une bouchée de pain. Une dizaine de milliers d`euro, alors qu`en Bulgarie, par exemple, les entreprises sont prêtes à payer des millions pour la même chose. » Il remet en cause la faible taxation des profits. « Tusk parle de 23 pour cent des profits dans les caisses de l`Etat, mais rien n`a encore été décidé. Ce serait de toute manière ridicule par rapport à ce que la Norvège demande. Là-bas, on table plutôt pour du 80 pour cent. Et puis, vu le prix des forages, les entreprises mettront dix ans avant de dégager des bénéfices. Pendant ce temps, rien n`entrera dans les caisses de l`Etat et il se peut même que le gaz de schiste se révèle finalement plus cher que le gaz russe. »

Aux yeux de Kryda, le débat est bloqué, en politique comme dans les médias. Il y a une sorte d`union sacrée autour du gaz de schiste. « Celui qui ose critiquer la ?fracking` se voit accusé d`être antipatriotique, d`être un agent des Russes ». Pourtant, le 28 septembre, le premier reportage présentant la situation des villageois lésés a été diffusé sur une chaîne de télévision nationale. « Les autorités y ont étalé leur ignorance et l`absence de prise en charge des victimes ». On y apprend que la porte parole du ministère de l`environnement a souhaité que le contenu de l`entretien qu`elle venait d`accorder aux journalistes ne soit pas diffusé. « C`est une première dans le pays ! »

Kryda sent pointer une catastrophe humaine et écologique. « Le gouvernement n`a pas exigé des compagnies qu`elles prouvent que les méthodes sont sans risque. Il n`a posé aucune condition. Certains composants utilisés ici pour le ?fracking` sont interdits par les accords REACH de l`UE sur les produits chimiques, mais les exploitants ne les ont pas déclaré. » Des habitants de certains villages du pays ont déjà fait l`expérience des conséquences néfastes de ces forages. « Ces gens sont complètement laissés à leur sort. Personne ne vient les informer de ce qui se passe sur leur commune, des risques de telles activités ». Le député européen José Bové était en Pologne en juin et en septembre pour soutenir les personnes affectées. Aux côtés de Kryda, il a remis à Donald Tusk un rapport sur les dangers du « fracking ».

Kryda estime que la politique du Premier ministre est dirigée par des intérêts électoralistes. « En faisant des promesses à très long terme, il ne se mouille pas trop et peu en tirer un sérieux avantage aux élections. » Mais il voit aussi une tentative de se rapprocher des Etats-Unis. « Les Etats-Unis pourraient s`engager stratégiquement en Pologne, s`ils y ont des intérêts énergétiques importants. Tusk espère peut-être que l`Otan vienne finalement installer ici quelque bouclier antimissile. »

Marek Kryda sait qu`il sera difficile de renverser la balance. Il espère au moins pouvoir lancer un débat dans les médias après les élections. « Nous voulons sensibiliser le grand public et bombarder les politiques avec des lettres des localités en danger. »

A Lubocino, Donald Tusk a récolté des applaudissements pour ses promesses sur l`indépendance énergétique du pays. Mais il se peut qu`il y récolte bientôt la colère, s`il s`avère qu`il a offert les ressources de la Pologne pour presque rien, tout en ignorant autant sa population que l`environnement.


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