Tunisie : Le drame djihadiste secoue le pays

Le pays touristique est de nouveau ébranlé par un attentat. Les conséquences sur son économie, déjà faible, s’annoncent graves.

1326InterTunisie

Des touristes et des Tunisiens ont rendu hommage aux victimes de l‘attentat en déposant des fleurs sur les lieux du drame. (Photo : Maryline Dumas)

Après l’attentat du musée du Bardo (22 morts), le 18 mars dernier, la Tunisie a de nouveau été touchée vendredi dernier. L’attaque sur une plage de Port El-Kantaoui, près de Sousse, dans le nord-est du pays, a coûté la vie à 38 personnes. Une quarantaine d’autres ont été blessées.

Il est environ 11h40 lorsque celui qui sera identifié plus tard comme Seifeddine Rezgui par les autorités ouvre le feu sur la plage qui se trouve devant l’hôtel Imperial Marhaba, un établissement en « all inclusive » (tout compris) apprécié des Anglais et des Allemands. Le jeune homme de 23 ans se dirige ensuite vers la piscine couverte, l’intérieur de l’hôtel, le premier étage puis le parking. À chaque fois, les témoins signalent qu’il cible principalement les touristes. Le suspect sera finalement abattu dans une ruelle proche du complexe hôtelier.

Les failles du gouvernement

Ce drame a mis en évidence de nombreuses failles, alors que le gouvernement tunisien a placé le pays en état d’alerte maximum depuis l’attentat du Bardo.
 Timmy, un Britannique qui se trouvait dans sa chambre de l’hôtel Imperial Marhaba au moment des faits, raconte que l’attaque a duré « des siècles, au moins 45 minutes. On a attendu longtemps avant que quelqu’un n’intervienne ». Les gardes de l’hôtel, dont le nombre se comptait sur les doigts d’une main, n’ont rien pu faire. « Nous ne sommes pas armés », explique l’un d’eux. « Nous n’avions même pas un chien pour l’attaquer. Nous avons fait comme on a pu, on lui a jeté des pots de fleurs. » Interrogée sur les éventuelles défaillances de sécurité, Zohra Driss, la propriétaire de l’hôtel et députée tunisienne, se défend : « La plage est un lieu public. Franchement, comment un homme en short avec un parasol (l’arme était dissimulée dedans, ndlr) sur une plage peut-il vous mettre la puce à l’oreille ? » Membre du parti majoritaire, Nidaa Tounès, elle a cependant demandé la mise en place d’une présence policière aux abords des hôtels. Dès dimanche, le gouvernement a annoncé que « les unités de la police touristique seront armées et opérationnelles à l’intérieur comme à l’extérieur des zones touristiques à partir du 1er juillet. Mille agents de sécurité seront affectés pour renforcer ce corps. »

La police critiquée

Mais l’action des forces de l’ordre est elle aussi fortement critiquée. Déjà accusés de s’en prendre de façon illégale aux cafés ouverts pendant la journée en période de ramadan et d’être corrompus, les policiers tunisiens en prennent à nouveau pour leur grade. Des témoins évoquent le fait qu’un Zodiac de la police touristique serait arrivé rapidement sur les lieux. Un seul de ses deux occupants aurait été armé. Mehdi Jemmali, qui travaille à la base nautique proche de l‘hôtel, a raconté au média tunisien Webdo que « le problème, c’est que les agents avaient peur. Ils ne voulaient pas aller affronter le terroriste (…). Un des employés de l’hôtel a alors pris l’arme mais il ne savait pas l‘utiliser ». Une version confirmée par des clients, qui ont vu un homme en maillot rouge tenter de tirer et ont pensé que c‘était un complice. Ce n’est que 30 à 40 minutes plus tard, alors que le suspect n’a semble-t-il plus de munition, que les policiers interviennent réellement. Le ministre de l’Intérieur, Mohamed Najem Gharsalli, a justifié ce retard par un problème de « coordination entre la sécurité de l’établissement et les forces de l’ordre ».

Le suspect est alors pourchassé. Un ouvrier a déclaré sur une chaîne anglophone avoir jeté des morceaux de céramique sur Seifeddine Rezgui du haut du bâtiment sur lequel il travaillait, et l’avoir touché. Les policiers se rapprochent. Une vidéo montre l’homme à terre puis laisse entendre une nouvelle rafale de tirs. Seifeddine Rezgui est mort. « Mais pourquoi l’ont-ils tué ? », s’agace une Tunisienne. « Il fallait le faire parler, obtenir ses contacts ! »

La police de Ben Ali

Preuve que le gouvernement tunisien n’avait pas conscience de la menace, le premier ministre, Habib Essid, a reconnu que « cette attaque criminelle [était] un coup imprévisible ». Et le chef du gouvernement de préciser que le suspect, Seifeddine Rezgui, n’était pas inscrit « sur le fichier des éléments terroristes établi par le ministère de l’Intérieur. Il ne s’est jamais absenté des cours et rien ne laissait prévoir son appartenance à un quelconque courant ». Rien, excepté ses publications sur les réseaux sociaux : sur sa page Facebook, ouverte à tous, l’étudiant n’hésitait pas à exprimer ses convictions et son soutien à l’organisation de l’État islamique (EI), qui a d’ailleurs revendiqué l’attentat. « Si l’amour du djihad est un crime, tout le monde peut témoigner que je suis un criminel », a-t-il notamment écrit. Né à Gaafour (nord-ouest du pays) en 1992, Seifeddine Rezgui était fan de breakdance – des vidéos le montrant en train de danser en 2010 circulent sur les réseaux sociaux. Il se serait radicalisé à Kairouan (à 60 kilomètres à l’ouest de Sousse), où il étudiait, et dans un institut islamique de Tunis.

En découvrant son profil, les Tunisiens s’énervent. « Il faut interroger et surveiller tous ceux qui ont ‘aimé’ ces statuts Facebook », affirme un quadragénaire. Mina, une employée de l’hôtel attaqué, est encore plus directe : « Il faut prendre des mesures fortes. Les droits de l’homme, on s’en fout. Il faut remettre en place la police de Ben Ali, il faut mettre fin au terrorisme dans notre pays. »
 Depuis la fin du régime dictatorial de Zine el-Abidine Ben Ali en 2011, la Tunisie est confrontée au développement du terrorisme. Le pays est effectivement un des plus gros pourvoyeurs de combattants pour l’EI. Et le retour de ces combattants au pays – ils seraient déjà au moins 500 à être rentrés – fait craindre une multiplication des attentats.

15 pour cent de chômage

L’attraction qu’exerce l’EI sur les jeunes Tunisiens pourrait être liée à la situation économique. Chaque nouvelle recrue tunisienne de l’EI recevrait entre 1.500 (pour une femme) et 2.000 euros (pour un homme). Le président tunisien, Béji Caïd Essebsi confirme : « La Tunisie n’a pas 2.000 euros à donner à chaque chômeur. Nous avons de la pauvreté, des gens marginalisés. Les jeunes Tunisiens désœuvrés sont les victimes de la manigance de ces groupes. » La Tunisie compte environ 601.000 chômeurs, soit 15 pour cent de sa population active. Pour les jeunes diplômés, le taux monte à 30 pour cent.

Si l’EI n’est pas encore formellement implanté en Tunisie, ses opérations s’y multiplient. L’organisation terroriste a revendiqué les attentats du Bardo et d’El-Kantaoui. La branche libyenne de l’organisation de l’État islamique est un autre problème qui pèse sur la Tunisie, et notamment sa région Sud. Le gouvernement non reconnu de Tripoli affirme haut et fort que les Tunisiens sont très présents dans les rangs de l’EI en Libye. Recherchés par la justice de leur pays, ces hommes trouvent refuge dans le chaos libyen. Ahmed Rouissi, un des responsables d’Ansar Al-Charia en Tunisie qui sont soupçonnés d’avoir été en 2013 le cerveau des assassinats de deux opposants politiques, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, s’était ainsi installé en Libye. Il y a été tué en mars dernier. La majorité des attaques suicides qui ont lieu dans l’ancienne Jamahiriya – dont celle de l’hôtel Corinthia qui a fait 9 morts en janvier dernier à Tripoli – ont ainsi été menées par des Tunisiens. Les suspects présumés des attentats d’El-Kantaoui et du Bardo auraient d’ailleurs été entraînés en Libye.

Des groupes tunisiens extrémistes

Mais le pays doit aussi se méfier des groupes qui se développent sur son propre territoire. Parmi eux, la phalange Okba Ibn Nafaa, qui appartient à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Selon une source proche des milieux de la sécurité, c’est la plus active et la plus puissante en Tunisie. Elle a établi sa base près du mont Châambi, dans les montagnes à la frontière avec l’Algérie. Ce groupe est à l’origine de plusieurs attaques de soldats tunisiens. Depuis la révolution de 2011, une soixante de militaires ont ainsi trouvé la mort dans des affrontements avec des terroristes en Tunisie.

Cependant, Okba Ibn Nafaa pourrait perdre de sa puissance, comme Ansar Al-Charia avant lui. Nés d’une dissidence au sein d’Okba Ibn Nafaa, les « Soldats du Califat » auraient prêté allégeance à l’EI. Abou Bakr al-Baghdadi, le calife, ne les a cependant pas encore acceptés officiellement. Ce groupe pourrait devenir la première branche de l’EI basée en Tunisie.

La fin du tourisme

« Le tourisme est fini en Tunisie, voilà maintenant le tourisme djihadiste qui commence », ironise un observateur étranger. Le secteur touristique, qui concerne plus de 400.000 salariés directs ou indirects, va effectivement subir les conséquences de ce nouveau drame.

À l’aéroport d’Enfidha, à 30 minutes de Port El-Kantaoui, Mohamed Walid Ben Ghachem, le directeur, a vu partir 2.800 à 3.000 touristes vendredi et samedi dernier. Il note également que les arrivées « ne correspondent pas au ratio habituel ». Le responsable reconnaît : « Bien sûr, on comprend que certains veuillent partir, mais on espère vraiment qu’ils reviendront vite. »

À la caisse d’un magasin de souvenirs de l’aéroport, Tuchus, 26 ans, craint le pire. Avec une licence d’anglais, le jeune homme n’a trouvé que ce travail alimentaire pour gagner sa vie. « Je n’aime pas vraiment ce boulot, mais au moins j’avais un salaire. J’ai peur de le perdre si les touristes ne reviennent plus. Déjà, tous ceux qui partent depuis l’attentat ont cessé de consommer. D’habitude, ici, ils utilisent leurs derniers dinars. Là, ils n’ont pas la tête à ça. » Walid, un chauffeur de taxi qui a l’habitude de travailler pour les clients des hôtels d’El-Kantaoui, s’inquiète lui aussi : « Le tourisme c’est notre pain. J’ai pleuré en apprenant la nouvelle. Qu’est-ce qu’on va devenir ?»

Le tourisme représente 7 pour cent du PIB de la Tunisie. Quelques jours avant l’attaque, Radhouane Ben Salah, président de la fédération tunisienne des hôteliers, avait évoqué une baisse de 20 pour cent des réservations estivales par rapport à l’été 2014. Il estimait alors un manque à gagner de 276 millions d’euros. À présent, les autorités tunisiennes s’attendent à une perte d’au moins 450 millions d’euros à cause de ce drame.
 Bouchra Hamida, députée tunisienne, constate : « Le tourisme n’est plus un secteur sur lequel on peut compter pour les années à venir. »


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