Littérature et édition : des progrès encore timides pour le secteur du livre

Dans le cadre du Kulturentwécklungsplang 2018-2028, le ministère de la Culture a publié l’État des lieux dédié au secteur du livre, de la littérature et de l’édition. Une synthèse sur le monde littéraire luxembourgeois d’aujourd’hui avec ce qu’il comporte encore de défis.

(Photo : Chris Lauer/woxx)

Répondant à la mesure 6 du Kulturentwécklungsplang « l’établissement d’un état des lieux précis et complet du secteur artistique et culturel au Luxembourg », le bilan du secteur du livre, de la littérature et de l’édition fait suite à celui du théâtre (mars 2022), des musiques amplifiées (décembre 2022), de la musique classique (novembre 2023) et des arts visuels (juin 2024). En 2006, Tom Reisen, alors journaliste au Tageblatt, défendait la thèse selon laquelle la littérature luxembourgeoise n’existait pas. L’écrivain et diplomate ne remettait alors pas en question les œuvres littéraires luxembourgeoises mais soulignait l’absence d’une « identité narrative », dont l’existence va pourtant de soi lorsque l’on pense à la littérature française, anglaise, allemande ou encore américaine. Néanmoins, les chiffres du secteur littéraire luxembourgeois prouvent que la « Luxemburgensia » se porte bien. Entre 2019 et 2021, plus de 700 livres ont été publiés au Luxembourg dans le domaine de la fiction ainsi que 176 publications classées dans la littérature jeunesse. En 2022, alors que le pays émergeait de la pandémie, 230 événements littéraires se sont tenus au Luxembourg. La production de livres est telle que le terme de « surproduction » peut même être utilisé concernant 2022, l’année de référence de cet état des lieux. Après la pandémie, les événements littéraires, tout comme les autres événements culturels, qui avaient dû être reportés, se sont souvent fait concurrence.

Cette production importante fait face à un autre problème : la durabilité des ouvrages publiés. Nombreux sont les livres qui, faute de moyens, ne sont pas réédités. Même parmi les récompensés du Prix Servais, certains ne sont désormais disponibles qu’en librairies d’occasion. La numérisation des ouvrages luxembourgeois, réalisée depuis plus de vingt ans par la Bibliothèque nationale Luxembourg (BnL) afin de mettre en place un archivage à long terme, peut-être perçue comme une solution partielle. Cependant, les acteur·rices du secteur désireraient que la politique culturelle aide à financer davantage d’espace de stockage. Or, le budget annuel du ministère de la Culture luxembourgeois ne prévoit que 75.000 euros pour le soutien des entreprises de l’ensemble du secteur culturel et ces fonds ne sont pas attribués automatiquement, mais par le biais d’appels à projets. Actuellement, les éditeur·rices ne bénéficient que de l’aide du Fonds Culturel National (FOCUNA) qui prévoit une participation maximale de 70 pour cent des frais totaux ou 4.000 euros par publication. « Sans cette aide, aucune maison d’édition ne pourrait continuer à exister au Luxembourg », souligne le rapport. Une loi supplémentaire apparaît ainsi nécessaire pour définir des critères clairs afin de soutenir financièrement les éditeur·rices luxembourgeois·es.

Prime à la publication littéraire

(Photo : Chris Lauer/woxx)

Les maisons d’édition du grand-duché comptabilisent seulement une quinzaine d’équivalents temps plein, la plupart d’entre elles étant de petite taille et travaillant toujours bénévolement. Jeff Schinker, écrivain et journaliste, déplore aussi le manque de professionnel·les du livre et le manque de « critiques littéraires dignes de ce nom ». En effet, au Luxembourg, les critiques étant souvent également auteur·rices, iels ont tendance à être réticent·es à écrire sur le travail de leurs collègues. Du côté des auteur·rices, seul·es trois écrivain·es arrivent aujourd’hui à vivre exclusivement de leur plume. Cependant, à partir de cette année 2025, la prime à la publication d’une création littéraire, qui sera attribuée par le biais d’un appel bisannuel, pourrait changer la donne. « Le nouveau statut d’artiste est une réforme importante », considère aussi Jeff Schinker, estimant que cela incitera les jeunes écrivain·es à se consacrer à temps plein à leur écriture. Plus de temps accordé aux auteur·rices pour écrire donc.

Mais les résident·es du grand-duché prennent-iels encore le temps de lire ? D’après l’étude sur les pratiques de lecture au Luxembourg, réalisée fin 2023 par le ministère de la Culture en collaboration avec l’ILRES, la réponse est un grand oui. Parmi l’échantillon représentatif des 1.030 personnes interrogées, 84 pour cent d’entre elles déclarent avoir lu au moins un livre au cours des douze derniers mois. Ce chiffre montre une nette progression par rapport aux anciennes enquêtes, qui indiquaient 61 pour cent en 2001 et 70 pour cent en 2009. Un nombre qui varie selon le niveau de formation, l’inscription en bibliothèque, le sexe (88 pour cent des femmes contre 80 pour cent des hommes) et selon l’âge. Ce dernier critère met en avant un contraste entre les lecteur·rices : les plus de 55 ans sont plus nombreux·ses que la moyenne à avoir lu plus de dix livres mais aussi les plus nombreux·ses à n’avoir lu aucun livre dans l’année écoulée.

Au niveau international, le Luxembourg est, depuis 2018, de nouveau présent à la plus grande Foire du livre, celle de Francfort. Si la plupart s’en réjouissent, certain·es se demandent si des foires de tailles plus modestes ne seraient pas plus profitables aux petites maisons d’édition afin qu’elles se fondent moins dans la masse et nouent ainsi des contacts durables. Au sein du grand-duché, la proportion moyenne des ventes de la « Luxemburgensia » – soit les ventes de livres spécifiquement liés au Luxembourg par rapport à l’ensemble des livres vendus dans ces librairies – s’élève à environ 12,5 pour cent pour l’année 2022. Un pourcentage encore trop peu élevé selon Jeff Schinker, qui déplore que la littérature luxembourgeoise soit trop souvent reléguée à un coin des librairies, un problème de valorisation qui témoigne d’après lui d’un « complexe d’infériorité ». L’écrivain regrette aussi que les œuvres de la « Luxemburgensia » ne soient pas traduites dans les diverses langues du pays car, si la plupart des habitant·es peuvent les parler, iels ne sont pas forcément prêt·es à lire « des pavés » dans une autre langue que leur langue maternelle. Selon Tom Reisen et sa micro-polémique lancée il y a bientôt vingt ans, le plurilinguisme est aussi l’un des écueils majeurs à l’élaboration d’un « véritable discours sur la littérature ». « Le même problème se pose pour un grand nombre d’auteur·rices luxembourgeois·es : les un·es se sont formé·es en lisant Musil, Brecht et Thomas Bernhard, les autres en lisant Mauriac, Aragon et Claude Simon », témoigne Reisen. Si, pour le diplomate et écrivain, rechercher une unité dans la littérature luxembourgeoise est illusoire, sa diversité peut cependant être un « élément constitutif » de son identité.

 


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