Politique culturelle
 : « 2016 n’est pas 2014 »

Suite à la démission de Maggy Nagel du gouvernement, Guy Arendt, l’ancien maire de Walferdange, a pris les rênes de la culture en tant que secrétaire d’État. Quels nouveaux accents mettra-t-il ? Le woxx a voulu le savoir.

Entretien : Luc Caregari et David Angel
Il a du pain sur la planche : Guy Arendt, 
le nouveau secrétaire d’État à la culture… (Photos : © Christian Mosar)

Il a du pain sur la planche : Guy Arendt, 
le nouveau secrétaire d’État à la culture… (Photos : © Christian Mosar)

woxx : Un des premiers thèmes à émerger après votre accession au poste de secrétaire d’État à la Culture a été les assises culturelles, encore une fois repoussées. Pourquoi ?


Guy Arendt : Eh bien, c’est très simple : nous n’avons pas voulu précipiter les choses. Certaines personnes du milieu culturel l’ont mal pris, d’autres ont accueilli notre décision avec bienveillance. Nous ne voulions pas faire des assises culturelles simplement pour nous plier à l’exercice, sans préparation de fond. C’est pourquoi, avec le ministre de la Culture Xavier Bettel, nous avons pris la décision d’en reculer légèrement la date, en juin ou juillet au lieu de mars. Nous avons mis en place des « groupes de réflexion » qui ont commencé à préparer cet événement. Il ne sert à rien de convier tout le monde et de demander à chacun ce qu’il veut. Je pense qu’il faut une préparation de fond. À cause aussi de la présidence européenne, les assises culturelles n’ont pas pu être élaborées comme prévu.

Ce qui permet aussi de conclure qu’elles avaient été mal préparées avant ?


Pas suffisamment, disons-le comme ça. Mais il faut ajouter qu’on a choisi une autre approche que celle de ma prédécesseure. Il y a eu du travail en amont, c’est indéniable. Mais nous avons voulu intégrer les personnes concernées avant de nous lancer dans cette aventure, pour avoir un certain ordre du jour aussi.

« Les citoyens sont souvent réticents à en franchir le seuil des musées ».

De qui sont composés ces « groupes de réflexion » ?


Des personnes du ministère, qui encadrent les représentants des différents secteurs. Nous les avons réparties par secteurs culturels, que nous consultons l’un après l’autre. Donc, les différentes associations, fédérations et institutions ont leur mot à dire dans le processus.

Qu’en est-il du fameux « plan de développement culturel », promis par la coalition et pourtant disparu des radars ?


Les assises culturelles doivent créer une première base à partir de laquelle nous pourrons élaborer ce plan.

À quel niveau souhaitez-vous établir la transparence pendant la réalisation du plan ?


Nous nous situons déjà dans la transparence avec la préparation des assises culturelles, où tout le monde pourra s’exprimer. Et, sur cette base, le plan naîtra petit à petit. Nous pensons qu’une première ébauche de celui-ci pourrait voir le jour avant la fin de l’année. De plus, nous sommes en train de faire réaliser un sondage où la société civile pourra donner son avis sur la façon dont elle perçoit la culture.

Justement, ce sondage a été durement critiqué, notamment parce qu’il faudrait d’abord écouter le secteur culturel avant de consulter l’opinion publique. Partagez-vous ce scepticisme ?


Non. Pourquoi l’opinion de l’un vaudrait-elle plus que celle de l’autre ? Les deux choses, les assises et le sondage, se déroulent maintenant en parallèle. Et ce n’est pas comme si les résultats du sondage étaient pris comme base de ce qui se passera après. Nous intégrerons les conclusions des deux dans le plan de développement culturel.

Entamer un dialogue avec les différents versants du secteur culturel, est-ce une nouvelle approche ?


... prend ses responsabilités à un moment où le dialogue entre le secteur et le ministère est surtout marqué par la méfiance de des deux côtés. 
Du moins, il y est épaulé par son conseiller en communication, Max Theis.

… prend ses responsabilités à un moment où le dialogue entre le secteur et le ministère est surtout marqué par la méfiance de des deux côtés. 
Du moins, il y est épaulé par son conseiller en communication, Max Theis.

C’est l’approche que nous avons choisie dès le début de mon mandat. Il se peut que, avant, elle ait été moins présente. Et différente aussi : avant, l’idée était de réunir tous les secteurs autour d’une même table, alors que maintenant nous avançons 
de façon plus structurée. Nous essayons de connaître les doléances de chaque intervenant et nous nous y préparons.

« Quand quelqu’un vient avec un prix prestigieux, on dit bravo. »

Maggy Nagel a surtout fait parler d’elle pour avoir annulé toutes les conventions. Quel bilan en tirez-vous ? 


Il faudra attendre au moins deux ans pour pouvoir le dire. Jusqu’ici, je n’ai pas rencontré de grandes difficultés – même s’il est clair qu’une telle action ne produit pas que des satisfaits. Il y en a qui sont mécontents parce qu’ils n’ont plus de convention, mais nous avons toujours dit que nous subventionnerons aussi les projets que nous jugeons valables.

Au-delà de l’annulation des conventions, c’est surtout la façon dont celle-ci a été menée qui a attiré les critiques et a certainement provoqué chaos et insécurité. Auriez-vous procédé de la même manière ?


Je ne veux pas dire que je ferais la même chose, mais sûrement quelque chose de semblable. Je ne peux pas dire grand-chose sur l’approche de Mme Nagel, puisque je n’étais pas en fonction quand cela s’est décidé. Elle a choisi son modus operandi, et je l’assume. Et puis on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.

Quelles sont vos compétences pour diriger le ministère de la Culture ?


C’est une des questions types qui me sont posées. MM. Werner, Krieps, Santer ou encore Mme Modert ne venaient pas de la culture. Être originaire d’un secteur n’est pas nécessaire pour pouvoir le diriger. À la limite, je me demande même si ce n’est pas un désavantage.

L’accord de coalition prévoit un « audit qui clarifiera l’organisation du ministère de la Culture ». Qu’en est-il ?


Nous avons fait réaliser une étude sur les différentes branches du ministère, mais pas encore sur l’organisation en tant que telle.

Cet audit aurait dû déboucher sur un nouvel organigramme.


Oui, mais nous n’y avons pas encore travaillé. Même si je n’exclus pas d’entamer cette tâche aussi.

Vous avez fait savoir que, pour vous, la culture était partie intégrante du « nation branding ». Est-ce que le Grammy et l’Oscar que nous avons partiellement gagnés sont des objectifs à atteindre pour être subventionné ?


Je crois qu’il faut séparer « nation branding » et Grammy Awards ou Oscar. Si un film produit au Luxembourg ou un album enregistré ici est récompensé à l’étranger, c’est une bonne chose. Cela démontre aussi que nous ne travaillons pas uniquement dans une direction et que nous avons des gens talentueux.

L’OPL, qui a aussi gagné le Grammy, a – en 2014 – vu ses subventions réduites, de sorte qu’il a dû renoncer à une tournée en Chine. Était-ce une erreur ?


2016 n’est pas 2014.

« Pourquoi l’opinion de l’un vaudrait-elle plus que celle de l’autre ? »

Mais quelle sera la place des petits acteurs – ceux qui ne veulent pas forcément gagner des prix à l’étranger – dans votre politique ?


Ils seront toujours appuyés par le ministère. Cela ne veut pas dire que vouloir montrer au-delà des frontières de quelles capacités notre pays dispose soit une mauvaise chose. Certes, on ne peut pas toujours viser un Grammy, mais un prix pareil, ça aide, naturellement. Cela n’empêche pas un artiste indépendant luxembourgeois de bien se vendre à l’étranger. Nous avons des gens très capables au grand-
duché, qui peuvent très bien s’exposer au-delà de nos frontières, mais nous ne forçons personne à le faire.

Mais qui est prioritaire : le prochain Grammy ou un acteur qui œuvre dans le local ?


Nous n’avons pas de ranking. Quand quelqu’un vient avec un prix prestigieux, on dit bravo, mais quand quelqu’un d’autre vient avec un projet qui fonctionne très bien au Luxembourg, nous ne le cataloguons pas en dessous des autres. Tout au contraire : j’en ai discuté d’ailleurs avec le ministre de la Culture, nous avons toujours besoin de lieux de création, comme des ateliers, pour donner plus de chances aux artistes locaux de partir à la conquête de l’étranger. Nous y travaillons, l’idée est en train de germer.

Toutefois, il n’est pas toujours facile pour des artistes locaux de se produire à l’étranger. Un obstacle concret est la TVA à 17 pour cent sur les prestations artistiques, qui est un véritable handicap. La Fédération du théâtre vous a d’ailleurs écrit à ce sujet. Que comptez-vous faire ?


J’en ai discuté brièvement avec le président de la fédération, Christian Kmiotek. Mais, honnêtement, je dois en parler encore avec les responsables financiers, pour vérifier si une alternative est envisageable. Vu que nos textes de loi sont rigides, c’est difficile. Mais le problème figure effectivement à mon ordre du jour.

Qu’en est-il du mécénat ? Sera-t-il la voie royale pour financer la culture à l’avenir ?


C’est un chemin, mais pas le seul. Le programme du gouvernement prévoit d’avancer à ce sujet. Il s’agira en premier lieu de donner plus de reconnaissance au mécénat et de stimuler les réflexes du public luxembourgeois pour qu’il soit plus prompt à soutenir ses artistes. C’est une habitude qui existe depuis longtemps à l’étranger, mais qui n’a pas encore fait son chemin ici.

Quid de la répartition entre privé et public dans le financement de la culture ?


On ne pourra pas établir des pourcentages. L’État doit assumer son rôle, le mécénat peut être un plus.

Autre réflexe inconnu au Luxembourg, les conseils d’administration (CA) de grandes institutions chargés de démarcher les sponsors. Encouragez-vous de telles idées – pour le Mudam par exemple, qui vient de se doter d’un nouveau CA ?


Si le CA, en tant qu’organe indépendant, parvient à une telle conclusion, pourquoi pas ? Ce ne sont pas uniquement des sommes d’argent qu’il peut aller chercher. Pour rester dans l’exemple du Mudam, cela pourrait être aussi des œuvres d’art. Certes, tout n’est pas parfait dans les textes législatifs, mais avec le ministre nous prévoyons d’en adapter certains, comme celui qui organise le Fonds culturel National (Focuna).

« Avant, l’idée était de réunir tous les secteurs autour d’une même table, alors que maintenant nous avançons de façon plus structurée. »

Pourquoi les fonctionnaires du ministère de la Culture – comme des Finances – sont-ils absents du nouveau CA du Mudam ? Est-ce une conséquence des critiques concernant les fonctionnaires présents dans trop de CA ?


Non, ce n’est pas une conséquence de ces critiques. D’ailleurs, le CA du Mudam ne distribue pas de jetons – le bénévolat existe donc bel et bien toujours. De plus, le musée sera doté d’un nouvel organe directeur dans lequel siégeront aussi des fonctionnaires du ministère. Il ne s’agit donc que d’un petit remaniement.

La dotation du Mudam pour acquérir de nouvelles œuvres sera-t-elle enfin relevée ?


Oui, nous en avons parlé. La dotation va graduellement augmenter les prochaines années (200.000 euros en 2017, 300.000 euros en 2018 et 400.000 euros en 2019, ndlr).

Même si votre passage au ministère de la Culture sera de courte durée, quelles marques voulez-vous laisser ?


Pour moi, ce qui importe est d’entraîner plus de monde dans nos institutions culturelles, dans les concerts ou les musées. Avant tout les musées d’ailleurs, car les citoyens sont souvent réticents à en franchir le seuil. Ce serait un premier accent. Un deuxième serait d’intégrer les réfugié-e-s que nous accueillons à notre culture. Des efforts ont été faits déjà, comme avec l’OPL qui a réservé un contingent de billets pour les réfugié-e-s lors de son dernier concert, ce que j’ai trouvé une excellente idée, que je veux promouvoir. Car l’intégration se fait certes par la langue, mais elle passe aussi par la culture. Elle peut être un moyen de faciliter l’intégration. Finalement, je veux aussi travailler afin d’améliorer l’accès à la culture pour les jeunes. Certes, les musées et autres institutions consacrent tout un programme à la jeunesse, mais la coordination entre horaires, professeurs et écoles n’est pas toujours optimale. Le ministre de la Culture et les ministres Claude Meisch et Marc Hansen, qui sont responsables de l’Éducation, et moi-même avons prévu de nous voir pour définir comment avancer et rapprocher les jeunes et la culture. Car si on ne les y habitue pas tant qu’ils sont encore jeunes, ils n’auront pas les bons réflexes plus tard. Je ne peux rien dire de concret encore, mais c’est un dossier en cours.

C’est-à-dire que la culture doit devenir plus populaire ?


Oui, certainement. Je lis toujours que la culture serait élitaire, que le Mudam serait élitaire. Ce n’est pas vrai ! Le Mudam expose certes un autre genre d’art, mais il ne faut pas avoir bac +6 pour le comprendre. On peut toujours entrer dans un musée et regarder les choses. Et puis ça plaît ou ça ne plaît pas. Mais, d’un autre côté, qu’est-ce que la culture populaire ? Pour l’un c’est la musique classique, pour l’autre c’est le rap. C’est un tout.

Vous n’êtes donc pas allergique au hip-hop ?


Non. Et puis j’ai des jeunes à la maison, donc je connais quand même un peu.

Les efforts pour mieux coordonner éducation et culture ne sont pas neufs. Des plans existaient déjà sous Octavie Modert. Voulez-vous les institutionnaliser ?


Nous voulons aller une étape plus loin.


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