Le Parti socialiste et ses alliés tiennent, ce dimanche, leur primaire pour désigner le candidat de la gauche. Dans cette campagne électorale hautement imprévisible, tout semble toujours possible.
Sa campagne ne se passe pas tout à fait comme il l’aurait souhaité : mardi, Manuel Valls, en déplacement à Lamballe en Bretagne, s’est fait gifler par un jeune homme proche des mouvements nationalistes bretons. Un acte qui fait écho à l’« enfarinade » qu’il a subie le 22 septembre à Strasbourg, par un adversaire de la loi travail cette fois. Et qui a été suivi par ces propos d’un auditeur, en direct sur France Inter lors d’une interview de Valls : « Cette claque, on est juste 66 millions à vouloir te la mettre. »
L’ancien premier ministre et candidat à la primaire de gauche, qui se rêve en successeur de Hollande depuis bien longtemps, peine à gagner les faveurs du pays qu’il a dirigé pendant deux ans et demi. Pourtant, il était le favori de la primaire à gauche pendant longtemps. Aujourd’hui, celui dont on dit qu’il asséné le coup de grâce à une éventuelle candidature de François Hollande voit ses chances diminuer face à la gauche de son parti.
Dans les derniers sondages – à considérer avec prudence, comme l’a montré une fois de plus le résultat de la primaire à droite -, Valls peut défendre sa première place au premier tour. Mais ses deux concurrents de la gauche du parti, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, le suivent de près, et, si les sondages se confirmaient, pourraient le battre au second tour. Les quatre autres candidats à la primaire de la gauche se situent tellement loin derrière le trio Valls-Montebourg-Hamon qu’une surprise semble peu probable. Par ailleurs, dans le cas d’un face-à-face entre Valls et l’ancien ministre de l’Économie Montebourg ou l’ancien ministre de l’Éducation Hamon au deuxième tour de scrutin, le candidat frondeur aurait d’excellentes chances de l’emporter. Une telle victoire à la primaire serait un désaveu brutal pour la ligne sociale-libérale et autoritaire défendue par Manuel Valls.
Si Macron opte pour une stratégie du « ni gauche, ni droite », Mélenchon joue la carte du « peuple contre les élites ».
Pour autant, une victoire de l’aile gauche du PS à la primaire n’est en rien une garantie de bon résultat aux élections présidentielles. Car deux candidats, appartenant de près ou de loin à la gauche, représentent un danger potentiellement dévastateur pour le vainqueur de la primaire : Jean-Luc Mélenchon à la gauche du PS et Emmanuel Macron à sa droite.
Tous les deux anciens ministres – c’est récurrent dans cette campagne présidentielle – dans des gouvernements PS, ils ont fait le choix de ne pas se représenter à la primaire de la gauche. Si Macron, foncièrement libéral tant sur les questions économiques que sur les questions sociétales, opte pour une stratégie du « ni gauche, ni droite » et tente d’unir anciens électeurs des Républicains et socialistes déçus, Mélenchon joue lui à fond la carte du « peuple contre les élites ». Il s’efforce d’ailleurs d’effacer les références à la gauche de ses meetings, allant jusqu’à annoncer que l’« Internationale » n’y sera plus chantée. Fini le Front de gauche, voici la « France des insoumis ».
Sa stratégie ? Prendre des voix à Marine Le Pen en se positionnant sur le terrain de l’euroscepticisme et du souverainisme, tout en ralliant une partie de l’électorat écologiste et socialiste avec des propositions innovantes en matière d’écologie, mais aussi en matière de laïcité ou encore sur le plan social. Sa campagne axée sur les réseaux sociaux porte ses fruits : sa chaîne YouTube est de loin la chaîne politique la plus regardée en France. S’étant largement inspiré de l’exemple de Podemos en Espagne, Mélenchon tente ainsi de communiquer directement avec son électorat potentiel sans devoir passer par des médias jugés hostiles. Au-delà, son discours antiélites et « populiste de gauche » fait lui aussi penser à celui qu’utilise la formation espagnole. Tout comme le titre de son livre, « L’avenir en commun » : « En comù podem » (en commun, nous pouvons) était le nom sous lequel Podemos s’était présenté aux élections en Catalogne.
Le désistement de François Hollande et la victoire de François Fillon à droite ont redistribué les cartes.
Mais Podemos n’est pas l’unique source d’inspiration de Jean-Luc Mélenchon : tandis qu’il garde son faible pour la gauche latino-américaine – il a notamment organisé un meeting en mémoire de Fidel Castro -, tant son logo que son site internet font fortement penser à la campagne menée par Bernie Sanders. D’ailleurs, comme Sanders, il compte financer sa campagne à travers des dons faits par ses sympathisants.
Manuel Valls est le candidat de la gauche rêvé pour Mélenchon : ce dernier pourrait, dans ce cas, être quasiment sûr du soutien d’une partie des électeurs de Benoît Hamon et d’Arnaud Montebourg. Mais il a tout à craindre d’un candidat Hamon ou Montebourg, Montebourg ayant fait du « patriotisme économique » sa spécialité et se proclamant « candidat de la fin de l’austérité », Hamon excellant à travers des propositions économiques et sociales innovantes et grâce un charisme posé et tranquille.
Ce qui fait le malheur des uns fait le bonheur des autres : Emmanuel Macron aurait tout à gagner d’une candidature d’un représentant de la gauche du PS. Partageant en partie le même électorat que Valls, il pourrait ainsi s’assurer du soutien de l’aile droite, « business-friendly », de la gauche. Certains vont même jusqu’à affirmer que François Hollande pourrait préférer soutenir la candidature de Macron plutôt que celle d’un frondeur.
« Anti-Mélenchon » par excellence, Macron défend un discours résolument proeuropéen, antiprotectionniste et… antiélites. Diplômé en philosophie et en sciences politiques, anciennement inspecteur des finances puis banquier, il joue sur le fait qu’il n’émane pas de la « caste » politique et se veut un « ennemi du système ». Jeune, dynamique, intelligent, le « chouchou des médias » mise aussi sur un potentiel « effet Renzi » en France en proposant une refonte de l’économie et une libération du « carcan » que constituerait toujours le droit du travail, même après la loi El Khomri.
Immuable quant aux questions sociétales – il s’est notamment opposé à la déchéance de nationalité proposée par le gouvernement Valls -, la ligne libérale et « politically correct » de Macron en termes d’immigration et de droits fondamentaux, combinée à son charisme de jeune loup, ne sont pas sans faire penser au premier ministre canadien Justin Trudeau non plus. Peut-il pour autant, comme l’insinuent une partie des médias français, faire basculer la présidentielle ?
Difficile à dire pour le moment. Les sondages indiquent une forte progression en sa faveur – mais l’élection présidentielle de 2017 étant une des plus imprévisibles des dernières décennies, tout est possible. Le désistement de François Hollande à gauche et la victoire de François Fillon à droite ont totalement redistribué les cartes. Tandis que l’extrême droite s’était réjouie d’un hypothétique candidat Alain Juppé à droite, jugé mou et beaucoup trop centriste, la candidature de Fillon lui pose problème : en attirant une bonne partie de l’électorat catholique et ultraconservateur que le FN pensait déjà acquis à sa cause, le candidat de la droite pourrait obliger Marine Le Pen à s’aventurer davantage sur le terrain, glissant pour elle, de l’économie et du social. Sauf qu’à sa gauche, il y a Mélenchon qui l’attend de pied ferme, décidé à venger l’humiliation subie en 2012 quand Le Pen non seulement l’avait largement devancé au niveau national, mais lui avait aussi infligé une défaite personnelle à Hénin-Beaumont.
Pour l’instant, dans les sondages, aucun homme politique de gauche ne semble bien positionné pour se retrouver au deuxième tour.
À gauche aussi, la victoire de Fillon à la primaire de droite et le désistement de Hollande a changé la donne. Alors qu’une participation de la gauche au deuxième tour de l’élection présidentielle semblait irréaliste avec un candidat Juppé, jugé rassembleur et bénéficiant de sympathies auprès d’une partie de l’électorat de gauche, la candidature de l’ultralibéral et conservateur ancien premier ministre a nourri l’espoir. Et alors que le suicide politique qu’aurait été une candidature de Hollande était redouté de tous, la primaire ouvre au moins d’autres possibilités.
Pour autant, rien n’est moins sûr que la présence d’un candidat de gauche – au sens large du terme, incluant Mélenchon et Macron – au deuxième tour de la présidentielle. Même si Macron semble plus attirer les électeurs de droite que ceux de gauche pour l’instant, la présence d’au moins quatre candidats à gauche – Mélenchon, Macron, Yannick Jadot pour les écologistes et le vainqueur de la primaire – paraît peu favorable à un retournement de situation.
Pour l’instant, dans les sondages, aucun homme politique de gauche – car tous les candidats sont, en effet, des hommes – ne semble bien positionné pour se retrouver au deuxième tour. Et si la cote de popularité de Jean-Luc Mélenchon progresse, seul Emmanuel Macron semble pour l’instant capable d’atteindre François Fillon et Marine Le Pen. Mais les sondages, on le sait maintenant, ne sont fiables que dans une minorité de cas.